— Je ne le pense pas. Il se peut d’ailleurs qu’on la renvoie au cas où elle ne plairait pas à Sa Majesté. Ce qui ne m’étonnerait guère ! Quelle vieille chipie ! Pourquoi, diantre, vous en êtes-vous encombrée ?
C’était une question que Lorenza s’était posée plus d’une fois mais pour rien au monde elle n’aurait voulu abonder dans le sens de cette femme. L’honneur et son amour-propre la poussaient au contraire à rompre les lances avec elle :
— Donna Honoria Davanzati, sœur de mon défunt père, est le seul membre de ma famille qui me reste du côté paternel.
— Il n’y a pas de quoi vous en vanter ! Elle ne vous ressemble guère et c’est tant mieux pour vous. A présent, cessez de récriminer ! Vous m’empêchez de penser donc vous m’ennuyez ! Si vous avez des plaintes à formuler, adressez-vous à la Reine... si vous en avez le courage et sur un autre registre ! Elle ne vous aime déjà guère !...
La jeune fille faillit riposter que la réciproque était vraie mais c’était peut-être tout ce que la du Tillet souhaitait entendre et comme elle n’aurait rien de plus pressé que de le répéter à qui de droit, Lorenza allait droit vers l’enfer.
Comme elle ne répondait rien, sa compagne se pencha pour la regarder sous le nez :
— On dirait que cela ne vous surprend pas ? Une bonne marraine ne devrait-elle pas déborder d’affection pour l’enfant qu’elle a tenue sur les fonts baptismaux ?
Lorenza haussa les épaules :
— Entre mon baptême et son mariage auquel j’ai eu l’honneur d’assister bien que fort jeune, nous ne nous sommes guère rencontrées. Difficile d’aimer dans ces conditions !
— Eh bien, soyez sûre, ma petite...
— Je ne suis ni votre petite ni une chambrière ! Mes ancêtres portent les armes depuis des siècles !
Elle s’attendait à quelque sarcasme. A sa surprise, Mlle du Tillet éclata d’un rire joyeux qui s’acheva en sourire... et ce sourire était charmant :
— Bravo ! Vous ne manquez pas de caractère mais évitez de le montrer. Si je vous ai dit que la Reine ne vous aimait pas c’est seulement pour vous avertir. Vous êtes beaucoup trop belle pour lui plaire et une fois mariée, cela m’étonnerait que l’on vous vît souvent à la Cour.
— Je n’ai aucune envie de m’y montrer. Je veux retourner chez moi à Florence !
— Vous êtes sincère ? Pourtant, si vous savez vous y prendre, vous pourriez vous faire un bel avenir. Il est on ne peut plus flagrant que vous plaisez au Roi !
— Mais il ne me plaît pas plus que M. de Sarrance ! s’écria Lorenza, exaspérée. J’ai dix-sept ans,
Madame ! Qui, à mon âge, peut souhaiter être donnée à un vieillard ?
— Plus bas, voulez-vous ? Et perdez cette manie de proclamer vos sentiments à tout bout de champ ! Cela peut être dangereux !
— Si vous saviez à quel point cela m’est égal !
— Mais pas à moi qui suis toute ouïe ! La Cour est un lieu redoutable où les paroles que l’on profère sans discernement risquent d’être aussi meurtrières pour la bouche qui les émet que pour les oreilles qui les écoutent ! Si vous voulez vivre – simplement vivre vous m’entendez ? – apprenez à vous taire... ou du moins à savoir à qui vous vous adressez !
Toute sa superbe éteinte, elle semblait inquiète tout à coup. Lorenza haussa les épaules :
— Vous avez peur ? Qui pourrait bien vous accuser ? Les laquais ?
— Allez-vous enfin cesser d’émettre des sottises ? Je ne vous veux aucun mal et j’avoue m’être trompée sur votre compte. A présent, je m’interroge...
— Je ne vois pas pourquoi...
