Soumis ainsi au régime de la douche écossaise, Antoine ne savait plus trop où il en était. Perturbé, il osa avancer :
— Ne va-t-elle en demander la raison ?
— Depuis quand un souverain est-il tenu de donner ses raisons ? Prépare-toi à lui faire tes adieux ainsi qu’à ton père ! conclut Henri en lui tendant une main qu’Antoine baisa à demi étouffé par l’émotion, avant de sortir à reculons. Sur le seuil, il s’arrêta pour reprendre un souffle qui lui manquait comme s’il venait de parcourir une longue route. Il n’osait encore croire à la chance qu’on lui donnait si généreusement et, pour un peu, il en aurait pleuré de bonheur. Ce fut le regard amusé d’un des Suisses de garde qui lui évita le ridicule. Il recoiffa son chapeau en se redressant et, la main appuyée sur le pommeau de son épée, quitta l’appartement du Roi pour se diriger vers celui de la Reine. Là, on lui apprit que Sa Majesté faisait avec ses dames une promenade au jardin afin d’en profiter le plus possible avant le retour à Paris où l’espace lui était beaucoup plus mesuré.
Ces dames se trouvaient au grand parterre. Marie de Médicis, parée comme une châsse, à son habitude, marchait au bras de sa meilleure amie, la duchesse de Montpensier, dont elle appréciait la douceur et le caractère serein. Née Catherine de Joyeuse, elle n’avait qu’un défaut : l’inquiétude perpétuelle que lui inspirait sa santé. Le moindre éternuement et elle se voyait à l’agonie. On ne sait trop comment elle avait survécu aux douleurs de l’enfantement. Aussi n’avait-elle qu’une fille que Marie de Médicis chérissait et dont elle avait d’ailleurs décidé de faire l’épouse de son second fils. C’était tout simple : l’enfant était la plus riche héritière de France !
On allait à petits pas précédés d’Albert et Marguerite, le couple de nains que la Reine emmenait partout avec elle. Derrière, venaient quelques dames et trois filles d’honneur – Mlles d’Urfé, de Sagonne et de La Motte-Feuilly – fermaient la marche en chuchotant derrière leurs mains des propos qui semblaient les amuser beaucoup. En les voyant, Antoine faillit battre en retraite. Pour ce qu’il avait à dire, un public moqueur était bien la dernière chose qui lui convînt mais il craignait que le Roi ne considérât sévèrement cette petite lâcheté. Il déboucha à vive allure d’un bosquet taillé, agita son chapeau à bout de bras pour attirer l’attention de la jeune fille. Elle le repéra enfin et, après deux mots à ses compagnes, le rejoignit derrière les lilas :
— Enfin, vous voici Monsieur ! En vérité, je ne savais que penser puisque, au lieu de venir vous réjouir avec moi de la bonne nouvelle, vous avez disparu. M. de Courcy ne vous a-t-il pas fait savoir que je vous cherchais ?...
— Je ne l’ai pas vu, mentit Antoine, il ne pouvait donc rien m’apprendre.
— Et où étiez-vous ?
Le ton, singulièrement sec, fut désagréable aux oreilles du jeune homme. Jusqu’à présent, Elodie ne s’était adressée à lui qu’avec une infinie douceur, une telle retenue pleine de timidité qu’il redoutait vraiment de lui briser le cœur. Or, ce matin, elle était transformée : sûre d’elle, un rien autoritaire même, elle savourait visiblement un triomphe qu’elle n’espérait pas si rapide puisque, la veille encore, celui qu’elle aimait était destiné à une riche inconnue. Or cette Florentine allait devenir sa belle-mère !
— Ailleurs ! M. de Bellegarde voulait me parler...
— Vous n’avez pas causé toute la nuit, je suppose ? Et votre ami Courcy ne vous a rien dit ? C’est incroyable ! Toute la Cour est au courant et pas vous ? Oh, Antoine, j’espérais tant que nous pourrions, dès cette nuit, échanger notre premier baiser de fiançailles !
