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Vingt minutes plus tard, Antoine, installé devant la cheminée, faisait un sort à la soupe aux choux, à la tourte au pigeon et au maroilles que Gratien lui avait montés avec une bouteille de vin de Sancerre.

Quand sa faim fut un peu apaisée, il rappela le valet qui était allé préparer sa chambre :

— Trouve-toi un gobelet, assieds-toi là et causons ! fit-il en lui désignant un tabouret.

— Oh, Monsieur Antoine ! ! !

— Ne fais pas l’imbécile et raconte ! Je suppose que ton maître a assisté à ce foutu mariage ?

— Eh bien justement non ! Enfin si... Je veux dire qu’il n’a pas été plus loin que l’église. Après, je ne sais pas ce qu’il a fait mais il n’était pas loin de 4 heures quand il est rentré dégoulinant d’eau...

— Il pleuvait cette nuit-là ?

— Absolument pas. Il faisait juste un peu frisquet mais il n’a rien voulu me confier. Il s’est changé, il a tourné en rond pendant un moment, après quoi il est reparti.

— Sans dire où il allait ?

— Rien du tout... et à pied. Alors je l’ai suivi.

Un bref sourire éclaira le visage fatigué d’Antoine :

— Je me disais aussi que tu avais bigrement changé ! Continue !

— Il est allé comme ça jusqu’à l’hôtel de Sarrance où j’ai vu qu’en dépit de l’heure il y avait le guet et un attroupement mais lui est entré...

N’ayant aucun moyen d’en faire autant, Gratien s’était mêlé aux curieux parmi lesquels circulaient les opinions les plus fantaisistes mais on s’accordait tout de même sur un point : le marié de la veille avait été trucidé et sa jeune épouse s’était envolée. On savait aussi que le prévôt de Paris était intervenu en toute hâte.

Le valet était resté en attente au milieu de ces gens, écoutant de toutes ses oreilles mais il ne se passait rien. On vit seulement sortir l’un des invités qui avait bien du mal à tenir sur ses jambes. Il amusa un instant la galerie, parce qu’il offrait une image parfaite du poivrot aimable : serrant tendrement dans ses bras une bouteille vide, il clignait des yeux en regardant ses spectateurs avec un large sourire : « Fait soif ! leur confia-t-il. Fait même très soif et... là-dedans y a pu rien... Hic ! Alors... J’m’en vais ! » Refusant avec une hauteur comique l’aide d’un archer, il avait opéré un demi-tour sur lui-même et était parti vers la Bastille dont la lourde silhouette se profilait dans la brume du petit matin.

— Ne me demandez pas pourquoi mais j’ai eu tout à coup l’idée de le suivre. Peut-être parce que, d’habitude, les beaux messieurs ont l’ivresse plus agressive... On a continué de la sorte jusqu’à la rue des Fossés-Saint-Germain où il y avait déjà pas mal de monde quand, subitement, il a cessé de chercher de temps en temps l’appui d’un mur et, reprenant un pas normal, a tourné à l’angle de la rue des Poulies. Et moi, je me suis mis à courir pour le rattraper. Je suis arrivé au coin juste à point pour le voir entrer dans une demeure d’assez belle apparence d’où il est ressorti peu après, à cheval et couvert d’une houppelande noire. Comme il se dirigeait vers le pont au Change et que, moi, je voulais retourner à la maison, je l’ai suivi de mon mieux mais comme il y avait peu de monde, il a pris le galop et j’ai dû abandonner. Je suis rentré juste avant M. Thomas. Evidemment, j’étais un brin essoufflé et il n’a pas eu l’air de s’en apercevoir parce qu’il était très soucieux. Il ne m’a rien raconté mais il est reparti presque aussitôt, à cheval cette fois, en me disant qu’il allait voir le Roi... Ensuite, il est revenu mais pour que je fasse son sac. Il partait pour l’Angleterre afin de vous rejoindre... et je n’en sais pas davantage ! conclut Gratien visiblement désolé.

— Inutile de demander si tu es inquiet. Moi aussi je le suis. Où peut-il bien être ?...

— Avant que Monsieur Antoine n’arrive, je pensais m’en aller à sa recherche.

