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DE CHARYBDE EN SCYLLA

Chapitre VII

Chassé-croisé

Le Roi avait demandé un carrosse fermé dans lequel il prit place avec le seul Thomas, ému de se voir ainsi promu au rôle de confident. Afin d’éviter les curiosités, la voiture avait été amenée à la petite porte du palais. C’était Courcy lui-même qui avait été la commander. Il en avait profité pour prendre, à l’arçon de sa selle, le manteau dans lequel il avait roulé le fouet.

Le parcours se fit en silence. Henri se méfiait de sa voix sonore et le cocher pouvait avoir de grandes oreilles. Quant à son jeune compagnon, il restait fidèle à sa promesse de laisser à Mme de Verneuil la primeur du récit, se contentant de signaler la présence du prince de Joinville au moment où lui-même s’en allait... Le Roi avait alors froncé le sourcil mais sans autre commentaire.

— Allez voir s’il est encore là !

Le jeune officier alla faire un tour à l’écurie mais le solide bai du prince lorrain n’y était plus. Rassuré – en vérité il ne craignait qu’un bavardage inconsidéré de ce fidèle ! –, Henri s’élança hors du véhicule, grimpa quatre à quatre les marches fonçant droit, en habitué, vers la chambre d’Henriette dans laquelle il entra sans frapper. Mais il laissa la porte ouverte, ce qui permit à Thomas, resté discrètement dans la galerie, de ne rien perdre de ce qui allait se passer.

Cette arrivée en boulet de canon ne prit pas la marquise au dépourvu. Elle s’y était préparée au grand désappointement de Joinville qui n’avait obtenu d’elle que quelques minutes. Le reste du temps, elle l’avait employé à choisir ce qu’elle allait mettre et s’était décidée pour une robe d’intérieur en velours bleu pâle où semblait s’attarder un reflet de ses yeux, sans vertugadin ni collerette contraignante. Des bouillonnés de fine dentelle débordaient aux manches et autour d’un décolleté vertigineux... Les cheveux coiffés en hauteur étaient réunis en une épaisse natte d’un brun mordoré glissant le long de son cou et aux creux des seins dont la profonde révérence révélait la ferme rondeur avec un rien d’hypocrisie. En fait, constata Thomas, l’astucieuse Henriette s’était tout bonnement déshabillée autant que le permettait la bienséance mais arborait une mine sérieuse à la limite de la gravité. Aussi, en se relevant, retint-elle un sourire satisfait : Sa Majesté, le souffle un peu court était rouge vif. Alors, elle lança :

— Entrez, Monsieur de Courcy. Vous devez apporter votre part dans ce que le Roi doit savoir...

— Madame, j’ai peu de temps ! fit la voix enrouée de celui-ci.

— Justement, il faut l’employer au mieux ! Veuillez prendre place, Sire, ajouta-t-elle en désignant un vaste fauteuil.

— M’y voici ! Qu’avez-vous à me dire ?

— Qu’hier au soir, ou plutôt cette nuit, en revenant de la fête donnée par la reine Marguerite, j’ai été arrêtée près du Pont-Neuf par le baron de Courcy... dégoulinant d’eau parce qu’il sortait tout juste de la Seine. Il portait dans ses bras le corps presque nu d’une jeune fille. Du seuil d’un cabaret il l’avait vue courir vers le fleuve dans lequel elle s’était jetée sans la moindre hésitation...

— Et cette jeune fille...

— Était sans nul doute possible celle que l’on venait de marier à M. de Sarrance. En assez triste état, je dois dire. Aussi ai-je pensé qu’il était de mon devoir, puisqu’elle vivait encore, de lui porter secours et on l’a ramenée avec moi...

Oubliant le mécontentement distrait par les pensées badines qui l’occupaient, l’attention d’Henri était maintenant fixée.

— Madame de Sarrance ? Et vous dites qu’elle est ici ?

— Oui, Sire... et en proie à une forte fièvre qui lui ôte sa connaissance. Je souhaiterais d’ailleurs que le Roi veuille bien prendre la peine de monter la voir. Ma mère est auprès d’elle !

— Non seulement j’y consens mais je vous le demande !

