Выбрать главу

Une chose la réconfortait : l’homme – un compatriote sans aucun doute ! – n’avait pas été capturé. Il était toujours libre, ce qui laissait un espoir !... Bien ténu assurément car il savait à présent que Sarrance se protégeait contre ses coups. En outre, il n’y avait aucune chance de réussite avant qu’elle ne lui soit livrée puisque toute la Cour allait entourer le couple jusqu’au seuil de la chambre nuptiale...

Ce qui suivit fut comme l’un de ces mauvais rêves dont on essaie vainement de se libérer sans que le retour à la réalité apporte un apaisement. On la baigna, on la massa, on la parfuma, on l’habilla et enfin on la coiffa avant de la conduire chez la Reine où son entrée fit sensation. Dans la robe de satin blanc brodée d’or qu’elle aurait dû revêtir pour rejoindre Vittorio Strozzi au Duomo afin de lui jurer à jamais amour et fidélité, elle était belle à couper le souffle en dépit de sa pâleur. Suivant la mode de Florence, l’ample jupe se terminait par une courte traîne dépouillée des disgracieux vertugadins, et la grande collerette en éventail – de délicate dentelle parfilée d’or – encadrait avec grâce un cou de cygne le long duquel des grappes de perles tremblaient jusqu’aux douces rotondités de jeunes seins qu’aucune baleine n’aplatissait. Des peignes et des épingles ornés de perles remontaient la masse somptueuse des cheveux tressés en nattes soyeuses sous une résille d’or et de perles d’où partait un voile court de la même dentelle qui composait la collerette. A l’exception des pendants d’oreilles, aucun autre bijou n’altérait la ligne pure de la gorge. Pas davantage aux poignets, aux doigts, à la ceinture ou sur le devant d’une robe dont la magnificence n’avait nul besoin de cette surcharge.

Enfermée dans son désespoir, Lorenza ne vit aucun de ceux à qui on la présentait, même les souverains auxquels elle rendit comme une somnambule l’hommage mécanique des révérences. Le seul visage qu’elle cherchât, celui de Giovanetti, ne parut pas et quand le cortège se mit en marche pour gagner l’église voisine de Saint-Germain-l’Auxerrois, elle prit place machinalement entre les deux femmes qui allaient la mener à l’autel : sa tante Honoria, raide d’orgueil sous des moires quasi épiscopales cousues d’améthystes et de petites perles, et Mme de Guercheville représentant la Reine. Avant de sortir cependant, une main inconnue disposa un manteau sur ses épaules, ce qui la réchauffa car elle se sentait glacée.

Dehors, il faisait froid et humide mais le trajet était court jusqu’aux portes de l’église où, dans le chœur brasillant de cierges allumés, attendait l’époux auprès duquel ses deux compagnes la conduisirent. C’est à cet instant que se déchira l’espèce de cocon brumeux qui l’enveloppait depuis des heures. Allait-on vraiment la donner à cet homme grisonnant qui la regardait avec une concupiscence qu’il ne cherchait même pas à dissimuler ?

Il s’était fait beau pour la circonstance : pas beaucoup plus soucieux de son apparence que le Roi lui-même en temps habituel, le marquis Hector arborait ce soir-là pourpoint et chausses de velours feuille-morte soutachées ton sur ton sous une fraise de dentelle raide d’empois donnant l’impression que sa tête était posée sur un plateau. Une tête aux cheveux taillés courts, à la barbe soignée et dont le large sourire, tandis qu’il regardait venir celle qu’on lui offrait, prouvait qu’il avait dû se laver les dents. Il répandait une puissante odeur d’ambre qui acheva de ramener Lorenza sur terre en la faisant éternuer à plusieurs reprises, ce qui suscita quelques rires étouffés dans l’assemblée. Mais le prêtre en chasuble rouge s’avançait à présent vers les « fiancés » escorté d’un premier enfant de chœur balançant un encensoir et d’un second portant les anneaux sur un petit plateau... L’orgue se tut alors afin que tous puissent entendre les paroles sacramentelles.