— Tu veux suivre sa route jusqu’à Boulogne ?

— Pourquoi pas ? Il n’est pas homme à passer inaperçu et il a bien été obligé de relayer puisqu’il devait gagner Londres dans les plus brefs délais. Relever sa trace doit être possible...

— Sans aucun doute et même nous pourrions chercher ensemble. A deux, on a plus de chances ! Ecoute ! Il faut que je voie le Roi puisque c’est lui qui a expédié Courcy. Je vais lui demander de m’autoriser à repartir. Je suis soldat et il est le seul qui en ait le pouvoir en dehors de mon colonel. Mais, en attendant, pourquoi n’irais-tu pas te promener du côté de la rue des Poulies ? Ton ivrogne, dessaoulé comme par magie, m’intéresse. Essaie de savoir qui il est, s’il habite là où s’il ne fait qu’y passer quelquefois !

— J’y suis déjà retourné. La maison appartient à une fille galante un peu sur le retour, la Maupin. Comme elle jouit d’une certaine renommée pour ses... talents, elle reçoit pas mal d’amateurs. Quant à savoir qui, c’est une autre histoire parce qu’il paraît qu’elle est plutôt secrète et qu’elle ne fraye pas avec n’importe qui...

— D’où sors-tu ça ?

— D’un cabaret qui n’est pas loin de sa maison. Bien tenu d’ailleurs et fréquenté par la domesticité des hôtels avoisinants... C’est dire qu’on n’y clabaude pas beaucoup sur les voisins.

— Qui t’a renseigné ?

— Une des servantes à qui j’ai eu l’honneur de plaire d’autant plus que je lui ai glissé un peu d’argent mais, pour en apprendre davantage, je crois bien que c’est à la Maupin qu’il faudrait plaire... Et ça, ce n’est pas dans mes cordes ! Monsieur Antoine pense que mon faux soûlard est intéressant ?

— Je pense, oui... mais pour l’heure, c’est ton maître qu’il faut retrouver !... Et moi j’ai besoin d’une bonne nuit. Demain, j’irai voir le Roi.

Mais il était écrit qu’il n’y arriverait pas encore ce jour-là. Quand il se présenta au Louvre, ce fut pour apprendre qu’Henri ayant reçu un courrier était parti pour Saint-Germain en toute hâte : le dauphin Louis venait de tomber malade, ainsi d’ailleurs que le beau César, l’aîné des fils de la défunte Gabrielle d’Estrées. Avant de monter en selle, Henri était allé demander à son épouse si elle souhaitait l’accompagner, sans d’ailleurs s’illusionner beaucoup sur la réponse. Encore au fond de son lit, Sa Majesté avait poussé les hauts cris : non seulement elle n’irait pas risquer d’attraper un mal dont on ne savait rien mais, en outre, elle exigeait qu’on lui fit porter des nouvelles par un messager lavé de pied en cap avant de pénétrer en son particulier. Il était indispensable de préserver sa santé et celle du petit dernier, Gaston, duc d’Anjou, âgé de dix mois, qu’elle avait refusé jusqu’à présent de laisser partir pour le château-nurserie pour la raison, contestable mais réelle, qu’elle en raffolait, ce qui n’était pas le cas des quatre autres. Ceux-là, on ne leur rendait visite que le dimanche et souvent parce qu’Henri le voulait. La seule excuse que l’on pût trouver à cette sécheresse de cœur était la colère latente entretenue chez Marie par le fait que l’on élevait ensemble non seulement Louis, ses deux sœurs et son petit frère Nicolas[15] mais aussi les trois enfants de la belle Gabrielle et le jeune Verneuil, fils exécré de celle que Marie appelait « la marquise poutane » ! Sans oublier le jeune comte de Moret, fils de la belle et sotte Jacqueline du Bueil !

Déçu une fois de plus, Antoine gagna l’hôtel des chevau-légers pour demander un nouveau congé à son colonel. Après avoir reçu les condoléances bourrues mais chaleureuses de quelques camarades comme Bois-Tracy, Sagonne et Beaucé, il trouva leur chef dans son cabinet, occupé à écrire une lettre mais il jeta sa plume pour répondre au salut de son officier :