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— Je crains qu’elles ne soient pas meilleures. La fièvre s’est emparée de cette pauvre fille et notre médecin qui se trouve en ce moment auprès d’elle s’interroge visiblement. Mais voyons ce que vous avez à m’apprendre !

— En vous quittant, je suis rentré me changer puis je me suis rendu à l’hôtel de Sarrance que j’ai trouvé gardé par le guet. Le prévôt de Paris, M. d’Aumont, que mon père connaît bien, était dans l’hôtel et m’a permis d’entrer...

— Que s’était-il passé pour qu’il soit là ?

— M. de Sarrance a été tué. Il était étalé sur l’escalier sans autre vêtement que le sang qui avait coulé de sa gorge tranchée.

Les beaux yeux outremer de la marquise s’agrandirent d’effroi :

— La gorge... mais qui a fait cela ? Pensez-vous que ce soit... elle ? ajouta-t-elle en regardant le plafond.

— Étant donné l’état où elle se trouvait, elle n’en aurait pas eu la force. Ne vous a-t-elle rien confié ?

— Si. Quand elle a été réchauffée, elle a pu me raconter que ce monstre l’avait accusée d’avoir voulu le faire assassiner et qu’il était resté en vie grâce au port d’une cotte de mailles ; qu’il a voulu ensuite la violer et, comme elle tentait de lui échapper, il s’est emparé d’un fouet et l’a mise dans l’état que vous savez. Par chance, en tentant de se protéger, elle a pu prendre sur un coffre un objet en bronze qu’elle lui a jeté à la tête. Il s’est écroulé et c’est alors qu’elle a pu s’enfuir... Mais si je comprends bien, en fait de statuette, c’est d’un poignard dont elle aurait usé ?

— Non. J’ai oublié de vous dire que le cadavre a été frappé au front par quelque chose de très dur qui a laissé des traces. Donc elle a dit vrai mais quelqu’un d’autre a dû se charger de finir le travail. Si l’on en croit donna Lorenza c’est dans sa chambre que Sarrance est tombé ?

— En effet, mais...

— Et c’est dans l’escalier qui en est assez éloigné qu’on l’a découvert. Quant à moi j’ai récupéré dans la chambre le fouet gluant de sang dont cette brute s’est servie. Pourrais-je la voir ?

— Plus tard. On lui a donné un opiacé afin qu’elle dorme un peu. Nous ne parvenions pas à la calmer... Mais quelle terrible histoire !

— C’est pourquoi j’ai pensé venir vous en rendre compte aussi vite que possible puisque, cette nuit, vous ne souhaitiez pas que le bruit de sa présence chez vous se répande...

— Et je le souhaite encore moins qu’hier ! s’écria Mme de Verneuil dont la nervosité grandit d’un seul coup. Ne nous y trompons pas, mon cher, il n’y aura qu’une seule voix au Louvre pour l’accuser du crime ! Si on la sait chez moi, je serai celle qui abrite une meurtrière ! De là à ce qu’on m’envoie rejoindre mon frère à la Bastille !... Je me suis mise dans une situation insensée ! Quelle idée ai-je eue, mon Dieu, de m’en inquiéter !

Un petit rire se fit entendre à l’entrée de la salle :

— Vous n’allez tout de même pas prier M. de Courcy de l’emporter sur son dos pour aller la remettre à l’eau ? Voyons, ma fille, reprenez-vous ! Je vous ai connue plus combative.

Une dame d’une soixantaine d’années s’avançait, claudiquant légèrement, la main sur une canne à pommeau d’or. Le velours noir dont elle était vêtue, éclairé d’un col et de manchettes en dentelle blanche, rendait pleine justice à un joli visage resté frais en dépit de quelques rides fines.

L’ancienne favorite de Charles IX eut un sourire pour le jeune homme et vint s’asseoir dans un fauteuil tendu de tapisserie au point de Hongrie. Henriette haussa les épaules :

— Je crois l’être toujours autant, ma mère, mais je n’ai guère de raisons de rompre des lances pour cette fille qui ne m’est rien et que j’aurais même de bonnes raisons de détester. N’est-elle pas le prix payé par Florence pour empêcher le Roi de répudier cette grosse harpie ?

— Elle n’y est pour rien, la malheureuse. Elle n’imaginait certainement pas qu’on la menait à sa propre perte. Quant à vous, je m’étonne que votre finesse naturelle ne vous fasse pas saisir l’occasion qui se présente à vous de faire preuve d’une vraie grandeur d’âme.

— J’avoue avoir quelque peine à vous suivre !