Hector affirma d’une voix forte et triomphale sa volonté d’épouser la demoiselle Davanzati mais quand vint le tour de Lorenza et qu’il se tourna vers elle, il n’obtint que le silence. Un silence d’autant plus profond que tous, à cet instant, retenaient leur souffle pour n’en rien perdre.

L’officiant fronça le sourcil, se racla la gorge afin d’attirer l’attention de cette mariée qui regardait obstinément la croix dominant l’autel.

— Veuillez me faire face et répondre, demoiselle ! fit-il avec sévérité. Acceptez-vous de prendre pour époux Hector-Louis-Joseph, marquis de Sarrance ici présent ? Jurez-vous de lui être...

A ce moment, Lorenza se tourna vers lui et exhala un « non » faible encore que très net mais qui ne satisfit pas le célébrant :

— Je n’ai pas entendu ! Veuillez répéter, ma fille !

Lorenza redressa le front pour le regarder dans les yeux et allait lâcher, cette fois, un refus formel quand une main s’abattit brutalement sur sa nuque l’obligeant à courber la tête – signe d’assentiment ! – tandis que la surprise lui arrachait un léger cri qu’avec beaucoup de bonne volonté on pouvait prendre pour un oui déformé... et dont le prêtre voulut bien se contenter. Quelques secondes plus tard, elle était unie à Hector de Sarrance. Après le coup, évidemment, elle avait tenté de voir de qui il provenait mais ne vit qu’une foule chamarrée dont les yeux étaient fixés sur les grands cierges de l’autel. Elle était bel et bien prise à un piège impitoyable où sa volonté, sa personnalité même n’existaient plus. Ces étrangers l’avaient dépouillée de tout. De sa fortune comme de son nom et tout à l’heure elle allait entrer dans la maison de cet homme qui n’avait pas lâché sa main depuis qu’il y avait passé l’anneau quelque tentative qu’elle eût faite pour la lui retirer et qui, la cérémonie – assez brève d’ailleurs ! – achevée, la posa sur son bras et l’y maintint fermement pour sortir de l’église.

En dépit de l’heure tardive, il y avait dehors une petite foule pour acclamer la mariée mais aussi le Roi et ses gentilshommes – la Reine rentrait au Louvre ! – et l’on fit largesse aux pauvres. Tous ces inconnus semblaient incroyablement heureux et nul ne s’aperçut que sous le voile rabattu sur le visage de cette trop belle mariée, les larmes coulaient en silence.

Au son d’une musique allègre, on gagna l’hôtel de Sarrance illuminé mais dont Lorenza ne vit rien parce que, le portail à peine franchi, elle s’écroula sur le chemin de fleurs qu’on y avait jeté...

La sensation de délivrance ressentie en perdant connaissance – comme c’était la première fois elle s’était crue en train de mourir ! – ne dura pas. La réalité s’imposa quand, rouvrant les yeux, elle vit plusieurs visages féminins penchés sur elle, inconnus pour la plupart et qui parlaient tous à la fois. L’odeur des sels d’alcali lui piquait le nez cependant qu’une main anonyme lui appliquait des claques sur les joues. Pour couronner le tout, la voix sèche d’Honoria se fit entendre :

— Veuillez-vous reculer, Mesdames, vous allez l’étouffer.

Les visages disparurent. Leur succéda celui de Bibiena qui lui bassina les tempes avec de l’eau de senteur en marmonnant des réflexions guère flatteuses. Enfin, on lui fit boire quelque chose de fort et de sucré qui lui brûla la gorge mais acheva de la ramena à la réalité.

Peu souriante, la réalité ! On l’avait étendue sur une sorte de chaise longue devant le feu flambant d’une chambre lambrissée de bois sombre sous un plafond à caissons rouge, noir et or, assortis aux couleurs d’un vaste lit à colonnes ouvert dont les draps étaient parsemés de petites fleurs. Entre ce monument et elle, des dames allaient et venaient en bavardant comme dans un salon et examinaient au passage un meuble ou un objet. Il flottait une odeur de peinture fraîche. Des profondeurs de la maison, parvenaient les échos d’une bacchanale : cris, jurons et chansons mêlés sur un fond musical qui s’efforçait courageusement de prendre le dessus.