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— Vous avez raison, ma mie ! approuva le Roi avec un soudain enjouement. Allons en discuter chez vous et laissons reposer votre malade ! A ce propos, je sais, Madame, ajouta-t-il à l’attention de la mère de la marquise, que vous vous y entendez admirablement à soigner les maux du corps mais la pauvre enfant paraît bien mal en point. Peut-être souhaiteriez-vous l’assistance d’un médecin ?

— Certes, Sire, à condition qu’il soit efficace et discret... Ce qui n’est pas si fréquent.

— Messer Giovanetti en a un excellent. Qu’il ne prête pas volontiers mais dont j’ai eu l’occasion d’apprécier les qualités et je suis prêt à le faire appeler pour vous... en lui précisant clairement qu’il devra se taire jusqu’à nouvel ordre. Cela ne devrait pas poser de problème : l’ambassadeur aime beaucoup donna Lorenza. Il doit être mort d’inquiétude !

Marie ne retint pas un soupir de soulagement :

— J’en serais vraiment contente, Sire ! Je ne vous cache pas qu’elle me cause du souci. Cette fièvre qui ne cède pas... cette toux qui la déchire par moments...

— Soyez tranquille ! Vous le verrez avant ce soir !

Sur un dernier salut à l’adresse de Marie, il glissa son bras sous celui d’Henriette vers laquelle revenait son œil singulièrement brillant, et l’on rejoignit l’escalier pour descendre chez elle.

— Allez m’attendre dans la voiture, Courcy ! Votre patience ne sera pas mise à trop longue épreuve, dit-il en ouvrant lui-même la porte de l’appartement pour laisser passer sa compagne, après quoi il la referma du bras, sa main libre s’étant glissée autour de la taille de la marquise.

Que faire sinon obéir ? En dépit des belles résolutions qu’Henri prétendait avoir prises, il n’y avait pas d’illusions à garder. Le drame de cette nuit venait de ramener le Roi dans les griffes de celle qu’il était tellement certain de ne plus aimer et, en ce moment, il devait être en train de parler d’autre chose que de Lorenza. En admettant qu’ils parlent ! Ce dont Thomas doutait au point qu’il osa entrouvrir la porte de l’antichambre et, la trouvant déserte, marcha à pas de loup jusqu’à celle de la chambre -mal fermée d’ailleurs ! – pour entendre la voix roucoulante d’Henriette murmurer après un petit rire :

— Ne soyez pas si pressé, voyons ! Vous allez déchirer une de mes robes préférées...

— Et moi je préfère encore plus ce qu’elle cache ! Tu es plus belle que jamais et j’étais fou de me priver de toi, mon menon !

Suivirent des bruits divers. Thomas se retira sur la pointe des pieds pour aller s’installer dans la voiture avec quelque morosité parce qu’il avait faim. Il y avait bien, un peu plus loin dans la rue, une rôtisserie à laquelle il eût volontiers rendu visite mais ne s’y risqua pas de crainte qu’Henri ne revienne avant lui...

Or, ce ne fut qu’au bout de deux mortelles heures que Sa Majesté reparut, l’œil étincelant, le sourire aux lèvres et fleurant bon une senteur de jasmin de Damas dominant son habituelle senteur d’ail. Le triomphe de Mme de Verneuil était total : l’amant rétif venait de retomber sous son joug. Restait à savoir de quel prix il allait devoir payer l’éloignement où il l’avait tenue depuis plusieurs mois.

A peine assis, Henri se carra dans les coussins et, avec un soupir d’aise, ferma les yeux, revivant sans doute en pensée de savoureux moments. Ce que voyant, Thomas s’abstint de poser la question qui lui brûlait les lèvres : qu’avait-on décidé pour Lorenza ?

Pourtant si l’amant se délectait, le Roi ne dormait pas. Soudain, Thomas entendit :

— Je vous ramène au Louvre afin de vous donner les passeports dont vous aurez besoin : vous partez pour Londres ce soir même !

— Le Roi m’envoie en Angleterre ?