— Je vais vous éclairer... Depuis combien de temps le Roi vous laisse-t-il sans nouvelles ?

— Je n’en sais rien ! lança Henriette avec un coup d’œil vers Thomas qui commençait à sentir un peu de gêne. C’est d’ailleurs sans importance !

— Tant mieux si vous le voyez ainsi, mais si vous m’en croyez-vous allez prendre votre plus belle plume pour le prier de venir vous voir...

— Moi ! Que je le prie de... vous rêvez, ma mère !

— ... Avec le plus de discrétion possible, pour vous entretenir avec lui d’une affaire grave, poursuivit Mme d’Entragues sans se laisser démonter.

— Et que voulez-vous que je lui dise ?

— Décidément, il faut tout vous expliquer ! N’est-ce pas d’une grande âme d’avoir recueilli celle dont la fortune vous a enlevé votre dernière chance de devenir reine et, dont, en outre, on chuchote que ce cher Henri ne l’avait donnée à Sarrance qu’avec l’arrière-pensée de la mettre dans son lit... à votre place ? Lui apparaître sous ce jour nouveau pourrait changer bien des choses... surtout si vous lui donnez l’occasion de vous revoir sans blesser son amour-propre. Il faut avouer, ma fille, que vous lui en avez fait voir de toutes les couleurs ! Mais je jurerais qu’en vous revoyant, il ne résistera pas.

— Vous croyez ? fit Henriette ébranlée. Il demandera à voir cette fille qui lui plaît tant.

— Dans l’état où elle est, vous ne risquez pas grand-chose ! M. de Courcy, ajouta-t-elle en se tournant vers Thomas avec un sourire charmant, vous êtes aux chevau-légers et, ami, me semble-t-il, d’Antoine de Sarrance ?

— En effet, Madame, un frère ne serait pas plus proche...

— De plus, si j’ai bien entendu, vous avez en votre possession le fouet dont s’est servi cet étrange époux ?

— Vous avez bien entendu.

— Le Roi vous voit d’un bon œil, je pense ?

— Sa Majesté m’a toujours honoré d’un accueil favorable chaque fois qu’il m’a été donné de la rencontrer.

— Parfait. Vous chargeriez-vous de lui porter la lettre dont je viens de parler ? Sans cacher votre rôle dans le drame de cette nuit, bien sûr. Peut-être choisirait-on de vous accompagner ici sur l’heure auquel cas vous accepteriez peut-être de vous munir du fameux fouet ?

— Je n’y vois aucun inconvénient, Madame... bien au contraire puisque, au lieu de chercher quelle solution adopter pour donna Lorenza, nous n’aurons plus qu’à suivre les ordres de Sa Majesté.

Le sourire de la vieille dame s’élargit tandis que ses yeux bleus – les mêmes que ceux d’Henriette ! – brillaient d’un éclat plus vif :

— Vous avez tout compris ! Vous aussi, ma fille ?

— Je vais dans l’instant écrire cette lettre. Si vous voulez bien patienter un moment, baron, je vais vous faire servir du vin d’Espagne pour agrémenter votre attente.

Une demi-heure plus tard, la lettre en poche, Thomas s’apprêtait à reprendre son cheval quand il vit arriver le prince de Joinville qu’il savait des familiers de la maison.

Comme tout un chacun d’ailleurs, le plus jeune des princes lorrains était de ces heureuses natures ennemies jurées de toute dissimulation, qui entendent vivre au grand jour sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Peut-être parce qu’il n’était pas follement intelligent !... C’était une âme simple, ennemie de l’intrigue[14], un épicurien sans le savoir, volontiers batailleur et prenant un plaisir extrême à en découdre avec ses contemporains que ce soit en duel ou à la guerre mais sans être le moins du monde sanguinaire. Il aimait par-dessus tout le Roi, auquel il vouait une fidélité indéfectible – une rareté chez les princes lorrains ! –, ainsi que les femmes, associant curieusement l’un et les autres dans son cœur car il prenait plaisir à devenir l’amant de celles qu’Henri avait honorées de ses faveurs et c’est ainsi que Mme de Verneuil avait accepté de lui quelques consolations quand le Béarnais boudait. Sans trop se faire prier d’ailleurs : jeune, de haute taille, bien bâti, blond avec des traits fins et des yeux bleus un peu globuleux, le futur duc de Chevreuse plaisait presque autant aux dames que son ami Bassompierre, autre séducteur, autre Lorrain aussi avec lequel Claude de Joinville avait fait son entrée à la cour de France.