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Ses jolis yeux pervenche brillaient d’une joie qui, lorsqu’elle avait commencé à parler, avait inspiré de la pitié à Thomas qui pensait que son bonheur était en miettes avant d’éclore au soleil, mais la fin du discours tempéra cette émotion : se soucie-t-on d’argent quand on réalise un rêve que l’on croyait impossible ?

— Tous mes vœux de bonheur, Mademoiselle ! Quant à Sarrance, je peux seulement vous dire que... Monsieur le Grand est venu le prendre par le bras pour lui confier une chose d’importance, mentit-il dans le but de la faire tenir tranquille au moins pour ce soir, Antoine ayant vraiment besoin de calme pour essayer de savoir où il en était. Il lui a certainement annoncé la nouvelle et...

— Mais cela a eu lieu il n’y a pas dix minutes !

— Comme si vous ne saviez pas que le Grand Ecuyer est toujours au fait des tout derniers bruits. Avant même les intéressés, je crois bien ! En outre, il s’agissait d’une affaire sérieuse !

— Notre mariage n’est-il pas une affaire sérieuse ?

La voilà vexée, pensa Thomas. Comment l’amour a-t-il pu aveugler cet imbécile d’Antoine au point de ne rien deviner de sa nature profonde égoïste et vaine ?

— Bien entendu ! fit-il, conciliant. Mais vous savez que nous partageons la même chambre, lui et moi. Je vais attendre et, à son retour, j’aurai le plaisir de lui dire que vous le cherchiez... Nul doute qu’il n’accoure vers vous dès le lever du jour ! Pour ce soir, il vaut mieux que vous rentriez chez la Reine. Elle sera sûrement heureuse de vous féliciter !

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr ! La persuada-t-il avec un large sourire. Vous ne pouvez pas errer toute la nuit dans le château et la ville. Ce ne serait pas convenable ! Et que dirait Sa Majesté ?

En vérité, Marie de Médicis confondait le plus souvent ses filles d’honneur avec des éléments d’ameublement mais toutes savaient aussi que s’il lui passait par la tête d’en appeler une, il était préférable pour elle d’être à sa disposition.

— Vous avez sans doute raison. Je vais aller reprendre ma place. Merci à vous, Monsieur de Courcy !

— Mes vœux vous accompagnent.

On échangea salut et révérence puis chacun alla de son côté : elle, vers la grande antichambre où se déroulait le souper, lui, vers l’escalier au bas desquels il interrogea les gardes suisses. Il lui fallait absolument retrouver Antoine avant qu’il n’apprît son « bonheur » d’un quidam bien informé et ne fasse une sottise. Heureusement, il avait choisi le jardin de Diane sur lequel donnaient les fenêtres de la Reine et il n’était pas loin.

Assis sur un banc de pierre auprès d’une statue de nymphe, les coudes aux genoux et le visage levé vers l’appartement éclairé de lumières douces, il guettait une ombre, une silhouette mais aucune ne ressemblait à celle qui venait, de façon si soudaine, d’arracher son cœur aux jolies mains d’Elodie. Il y avait eu surtout ce regard ! Le seul qu’ils aient pu échanger mais qui contenait tant de promesses éblouissantes ! Une joie espiègle de la part de Lorenza, vite changée en un univers de scintillante félicité. Un instant sublime où ils s’étaient donnés l’un à l’autre aussi formellement que si elle s’était jetée dans ses bras... Et puis, à peine tissé, le fil s’était brisé, le rêve avait fait place à une réalité absurde à la limite du grotesque : elle allait devenir sa belle-mère ! En vérité, si ce n’avait été si tragique c’eût été à mourir de rire !

Antoine s’aperçut qu’il pleurait quand un mouchoir essuya ses larmes :

— Tu te fais du mal, murmura Thomas. Et j’ai peur d’en être responsable ! Si je ne t’avais pas rapporté l’arrivée du carrosse trimballant la tante je ne sais plus qui, tu aurais réagi différemment !

