— Comment est-ce possible ? Ma cousine n’a-t-elle pas un confesseur pour la conseiller ?
— L’un n’empêche pas l’autre. C’est quand celui-ci s’est retiré que l’égérie fait son entrée. Souvent tard dans la nuit... C’est d’autant plus étonnant qu’elle est dame d’atour.
— Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas ! Le Roi ne passe-t-il pas la nuit avec son épouse ?
— Si... en principe, mais il accorde peu de temps au sommeil. Il joue, va chez la maîtresse de l’heure ou s’enferme avec un ministre. De toute façon, il se couche toujours tard et sa femme compense en se levant tard...
— Comment s’appelle la femme au voile ?
— C’est la dame Concini. Elle a réussi à épouser le plus beau garçon parmi les Florentins que l’on nous a amenés mais c’est la plus ancienne amie de notre souveraine...
Les deux femmes passaient alors devant la porte d’un appartement qui s’ouvrit au même instant pour livrer passage à un jeune homme vêtu avec la dernière élégance de velours grenat brodé d’argent. Brun, la moustache conquérante et l’œil de feu, il arborait un large sourire à belles dents blanches. A la vue de ces femmes, il salua avec une grâce de danseur :
— Mademoiselle du Tillet ! Quel plaisir extrême !... Et en aussi charmante compagnie ! Cette demoiselle doit être celle dont tout le monde parle et que le vieux Sarrance va avoir la chance incroyable d’épouser ? En vérité, c’est grand dommage de donner tant de beauté à un barbon et...
— Faites attention à ce que vous dites, signor Concini ! Ce barbon pourrait vous couper les oreilles s’il vous entendait...
— Mais il ne m’entend pas ! Au surplus, il se pourrait que ce soit moi qui les lui coupe un jour ! Faire une veuve d’une telle beauté ! Quelle tentation !
— Belle idée ! Vous devriez en parler à votre épouse... Venez, ma chère, nous n’avons perdu que trop de temps !... Quel rustre, en vérité ! s’écria-t-elle quand il eut disparu au bout de la galerie. Je ne comprendrai jamais ce que la Reine peut trouver d’amusant en ce bellâtre. Le Roi, lui, déteste le couple et il a tenté à plusieurs reprises de s’en débarrasser, mais son épouse pousse les hauts cris dès qu’il met le sujet sur le tapis ! Il a dû en passer par toutes les exigences que la femme souffle à la Reine : non seulement il a autorisé le mariage mais il leur a donné de l’argent et il a accepté que la conjointe occupe l’une des charges les plus importantes de la maison de Sa Majesté. Que ne ferait-on pas pour avoir la paix dans son ménage !
— Il me semblait pourtant que, voici peu, il voulait répudier ma bonne marraine, ce qui l’eût débarrassé de tout le monde ! Et je comprends d’autant moins ce que je fais ici !
Debout au milieu de la chambre où elle venait de l’introduire, Mlle du Tillet prit un temps pour regarder la jeune fille d’une façon bizarre. Un peu comme si elle la découvrait :
— Décidément vous êtes plus intelligente que je ne croyais ! Lâcha-t-elle au bout d’un instant...
— Vous me faites beaucoup d’honneur ! Dois-je vous remercier ?
— Si vous voulez, mais faites en sorte que l’on ne s’en aperçoive pas ! Surtout la Reine ! Auprès d’elle, mieux vaut passer pour une bécasse que pour une lumière !
— Vous avez déjà dit qu’elle ne m’aimait pas ! Qu’est-ce que cela changerait ?
— Peut-être que... mais il est vrai qu’elle n’aura pas longtemps à vous supporter ! Bon ! Vous voici chez vous jusqu’au mariage. Installez-vous ! Des valets vont apporter vos coffres et ensuite on vous servira à dîner car vous ne devez pas bouger d’ici. La Reine viendra vous voir ce tantôt !
