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— Et le roi de France a le feu au sang ?

— C’est chez lui un état permanent. On ne compte plus ses maîtresses et il leur permet trop souvent d’exercer sur lui une influence déplaisante. Avant d’épouser Marie, il était passionnément épris d’une très belle jeune fille, Gabrielle d’Estrées, qui lui a donné trois enfants, reconnus, et dont il aurait légalisé la situation si elle n’était morte fort opportunément la veille de la célébration du mariage.

— Par le poignard ?

— Non, un accouchement difficile et le poison... Henri l’a beaucoup pleurée... jusqu’à ce qu’il en rencontre une autre : Henriette d’Entragues dont il a fait une marquise de Verneuil, moins belle peut-être mais plus séduisante parce que bourrée d’esprit et sachant le manier avec une habileté diabolique. Il lui avait même signé une promesse de mariage – alors que les pourparlers d’union avec ma nièce étaient déjà engagés ! – si elle lui donnait un fils dans l’année. Par bonheur, l’enfant n’a pas vécu et Henri a épousé Marie. Depuis, il ne cesse d’aller de l’une à l’autre et les deux femmes se haïssent ouvertement. Marie accable Henri de scènes épouvantables oubliant un peu trop souvent qu’il est le Roi et le ministre Sully passe son temps à jouer les bons offices et à les réconcilier mais, cette fois, Marie a dépassé les bornes et Henri veut s’en débarrasser. On vient de me faire savoir qu’il a écrit au pape en ce sens. Voilà où nous en sommes !

Le grand-duc ayant terminé l’exposé de la situation, un silence s’ensuivit que Lorenza employa à assimiler ce qu’elle venait entendre. Enfin, elle se risqua :

— Monseigneur, je suis flattée de la confiance que Votre Altesse me témoigne en me racontant ces faits mais je ne vois pas en quoi je pourrais le servir ? A moins que...

Elle ne put réprimer une grimace qui en disait plus long qu’un discours et Ferdinand éclata de rire :

— Si tu t’imagines que je veux t’envoyer séduire le roi de France, tu te trompes, Lorenza mia. Je respecte le sang qui nous est commun !...

A ce moment, les portes s’ouvrirent à deux battants pour livrer passage à la grande-duchesse visiblement préoccupée. Ferdinand fronça le sourcil mais n’en alla pas moins à sa rencontre, lui offrit la main et la mena à son fauteuil. Christine l’en remercia d’un léger sourire :

— Pardonnez-moi cette intrusion, mon seigneur époux, mais j’apprends que vous avez fait mander Lorenza. Vous savez qu’elle m’est chère et...

— ... et j’aurais dû vous inviter à l’accompagner ! Soyez sans crainte, je ne lui ai encore rien dit de très important sinon les raisons pour lesquelles nous pouvons craindre une rupture de nos bonnes relations avec la France.

— Et le retour de cette chère Marie, reprit Christine qui ne devait pas apprécier particulièrement la reine de France si l’on en jugeait l’expression peu enthousiaste qu’elle ne parvenait pas à dissimuler. Ce sera notre tour de vivre l’enfer et peut-être faudrait-il songer à une résidence... un peu éloignée ?

Le grand-duc se mit à rire :

— Je n’ai pas plus envie que vous de la voir revenir mais nous pensons avoir trouvé un moyen, Giovanetti et moi... si toutefois Lorenza veut bien s’y prêter ? ajouta-t-il en se tournant vers la jeune fille.

— S’il ne s’agit pas d’essayer de séduire le Roi, fit celle-ci, toujours méfiante.

— Dans un sens, si, mais pas comme tu l’entends. En deux mots, je voudrais te marier au fils du marquis Hector de Sarrance qui est peut-être son plus ancien compagnon de guerre, un fidèle ami et son conseiller le plus écouté avec son ministre Sully. Or, jusqu’à présent, la reine Marie et Sarrance sont à couteaux tirés : toujours ce fichu caractère ! Et c’est dommage parce que le gentilhomme déteste la marquise de Verneuil...

— Et vous estimez qu’en unissant Lorenza à son fils...