A l’étage au-dessus, ils entrèrent dans une chambre où les rideaux à demi fermés entretenaient une douce pénombre. Mme d’Entragues se tenait assise près du lit, un mouchoir à la main, épongeant délicatement la sueur qui coulait du front de Lorenza. Toujours inconsciente, celle-ci roulait la tête sur l’oreiller en balbutiant des paroles sans suite. L’ancienne favorite de Charles IX se leva à l’entrée du Roi qu’elle salua en silence.

Cependant, sa fille allait tirer les rideaux puis, d’un mouvement aussi vif, revenait vers le lit dont elle empoigna les couvertures qu’elle rejeta au pied.

— Voilà, Sire ! Qu’en pensez-vous ?

A dessein, on avait préalablement ôté la chemise et les emplâtres de Lorenza afin de bien montrer les blessures. Elles ne saignaient plus mais certaines, plus profondes, étaient rouges et boursouflées :

— Ventre-saint-gris ! Souffla le Roi, horrifié. Qui a fait ça ?

— Mais son délicieux mari, Sire ! Et avec cet objet, ajouta-t-elle en prenant le fouet que Thomas lui tendait machinalement, incapable qu’il était de détacher son regard du corps charmant dont les cruelles meurtrissures ne parvenaient pas à dissimuler la grâce juvénile. Le Roi accorda un vague coup d’œil à l’objet qu’on lui montrait mais ses yeux revinrent vite sur Lorenza que l’ex-Marie Touchet se hâtait de recouvrir. Mieux valait ne pas laisser Henri contempler trop longtemps un tableau qui, pour être affreux, n’en gardait pas moins un charme certain. Il poussa d’ailleurs un soupir qu’il ne fallait pas s’aventurer à traduire. A défaut, son attention revint sur la lanière qu’il considéra avec dégoût :

— Où avez-vous trouvé ça ?

— Dans la chambre nuptiale, où le mari a dû le laisser tomber quand le bronze l’a atteint à la tête et sans doute étourdi, ce qui a permis à sa victime de s’enfuir à peine vêtue de ce qui restait de sa chemise et d’une robe de chambre appartenant sans doute à son bourreau. Elle devait être affolée de souffrance et de terreur, alors, ne sachant où aller, elle a choisi la Seine.

— Pauvre enfant ! Et si j’ai bien compris, le cadavre du mari était dans l’escalier ?

— Ce qui signifie que le choc avec la statuette n’a pas été mortel, qu’il a pu vouloir rattraper la fugitive...

— Qu’il l’a rejointe dans l’escalier...

— Non, Sire, affirma Thomas. Bien que plus grande, elle n’était pas de taille contre lui. Et puis où aurait-elle pris le poignard sans compter la force nécessaire pour trancher une gorge ? En outre, elle eût été couverte de sang...

— Mauvaise explication ! L’eau du fleuve l’aurait nettoyée.

— Elle n’y est pas restée suffisamment longtemps. J’ai l’honneur de rappeler au Roi que j’ai plongé derrière elle... A la réflexion, je me demande si le marquis, étourdi par le choc, n’a pas été traîné ensuite jusqu’à l’escalier où il a été égorgé. Par le véritable assassin. Il y a, dans la galerie, des traces auxquelles je n’ai peut-être pas porté assez d’attention sur le moment...

Très assombri, le visage d’Henri s’éclaira d’une expression amusée :

— Tudieu, mon garçon, je me demande ce que vous faites dans mes chevau-légers ? Je devrais vous confier à M. d’Aumont en lui conseillant de créer pour vous un poste de chef de la police ! Vous avez du talent !

— Je ne suis pas sûr que cela me plairait, Sire ! Je préfère de beaucoup veiller aux seules personnes du Roi et de sa famille.

— Je ne peux pas vous donner tort. Pour en revenir à notre affaire, vous pensez donc qu’il y a quelque part un tueur ?

— Sans aucun doute, Sire, intervint Mme de Verneuil, mais tant qu’on ne l’aura pas capturé, cela pose la question de savoir ce que nous allons faire de Mme de Sarrance... que je ne demande pas mieux que garder chez moi d’ailleurs. Le scandale semble prendre déjà de telles proportions !... Songez que M. de Joinville m’est venu l’apprendre à l’aurore ou peu s’en faut !