— N’essayez pas de comprendre ! Suivez plutôt mon conseil : quand vous serez devant votre marraine, montrez-lui respect et soumission. Elle est la Reine après tout ! Et ravalez vos récriminations ! Elles ne serviraient qu’à resserrer la surveillance autour de vous jusqu’à ce que vous soyez remise à votre époux. Après, elle se souciera de vous comme d’une guigne parce qu’elle espère bien ne plus vous voir grâce au vieil Hector qui vous gardera sous clef. C’est une chose entendue entre eux. Vous n’aurez donc pas à soutenir un effort interminable, conclut-elle avec une satisfaction qui effaça chez la jeune fille le semblant de sympathie que lui avait inspiré le sourire de tout à l’heure.
— Je ferai de mon mieux ! Siffla-t-elle entre ses dents, après quoi le silence régna jusqu’à ce que l’on fût dans la cour du Louvre.
Normalement, seules les princesses étaient autorisées à y pénétrer avec leurs équipages mais la voiture appartenant à Marie de Médicis, le corps de garde la laissa passer et s’arrêter à l’entrée de l’escalier particulier de la Reine où veillaient des gardes en bleu et blanc.
Si le vieux Louvre était imposant de loin, il perdait les trois quarts de sa magnificence quand on y entrait à cause de ses murs d’un gris terne et sale. Mais la nouvelle venue eut à peine le temps de se demander comment une femme aussi amie du faste que Marie de Médicis pouvait s’en accommoder : le temps de franchir une porte et l’antique demeure dégradée – bien qu’il y eût tout de même, dans un coin de la cour, des échafaudages annonçant des travaux ! – se changeait comme par magie en demeure de conte de fées. Tout le luxe florentin associé à un certain goût français s’y révélait : escalier de marbre, tapis, tentures murales, miroirs, statues d’albâtre ou de bronze, meubles dorés, riches livrées. Plus encore qu’à Fontainebleau, il s’étalait ici avec profusion. Sur l’ensemble flottait une odeur de cuisine plutôt incongrue :
— Leurs Majestés sont à table, annonça Mlle du Tillet. Je vais vous conduire à votre logis. Provisoire puisque c’est l’une des amies de la Reine qui vous hébergera en attendant votre mariage. Sans le savoir d’ailleurs...
Les appartements de la Reine s’étendaient tout le long de la Seine et à l’étage supérieur se trouvaient les pièces dont pouvaient disposer les personnes qu’elle honorait de son amitié comme la princesse de Guise et sa fille, la princesse de Conti, ou encore Mme de Montpensier. Un autre était à la disposition des dames de service par quartiers quand elles n’habitaient pas dans le proche environnement du Louvre. Un autre encore était attribué à sa sœur de lait.
— Vous disposez d’un appartement, je suppose ? demanda Lorenza pensant qu’elle allait demeurer sous la tutelle de la dame.
— Non. Je réside tout près d’ici mais, jusqu’au mariage, vous logerez dans deux pièces appartenant à Mme de Montpensier qui est la meilleure personne du monde et qui est absente de Paris en ce moment. Vous y serez bien. Veillez seulement à ne pas faire de bruit.
— Je n’ai nulle raison d’en faire. Pourquoi ?
— Vous allez être la voisine de la favorite de Sa Majesté.
— Vous voulez dire de la maîtresse du Roi ? fit Lorenza, abasourdie.
— Mais non, pauvre sotte ! Qu’allez-vous chercher là ? Celle de la Reine. Le terme est peut-être un peu fort mais on peut l’appeler ainsi ! expliqua Mlle du Tillet avec un ricanement déplaisant. En outre, c’est une femme de chez vous : une nabote, sèche, noiraude, laide comme le péché, qui porte presque toujours un voile noir assez lugubre.
— Elle est si hideuse que cela ? demanda Lorenza qui savait parfaitement de qui il était question mais souhaitait apprendre ce qu’en pensait cette femme.
— Le voile n’est pas destiné à la cacher mais à la préserver du mauvais œil. Elle est consciente qu’on la déteste et aussi qu’on la redoute : le voile lui permet de fuir les regards. Elle vit le plus souvent dans son appartement – dont on dit qu’il est fastueux ! -et n’en sort que le soir quand la vie de cour prend fin. Elle descend alors rejoindre la Reine par un escalier intérieur et ce sont de longs conciliabules en tête à tête dont rien ne transpire sauf lorsqu’au matin la Reine a changé d’avis sur une affaire quelconque, mais nul ne s’en étonne. Tout le monde ici sait que la Galigaï tient la Reine entre ses mains !