— Que nenni ! J’étais tellement certain de ne vouloir rien au monde que la main d’Elodie ! Tu n’as rien à te reprocher. Je n’ai à m’en prendre qu’à moi seul !

— Je te remercie mais ça n’arrange rien ! Afin que tu saches bien où tu en es, je suis venu t’informer que ton père a demandé pour toi la main de la dénommée Elodie et que la demoiselle et sa mère sont dans la joie !

— La mère aussi ? Elle a changé d’avis ?

— Cela t’étonne ? Te voilà baigné dans la lumière que dispense l’auréole dorée de ton père.

De candidat famélique, tu es devenu un gendre des plus souhaitables !

— Mais moi, je ne le souhaite plus ! Le double mariage qui réjouit tant mon cher père me répugne ! Il ne me reste donc qu’une seule voie de salut : m’en aller le plus loin possible !

— Tu veux déserter ? Tu es un soldat...

— Seulement changer d’affectation. N’importe quel poste frontière fera l’affaire... mais le plus loin possible !

— Le Roi a ramené la paix. On ne se bat plus nulle part ! Tu périras d’ennui !

— De ça ou d’autre chose... De toute façon, la guerre reviendra un jour...

Sans quitter les attirantes fenêtres des yeux, il se leva :

— J’ai stupidement détruit ma plus belle chance de bonheur. A moi d’en payer le prix ! Demain je solliciterai une audience du Roi !...

Quand Sarrance employait un certain ton, Courcy savait que tenter de discuter serait du temps perdu. D’ailleurs, finalement, ce n’était pas une si mauvaise solution. A deux ou trois cents lieues, il serait à l’abri des mauvaises rencontres et du moins, de lui-même !

— C’est à toi de voir et tu n’as peut-être pas tort ! Nous sommes dans l’urgence et il faut parer au plus pressé... En attendant, tu devrais aller dormir. Tu as eu ton compte d’émotions pour la journée... et il convient d’éviter des explications... inopportunes !

— Tu crois vraiment que je pourrai dormir ?

— Si l’on veut rêver je ne connais pas d’autre moyen !

— Et toi ? Tu ne rentres pas ?

— Pas maintenant !... Il y a... un détail que je voudrais vérifier ! Je t’en parlerai plus tard...

Il aurait été bien en peine d’en dire davantage car ce qu’il avait en tête tenait en peu de mots : voir le roi pour éviter à son ami une réaction qui pourrait être fâcheuse. Si bienveillant qu’il soit en général, Henri IV pouvait trouver agaçants les états d’âme à transformation des deux Sarrance. Tandis qu’Antoine regagnait docilement leurs quartiers après un ultime regard aux fenêtres de la Reine, Thomas se mit à la recherche du souverain...

Et le trouva aisément. La soirée était consacrée aux jeux qu’Henri IV adorait même s’il perdait le plus souvent, et parfois des sommes importantes qui mettaient en fureur son ministre Sully. Thomas le trouva en train de jouer et, par miracle, il gagnait, ce qui le mettait d’excellente humeur. Thomas regarda le plafond doré pour en remercier le Ciel et se prépara à une longue attente. Or, il n’en fut rien... La partie en cours s’achevant, Henri se leva et ramassa ses gains :

— Continuez sans moi, Messieurs ! J’ai à faire...

Tandis que les autres restaient à leur place, il se dirigea vers la porte sans hâte excessive, distribuant un mot ici ou là avec sa bonne grâce habituelle. Thomas saisit l’occasion et se précipita afin de la franchir avant lui, ce qui lui permit de l’attendre dans l’antichambre :

— Sire ! Puis-je solliciter un instant d’entretien ? Sinon maintenant du moins avant demain matin ?

Une surprise amusée souleva l’un des épais sourcils royaux :

— Courcy ? A cette heure ?... Accompagnez-moi et confiez-moi ce qui vous tourmente ! Mais faites vite et sans fioritures !

— Merci, Sire ! Demain matin, mon ami Antoine de Sarrance...