— En mariant la filleule de Marie à son fils ! Rectifia Ferdinand. Oui, je suis persuadé – et Giovanetti aussi – que Sarrance ne pourrait faire autrement que plaider la cause de la souveraine auprès de son époux... Et cela avec d’autant plus d’allégresse que l’argent compte énormément pour lui !

— Il est pauvre ? demanda Christine.

— Pas tout à fait, bien que le Roi ne soit guère généreux envers ses amis. Mais avare, oui ! Ta fortune, Lorenza, a de quoi faire rêver !

— Et vous voulez que j’épouse le fils d’un tel homme ? protesta la jeune fille. S’il ressemble à son père...

— Non. Absolument pas ! Je le crois digne de toi, Lorenza : jeune, beau, vaillant, fier et d’une compagnie des plus agréables d’après notre ambassadeur... Je pense sincèrement que tu pourrais être heureuse tout en sauvant de la honte ta marraine et notre alliance ! Enfin... ce pourrait être salutaire d’oublier ce détail, précisa-t-il en reprenant la dague au lys rutilant. Cet assassin veut que Lorenza et sa fortune restent à Florence. La comtesse de Sarrance devenue française mais dont notre banque continuera à gérer la majeure part des biens, l’intéressera moins !

— Vous êtes gracieux, vous ! répliqua la grande-duchesse. Elle est assez belle pour inciter n’importe quel homme à la folie !

— Sans nul doute mais les passions s’éteignent avec le temps. Pas celle de l’or. Voilà, Lorenza, tu as en main les données du problème. Si tu ne souhaites pas un autre destin, veux-tu te dévouer au service de Florence... et, je te le répète, avoir une chance d’être heureuse ?

Heureuse ? La jeune fille ne pensait pas que ce fût encore possible mais la perspective d’horizons différents et d’une vie nouvelle éveillait sa curiosité et l’éventualité de ne pas finir ses jours entre les quatre murs d’un couvent la tentait. Après tout, c’était une réponse valable aux questions qu’elle ne cessait de se poser. Elle accepta :

— A une condition, cependant, si Votre Altesse veut bien me le permettre...

Ferdinand releva un sourcil. Il n’aimait pas beaucoup les conditions :

— Laquelle ?

— Je voudrais emporter cet objet, fit-elle en désignant la dague aux rubis. Il me semble que là où je vais, je pourrais en avoir besoin...

— La cour de France n’est pas un coupe-gorge ! s’exclama Christine, peinée...

— Loin de moi cette idée, Madonna ! Il y a des armes dans chacune de nos demeures mais si je réclame celle-ci, qui me faisait horreur avant mon consentement, c’est parce que j’ai le sentiment que le sang de Vittorio me protégera.

— Elle est à toi, conclut le grand-duc en la lui tendant.

Quelques jours plus tard, Lorenza quittait Florence en compagnie de l’ambassadeur... Ce dernier était pourtant venu par voie de terre et le plus vite possible mais le grand-duc souhaitait donner au voyage de sa nièce un certain apparat tout en protégeant autant que faire se pourrait les coffres de sa dot.

Malheureusement, il avait fallu embarquer aussi la tante Honoria. Celle-ci l’avait exigé, revendiquant hautement son droit de chaperonner sa nièce comme le voulaient les convenances au lieu de laisser celle-ci courir les mers « dans les bagages » de Giovanetti. En outre, elle désirait revoir la reine Marie quelle avait connue enfant et prétendait « aimer beaucoup », ce qui faciliterait les premiers contacts. Devant le manque d’enthousiasme de Lorenza, elle avait menacé de la précéder, par les chemins de terre ferme, pour annoncer elle-même sa venue.

— Dieu sait ce qu’elle pourrait raconter ! avait expliqué la grande-duchesse à la jeune fille révoltée. J’aurais aimé t’accompagner moi-même et revoir ma famille mais c’est impossible. Quant à Honoria, à moins de l’enfermer – et sous quel prétexte ? – on ne peut l’empêcher d’aller à Paris. Souhaitons seulement qu’elle ne provoque pas de catastrophe avant que ton futur époux refuse de s’en encombrer et nous la renvoie. Ce qui serait préférable pour toi.