En se redressant avec l’aide de Bibiena, Lorenza vit, en face d’elle, Mlle du Tillet, les bras croisés sur la poitrine qui l’observait. Aussitôt elle appela :
— Elle est revenue à elle, Mesdames ! Je crois que nous allons pouvoir procéder au coucher. L’époux ne devrait plus tarder ! M. de Termes doit veiller à ce qu’il ne boive pas plus que de raison !
En dépit des protestations vigoureuses de Bibiena et de la faible défense de la jeune fille, les dames s’emparèrent d’elle pour la dévêtir, l’une ôtant la collerette, l’autre la robe, d’autres encore les jupons, les souliers et les bas de soie retenus par des jarretières brodées de perles jusqu’à ce que la jeune fille ne soit plus couverte que de sa chevelure dont la nourrice avait réussi à s’assurer l’exclusivité non sans quelque vigueur afin que ces mains impatientes ne lui tirent trop les cheveux. Puis on la mit debout pour lui passer une longue et fine chemise de mousseline et de dentelles qui ne cachait pas grand-chose de son corps. Au supplice, la malheureuse dut supporter les commentaires admiratifs ou graveleux de ces femmes qui se comportaient comme si elle n’était qu’une poupée et non un être de chair et de sang. L’idée générale tournait autour du plaisir que le vieux Sarrance aurait à disposer à sa guise d’une aussi fraîche beauté. Lorenza cacha son visage dans ses mains pour que ces harpies ne la voient pas pleurer. Enfin, une voix courtoise mais autoritaire la délivra :
— Il suffit, Mesdames ! Respectez au moins l’innocence et retirez-vous ! D’ailleurs, nous repartons sur l’heure, même donna Honoria et la femme de chambre ! Ainsi le veut le marquis !
Quand elle la prit par la main pour la conduire vers le lit, Lorenza reconnut Mme de Guercheville qui lui sourit avec gentillesse en lui offrant un mouchoir :
— Elles sont plus sottes que méchantes, dit-elle. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne le soient pas aussi ! Je dirais : surtout envieuses.
La jeune fille s’efforça de lui rendre son sourire :
— Envieuses ? Je céderais ma place sans hésiter à celle qui le voudrait... avec bonheur même !
— Je n’ai aucune peine à vous croire ! Si cela peut vous consoler, dites-vous que, dans cette cour comme dans tous les entourages royaux, les mariages d’amour se comptent sur les doigts d’une seule main...
— Et pourtant... cela aurait pu être !
— Je sais. Essayez de n’y plus penser... et glissez-vous vite dans les draps. Le Roi et ses gentilshommes sont déjà dans l’escalier pour escorter votre époux.
Comprenant ce qu’elle sous-entendait, Lorenza ne se le fit pas répéter. La dame d’honneur se pencha alors sur elle pour déposer un baiser sur son front :
— Courage ! Pensez que cela aurait pu être pis ! Sarrance n’est pas un mauvais homme... au fond !
L’écho des chansons accompagnées au luth se rapprochait. La porte s’ouvrit. D’un geste instinctif, Lorenza remonta le drap jusque sous son menton et s’y cramponna en s’efforçant de maîtriser un soudain tremblement.
Le Roi entra donnant le bras au marié qui avait échangé son velours feuille-morte pour une robe de chambre à grands ramages noir et rouge. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, ils étaient sobres l’un et l’autre mais alors que le premier était très souriant, le second semblait mal à son aise.
— Belle dame, voilà votre époux que je vous amène ! clama Henri de son bel accent gascon. Soyez-lui douce et accueillante ! Je crois, ventre-saint-gris !, qu’il a un peu peur de vous, lui qui n’a jamais craint qui que ce soit au monde ! Madame de Guercheville, je suis bien votre serviteur ! Voulez-vous accepter mon bras pour que je vous ramène chez la Reine ?
— Un tel honneur ! Avec joie, Sire !
— Allons-y donc et laissons le marquis et la marquise à un tête-à-tête que nous espérons fort doux ! Et point de révérences, s’il vous plaît ! Nous sommes déjà partis !
L’instant suivant, la porte se refermait sur une clameur faite de rires et de vœux de bonheur qui alla en diminuant avant d’envahir la rue et de disparaître finalement dans le lointain. Lorenza était seul avec l’homme à qui l’on venait de la vendre. Ses doigts glacés à force de se crisper serrèrent plus fort le drap...
Chapitre VI
Une nuit d’horreur
Un long moment, appuyé à l’une des colonnes du lit, Hector regarda Lorenza dont il ne voyait plus, à présent, que les yeux démesurément agrandis au-dessus de la toile blanche du drap sous lequel elle tremblait. Il avait bu sans doute mais pas assez pour perdre le contrôle de soi-même et jouissait visiblement de la peur qu’il inspirait... Il s’en pourléchait même, sa langue ne cessant d’humecter ses lèvres sèches. On aurait dit un loup retranché derrière un arbre savourant d’avance un agneau terrifié et ses yeux luisaient sous l’aplomb broussailleux des sourcils, pleins d’une méchanceté inattendue qui n’avait plus rien à voir avec le désir.
Soudain il se pencha, empoigna le drap si brutalement qu’il le déchira sur toute sa longueur mais il n’eut pas le temps de s’abattre sur sa proie. Avec un cri de terreur, Lorenza avait sauté du lit et cherché refuge derrière l’un des rideaux de velours rouge tirés sur les fenêtres mais de même qu’il était plus fort qu’elle ne l’avait cru, il était aussi plus agile et d’un saut il fut sur elle, l’arracha d’une main à son refuge précaire tandis que, de l’autre, il la dépouillait de sa chemise avant de l’envoyer sur le carrelage devant la cheminée :
— Garce ! Cracha-t-il alors, tu as imaginé te débarrasser de moi en me faisant assassiner, hein ? Mais tu vas me le payer, ma belle ! C’est bien à toi ça ?
Et elle eut sous les yeux la dague au lys rouge dont la pointe était brisée. Pensant qu’il allait l’en frapper, elle voulut reculer mais elle était à terre et trop près du feu dont la brûlure la repoussa d’instinct. Alors, Hector la traîna par les cheveux jusqu’aux deux marches surélevant le lit. Leurs angles meurtrirent sa nuque et son dos, la rendirent plus consciente. Il tira avec force sa chevelure, se pencha sur elle en lui soufflant à la figure son haleine avinée, et reprit :
— Tu vas répondre, bougresse ? C’est bien à toi ?
Elle gémit tandis que la douleur lui arrachait des larmes :
— Le grand-duc Ferdinand... me l’a donnée. Elle avait tué Vittorio Strozzi mon cher fiancé... mais je l’ai perdue... et ce n’est pas moi qui vous ai frappé...
— Alors c’est un homme à toi ? Ton amant sans doute ? Tu en as eu combien, sale petite putain ?
— Jamais !... Aucun !... Et je me demande, si c’est ce que vous croyez, pourquoi vous avez voulu m’épouser ?
— C’est bien facile à vérifier !
Il la repoussa pour se débarrasser de sa robe de chambre. Son corps était sec, abondamment poilu, portant la trace d’anciennes blessures ; il exhibait entre ses cuisses, avec un sourire vaniteux, un appendice violacé aussi répugnant qu’un serpent mais dont il n’eut pas le temps de se servir. Affolée, Lorenza roula sur elle-même, se releva, s’empara de la dague qu’il avait laissée tomber et voulut fuir sans se soucier de sa nudité. Mais la porte était fermée et le mari en avait glissé la clef dans la poche de sa robe de chambre. Il revint vers elle avec un mauvais sourire :