Il crut déceler dans ces propos une note de douleur et retrouva son malaise :
— C’eût peut-être été... prématuré.
— Prématuré ?
— Je vous en supplie, Elodie, ne me regardez pas comme cela ! Mon père a peut-être fait preuve d’une trop grande hâte. Je vous cherchais pour vous saluer avant mon départ. J’accompagne en Angleterre M. de Beauvoir qui rejoint son ambassade auprès du roi Jacques Ier. Croyez-moi sincèrement désolé mais ce sont les ordres du Roi.
— Qu’allez-vous faire là-bas ?
La déception qui se lisait sur ce joli visage qu’hier encore il adorait, navra le jeune homme. Il détestait ce rôle qu’il avait pourtant bien cherché.
— Je n’en sais rien. Ce sont des ordres et je suis un soldat !
— Pardonnez-moi si je me montre indiscrète mais dites-moi au moins quand vous reviendrez ? La date du mariage n’ayant pas été fixée attendra votre retour.
— Je l’ignore. On ne m’a pas indiqué la durée de ce séjour...
Dieu que cela devenait difficile ! Il répugnait pourtant à s’abriter derrière la volonté royale comme on l’y avait pourtant autorisé car il craignait de la blesser réellement. D’ailleurs, les larmes coulaient à présent :
— En vérité, cela ne semble pas vous soucier beaucoup, fit-elle d’une voix où la colère perçait sous le chagrin. Que vous est-il arrivé Antoine ? Vous n’êtes plus le même !
Ce n’était que trop vrai. Mais comment lui dire qu’un seul regard avait changé son cœur sans la blesser trop cruellement ? Au moins dans son orgueil. Il ne restait plus que les échappatoires, le mensonge et puis laisser faire la vie. Avant tout, gagner du temps. A une jolie fille, les amoureux ne manquaient pas et il le savait.
— Non, Elodie, je n’ai pas changé. Et le mariage de mon père me met dans une situation difficile parce qu’il me déplaît de vivre sur la fortune de sa nouvelle épouse !
— Cette fortune sera à votre père. Il n’y a là rien que de très naturel puisque vous êtes son seul héritier.
— A cela près qu’il souhaite s’en donner d’autres ! Non, Elodie, avant de songer à me marier, je dois d’abord me faire une place, un nom autre que celui de fils du marquis de Sarrance !...
Le chagrin qu’il redoutait tant fit place à un petit rire un rien déplaisant :
— Me faudra-t-il donc attendre que vous deveniez maréchal de France ou ambassadeur ou Dieu sait quoi ?
— C’est ridicule ! Demandez donc à votre mère ce qu’elle en pense ?
— Ma mère ? Que vient-elle faire ici ?
— Sans y être tout à fait hostile, notre mariage ne lui convenait guère, il me semble ?
— Quelle mère ne souhaite pour sa fille l’établissement le plus favorable ? D’ailleurs, avant que le marquis ne se dévoue, elle ne vous considérait plus comme un prétendant valable puisque c’était vous qui deviez épouser cette fille de... de... de commerçants.
— Nièce d’un grand-duc et filleule d’une reine de France ! Vous avez le dédain facile ! Quant à moi, n’ai-je pas assez clamé que je ne voulais pas renoncer à vous ?
— C’est bien pourquoi je suis surprise ! Plus rien ne vous y oblige à présent. Votre père a demandé ma main, nous pouvons nous marier demain et vous partez pour l’Angleterre ! En vérité, Monsieur, vous vous moquez ! Je ne suis pas de celles dont on peut se jouer !
Elle n’avait que trop raison et Antoine en était conscient. Il était normal qu’elle se sente offensée...
— Loin de moi cette pensée ! Soupira-t-il avec lassitude. Je vous ai...
Prenant soudain conscience de ce qu’il était sur le point de formuler- je vous ai trop aimée ! –, il corrigea à temps :
— ... toujours trop respectée pour l’ignorer. Et je ne vous ai dit que la vérité : le Roi m’envoie à Londres !
— Sans explication ? Et vous ne vous êtes pas rebellé ?