Et, sans plus d’explications, elle disparut dans un grand froissement de taffetas. La porte ne s’était pas même refermée qu’Honoria, entrée sur les talons de la comtesse, entamait la litanie de ses récriminations :
— Est-ce là l’hospitalité d’une souveraine ? Deux chambres, deux lits et presque pas de meubles ? Il est vrai qu’une fois les coffres arrivés on ne pourra plus bouger ! On se marchera sur les orteils.
Pour une fois, elle avait raison mais Lorenza, plus lasse que si elle venait de faire le tour de Paris en courant, n’avait pas envie de discuter :
— Je ne demande pas mieux que de rentrer à l’ambassade et vous laisser la place ! Malheureusement...
— Ne comptez pas me voir regagner ce trou à rats si c’est ce à quoi vous pensez ! Je me réserve seulement de me faire entendre de la Reine ! Cette Madame de je ne sais quoi...
— Du Tillet !
— Si vous voulez ! Cette du Tillet a dû interpréter ses ordres n’importe comment !
Elle disserta sur ce thème jusqu’à ce que vienne le repas... qui ne lui plut pas et qu’elle jugea insuffisant... Ce qui était vrai d’ailleurs : on n’avait prévu que pour une personne mais comme Lorenza n’avait pas faim, sa tante put reprendre suffisamment de forces en vue de l’auguste visite de l’après-midi. Aussi, quand la porte s’ouvrit sur l’ample silhouette de Marie de Médicis, ne perdit-elle pas une seconde pour se jeter à ses pieds :
— Ah, Madame !... Ah, Votre Majesté ! Que la Reine est donc bonne de venir à nous ! Elle va pouvoir constater par elle-même du peu de cas que l’on fait de nous et comment l’on interprète les ordres de la Reine ! Oser nous entasser dans ces deux chambres ridicules...
Les gros yeux bleus se posèrent sur elle avec un franc dégoût :
— Retournez d’où vous venez ! Vous n’avez pas été invitée !
— Mais je...
— Sortez ! On y verra plus clair ! Où es-tu, Lorenza ?
— Ici, Madame ! fit la jeune fille en sortant de derrière les rideaux du lit.
— Je veux que l’on vide tes coffres devant moi afin de m’assurer que tu as ce qu’il faut pour figurer convenablement à tes épousailles !
— Votre Majesté ne devrait pas s’inquiéter. La grande-duchesse Christine y a veillé elle-même et je crois ne manquer de rien !
— C’est ce que nous allons voir ! Allons ! Que l’on se hâte ! Ouvrez tous ces coffres !
Ce qui suivit tint du cauchemar. On fit sortir Honoria, Bibiena et Bona. Puis deux des caméristes de la Reine vidèrent le contenu des lourdes malles de voyage mais Lorenza comprit vite qu’il ne s’agissait pas de vérifier s’il ne lui manquait rien mais bien d’inventorier toutes les richesses venues de Florence. Chaque robe était dépliée, présentée à Marie qui ne cessait de s’extasier sur l’habileté des couturières florentines, regrettant visiblement qu’aucune de ces choses ravissantes ne soit à sa taille. Enfin on passa aux cassettes à bijoux qui n’étaient pas à dédaigner. Outre les joyaux qu’elle tenait de sa mère et de ses aïeules, Lorenza avait reçu du couple grand-ducal de magnifiques présents en vue de son mariage avec Vittorio, présents qu’on ne lui avait pas repris. Seuls l’émeraude des fiançailles et les autres dons des Strozzi avaient été rendus.
L’inventaire dura un moment... L’œil émerillonné, la narine frémissante, Marie de Médicis prenait les pièces l’une après l’autre, les comparait, les posait sur son poignet, sa gorge ou ses doigts. Quand ce fut fini, elle avait mis de côté une parure de perles roses et de petits diamants, deux bracelets assortis de saphirs, d’émeraudes et de perles et une agrafe de manteau composant un bouquet de fleurs multicolores réalisé en pierres précieuses.