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— Tu crois ?

— Je rêve ou est-ce toi qui dors debout ? As-tu oublié que donna Lorenza a hautement et devant toute la cour refusé le mariage auquel on prétend la soumettre ! Dès cet instant, tu aurais dû te ranger à son côté au lieu de laisser courir ! Et maintenant, te voilà en train de chercher je ne sais quel moyen fumeux de la soustraire aux griffes du vieux Sarrance, alors que tu devrais faire entendre la voix de ton maître. Ou elle épouse le jeune Antoine ou tu la ramènes chez elle... en laissant bien sûr un joli dédommagement au vieux grigou pour le consoler !

— Tu l’as dit toi-même : Henri n’a rien à lui refuser !

— Sauf ce qui ne lui appartient pas ! Un peu de nerf, que diantre ! Tu as une mission. Arrange-toi pour qu’on ne te la sabote pas !

Giovanetti garda le silence un moment. Il avait l’air d’un homme qui sort d’un mauvais rêve :

— Mais c’est que tu as raison ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ?

— Je pensais que cela te viendrait tout seul. C’est toi l’ambassadeur. J’admets que tu pouvais être décontenancé, débordé par la rapidité des événements mais, à présent, il faut te reprendre !

— Et, par le sang du Christ, c’est ce que je vais faire. Cependant...

— Cependant, quoi ?

— Imagine que le Roi revienne à son projet initial ?

— Renvoyer la grosse Marie ? Allons donc ! Ils viennent de faire la paix ! Il est trop tard. En outre, c’est avec un vif plaisir qu’il a vu arriver la filleule de sa femme...

— Si tu penses me rassurer ! Il ne demande qu’à la partager avec son vieux camarade...

— Cela, tu n’es pas censé le savoir. Tu t’en tiens au marché conclu un point c’est tout !... Je peux retourner me coucher maintenant ?

— Va ! Mais passe d’abord chez elle pour qu’elle puisse au moins passer une bonne nuit... en attendant la suite.

— J’y vais !... Et essaie de dormir toi aussi ! On se bat mieux quand on a l’esprit clair. Je peux t’y aider si tu veux ?

— Merci non ! Tu as raison : j’ai besoin de voir clair... et j’ai presque envie d’aller voir le Roi dès ce soir. Il est déjà rentré, lui, il n’est pas homme à se prélasser sur une barge au fil de l’eau...

— Va dormir, te dis-je ! Tu en as besoin et tu peux être sûr que notre Vert Galant profite de cette nuit où son épouse navigue en musique pour investir le lit de quelque jolie fille.

Avec un soupir accablé, Giovanetti montra la porte à son trop sagace médecin :

— Dehors ! Tu ne peux pas savoir à quel point quelqu’un qui a toujours raison peut être fatigant !

En fait, Filippo Giovanetti ne ferma pas l’œil de la nuit. Il la passa tout entière à chercher par quel biais avoir cette conversation avec un souverain qu’il n’avait jamais considéré comme bien redoutable étant donné l’excellence des relations établies avec la Toscane depuis plusieurs années. Il n’en était que plus conscient du fait qu’il allait devoir le contrarier.

Il s’en persuada davantage encore lorsque en haut de l’escalier du Roi qui desservait les appartements du souverain, il vit en sortir son confrère espagnol, don Pedro de Tolède, tout ébouriffé de colère. Il traînait derrière lui son habituelle escorte de conseillers lugubres, entièrement vêtus de noir à l’exception des gigantesques fraises « en roue de moulin » qui leur enserraient le cou, rendant impossible toute communication entre les membres et la tête et obligeant ainsi ces majestueux seigneurs à se rendre mutuellement de menus services comme de se moucher ou de se gratter le crâne. Spectacle qui d’habitude divertissait beaucoup l’envoyé florentin mais qui, cette fois, ne lui arracha même pas un sourire. Après un entretien avec ces gens-là, Henri devait souffler la fureur par les naseaux ! Aussi fut-il immensément soulagé quand, alors qu’il pénétrait dans le cabinet du Roi, il l’entendit rire à gorge déployée :

— Venez, venez, messer Giovanetti ! s’écria-t-il en lui rendant son salut. Un visage aimable est tout juste ce qu’il me fallait pour me remettre les humeurs en place après ces longues figures ibériques !

— Je ne les ai pourtant point trouvées particulièrement drôles, avança-t-il prudemment.

— C’est parce que vous ne voyez pas les choses comme moi. Le dialogue que j’entretiens depuis plusieurs mois avec don Pedro est d’une accablante monotonie. Il réclame toujours la même chose : le mariage du Dauphin avec l’Infante et celui de ma fille Elisabeth avec le prince des Asturies. Je lui réponds toujours non mais il ne se décourage jamais. Cette fois, il devait être de plus mauvais poil que d’habitude parce qu’il m’a menacé d’une guerre entre nos deux pays.

— Rien que cela ! Et... puis-je demander ce que Votre Majesté lui a répondu ?

— Que si son maître s’y avisait j’aurais plus tôt le cul sur la selle que lui le pied à l’étrier ! Mais voyons ce qui vous amène.

L’ambassadeur maudit intérieurement l’hidalgo qui l’avait précédé. Sa mission était déjà assez difficile sans que l’Espagnol se mêlât de venir la lui compliquer car il n’y avait pas à se tromper sur la bruyante gaieté du Béarnais. Il le connaissait suffisamment pour détecter l’agacement sous le rire. Il respira profondément et prit son courage à deux mains :

— Sire, commença-t-il avec toute la suavité dont il était capable, je crains fort d’être presque aussi importun que le seigneur de Tolède !

— Vous ? Allons donc ! Vous êtes l’un de ceux que j’ai le plus de plaisir à entendre. Qu’est-ce qui vous tourmente ?

— Un autre mariage, Sire ! J’ai grand peur de devoir prier Votre Majesté de me laisser ramener donna Lorenza Davanzati à Florence !

La flamme rieuse dans l’œil d’Henri s’éteignit comme une chandelle que l’on souffle :

— Je croyais que nous étions bien d’accord ! Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

— Deux choses. D’abord un courrier reçu ce matin en provenance du palais Pitti, mentit-il avec suffisamment d’aplomb pour être crédible. Le grand-duc – comme la grande-duchesse d’ailleurs – y exprime l’espoir qu’en envoyant ici leur jeune parente, elle y aura retrouvé la joie de vivre dont l’a privée la mort brutale de son fiancé. Son Altesse souhaite vivement que cette jeune fille n’ait pas fait l’objet d’un marché de dupes et que, en échange de sa beauté comme de la fortune qu’elle apporte, elle soit aussi heureuse que possible de devenir sujette de Votre Majesté...

— Avez-vous cette lettre ?

— Non, Sire. Votre Majesté doit comprendre qu’il s’agit d’un courrier interne où mon maître traite de diverses autres affaires...

Il se sentit rougir mais, par bonheur, Henri ne le regardait pas. Il lui tournait même le dos, s’étant dirigé vers une fenêtre donnant sur les Tuileries... Après un instant de silence, Giovanetti entendit :

— Votre maître fait-il allusion à son... déplaisir au cas où cette jeune fille serait mal satisfaite ?

— Pas formellement mais il n’en insiste pas moins sur le prix que la grande-duchesse et lui-même attachent au bonheur de donna Lorenza.