— Naturellement. Quel autre que vous pourrait annoncer avec doigté ce qui vient de se passer à Antoine de Sarrance, ? Vous le ramènerez avec vous ! Jusque dans mon cabinet ! Je n’ai pas envie qu’il entende n’importe quoi !

— Merci, Sire ! Pour lui et pour moi ! Puis-je en outre demander... ce qui a été décidé pour donna Lorenza ?

— Elle n’est guère transportable à cette heure ! De toute façon, nous pensons, Mme de Verneuil et moi, qu’elle sera mieux là où elle est que n’importe où ailleurs. Mme de Verneuil a même émis l’idée de l’emmener à Malesherbes ou à Verneuil quand elle sera un peu rétablie.

— A... avec sa tante ?

— Cette horrible femme ? Certes pas ! Dès qu’elle a su la nouvelle elle s’est mise à crier haro sur sa nièce en l’accusant de tous les péchés. Celle-là, je donnerais cher pour m’en débarrasser !

— Peut-être pourriez-vous charger l’ambassadeur Giovanetti de la reconduire à Florence ? C’est son rôle, il me semble ?

Toute félicité envolée, Henri eut un petit rire amer :

— Ce serait trop simple ! C’est une vieille rusée qui a su se faire une amie de la Conchine. Ces deux-là n’ont pas perdu une minute pour réclamer la protection de la Reine. Vous l’avez entendue dégoiser tout à l’heure ?

— A défaut de comprendre c’était difficile de ne pas entendre.

— Elle voulait que cette malheureuse fille dont les plus grands torts sont d’être sa filleule et d’être belle, soit envoyée toutes affaires cessantes à la Bastille ou au Châtelet en attendant d’être prestement jugée et au moins pendue !

— Au moins ?

— Elle ne serait pas contre quelque chose de plus divertissant, comme le bûcher par exemple ? Et, bien sûr, sa fortune devrait faire retour à sa pauvre tante, sa seule héritière !

— Comment cela, sa seule héritière ? Elle ne saurait l’être en tout cas du marquis Hector. J’ai quelques notions de la loi : Antoine de Sarrance est le seul héritier de son père avec bien sûr, la veuve !

— Voilà pourquoi celle-ci doit disparaître et au plus vite. Il ne resterait plus qu’Antoine mais, tel que je le connais, il refusera cet argent ensanglanté si peu fortuné qu’il soit !

— Tout cela est répugnant ! s’écria Thomas hors de lui. Il faudrait que quelqu’un d’assez puissant puisse se mettre en travers de ce plan...

— Que diriez-vous de moi ?

Emporté par son indignation, Courcy avait oublié l’endroit où il se trouvait :

— Vous ?

Henri se mit à rire :

— Oui, moi. Je suis le Roi, vous savez ?

Puis, allongeant une bourrade à un Thomas rouge de confusion :

— On va essayer d’arranger tout cela au mieux. Je vais envoyer chez Giovanetti tandis que vous galoperez vers Boulogne.

Un peu plus tard, en effet, muni d’une lettre royale, des papiers et de l’argent nécessaires pour lui assurer la priorité dans les relais de postes et le détroit du pas de Calais, Thomas de Courcy franchissait la vieille porte Saint-Denis presque sans ralentir le galop de son cheval, criant au passage « Service du Roi ! ». En dépit du mauvais temps qui menaçait et lui promettait une traversée houleuse de la Manche, il éprouvait un curieux sentiment de libération. Le poids qui pesait sur lui depuis qu’il avait sorti Lorenza de l’eau s’était singulièrement allégé. La jeune fille qu’Antoine aimait était en sécurité et allait recevoir les meilleurs soins tandis que lui-même préviendrait son ami de ce qui l’attendait à Paris.

La pluie se mit à tomber mais il n’en avait cure parce qu’il adorait chevaucher au galop à travers la campagne, emporté par les jambes rapides de son cheval, enivré par la merveilleuse impression de ne faire qu’un avec lui. En outre, il n’était jamais allé en Angleterre. Or, curieux comme une sœur tourière, Thomas n’aimait rien tant que faire des découvertes. Une belle journée en résumé et la suite promettait mieux encore...