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— Pas chez mes ennemis tout de même ! A l’exception de ce benêt de Joinville, tous les autres Guise me haïssent... et vous savez combien je tiens à vous !...

— Alors, rendez-moi à la face du monde la place qui est mienne si vous ne voulez pas que je cède à la tentation de devenir duchesse de Guise !

Quelques femmes aussi franchissaient le portail mais beaucoup plus rarement et la recluse ne les connaissait pas. L’une d’elles cependant attira son attention. En voyant descendre de voiture Mlle du Tillet, elle retint une exclamation. Que venait faire cette femme chez l’ennemie jurée de la Reine ? Ce n’était un secret pour personne que les deux dames se haïssaient. Quand chacune d’elles évoquait l’autre, elle n’usait jamais du nom mais d’un terme péjoratif sinon d’une injure. Or la du Tillet jouissait de la confiance de Marie de Médicis presque autant que la Galigaï. Et elle arrivait en affichant un sourire épanoui. Qu’est-ce que cela signifiait ?

Elle ne pouvait même pas en parler à Campo rentré l’avant-veille rue Mauconseil. Malheureusement, Mme de Verneuil avait surpris son invitée forcée à son poste d’observation et piqué une colère verte. Sa protégée n’avait-elle pas encore compris qu’elle ne devait courir aucun risque d’être aperçue et peut-être reconnue ? Ne comprenait-elle pas que, si on la savait là, toute la maisonnée serait impliquée et que le danger grandissait à mesure que le temps passait ?

— Personne – vous entendez ? – personne ne doit savoir que nous vous abritons. Y compris les domestiques ! Pourquoi donc croyez-vous que nous ayons mis à votre service la vieille Madeleine qui est sourde et à peu près muette ? Elle ne sait d’ailleurs même pas qui vous êtes !

— Et pour les autres, qui suis-je ?

— Une pauvre fille qui a eu des malheurs, tenté de se suicider et que ma mère a recueillie par charité...

— ... et pour laquelle on a fait venir le propre médecin de l’ambassadeur florentin ? C’est trop de bonté !

Les paupières d’Henriette se rétrécirent jusqu’à ne plus laisser filtrer qu’un mince trait bleu et brillant :

— Il était présent lors de votre venue. Il était normal qu’il s’occupe de vous. Mais vous avez raison de me le faire remarquer. Quand doit-il revenir ?

— Demain ? Je ne sais pas !

— Il ne reviendra pas. Je vais lui faire savoir que vous êtes complètement rétablie et qu’on vous envoie à la campagne respirer le bon air !

Lorenza se retint de faire observer que la pluie mêlée de légers flocons sévissant alors sur Paris ne lui paraissait pas le temps idéal pour une convalescence à la campagne mais elle se reprochait déjà sa remarque intempestive à propos de Valeriano Campo. Comme elle se reprochait d’ailleurs son manque de gratitude envers cette femme qui, tout de même, l’avait abritée, sauvée au moment du plus grand péril mais c’était plus fort qu’elle : tout au contraire de sa mère, la belle marquise ne lui inspirait aucune sympathie ! Ce en quoi elle aurait juré qu’elle était payée de retour. Mais que faire pour sortir de cette situation fausse ?

Deux jours plus tard, Mme de Verneuil rentrant à l’hôtel d’Entragues après avoir passé une partie de la journée dehors, monta directement chez Lorenza qu’elle trouva assise auprès du feu où elle chauffait ses mains.

— Je ne pensais pas en venir là aussi vite, lâcha-t-elle, un peu essoufflée d’avoir gravi deux étages à trop vive allure, mais vous ne pouvez plus demeurer ici. Demain, dès l’ouverture des portes, vous partirez pour Malesherbes. Sous un faux nom, évidemment. Vous passerez pour... pour... oh, il faut que j’y réfléchisse ! Ici, vous devenez trop dangereuse !

— Que se passe-t-il donc ?

— Votre grand-duc Ferdinand vient de mourir et la grosse truie exige le départ immédiat de Filippo Giovanetti qui, de ce fait, perd son titre d’ambassadeur en attendant qu’un autre vienne prendre sa place.

— Pourquoi tant de hâte ? Il l’a toujours bien servie, il me semble, et j’en suis la preuve !

— Une preuve que l’on apprécie pas du tout. Quant à lui, sa politique n’est plus au goût du jour. Marié à une Habsbourg, le nouveau prince va rapprocher Florence de l’Empire comme de l’Espagne, par conséquent tourner le dos à l’alliance avec la France...

Lorenza ne trouva rien à répondre sur le moment. La nouvelle la touchait au cœur. Elle aimait bien Ferdinand qui lui avait montré tant d’amitié... et Christine naturellement...

— Que devient la grande-duchesse dans ces beaux projets ? Le nouveau prince est bien jeune pour avoir des opinions aussi tranchées !

— Il faut croire que son épouse pense pour lui... ou tout au moins l’inspire.

C’était possible, après tout. Pas belle, hautaine mais douée d’une véritable force de caractère, Marie-Madeleine d’Autriche, sœur de l’héritier de l’Empire, avait dû savoir prendre beaucoup d’influence sur un garçon de dix-neuf ans, ami des arts et d’une grande piété mais qui ne possédait pas l’entregent de son père ni cet esprit libéral qui lui avait fait soutenir, contre vents et marée, non seulement un roi protestant converti du bout des lèvres mais aussi sa politique tendant au rapprochement avec les princes du Rhin et à la libération des Flandres du joug espagnol.

— Et c’est la reine de France qui veut chasser un ambassadeur qui ne lui a jamais failli ?

— Elle se moque éperdument de la France et ne rêve que du rapprochement avec l’Espagne, le pape et... mais qu’avez-vous besoin de savoir tout cela ?

A Malesherbes, nul n’ira vous chercher et je verrai ce que je peux faire de vous...

— Mais... le roi Henri n’a-t-il pas son mot à dire dans cette affaire ? Ce n’est pas son épouse qui règne, que je sache ?

— Non et je ne sais pas encore ce qu’il pense mais une chose est certaine : il souhaite la ménager.

— Pourquoi, grands dieux ?

— Elle est enceinte. Cela explique tout ! fit-elle avec rage. Et vous, songez à vous préparer : vous partez pour Malesherbes dès l’aube.

— Je pars, oui... mais pas pour Malesherbes !

— Oh, ne recommencez pas ! s’écria la marquise excédée. Que ce soit là ou ailleurs qu’est-ce que cela fait du moment que vous sauvez votre peau !

Le mot traduisait un tel mépris que Lorenza prit feu :

— Et où avez-vous été chercher que je souhaitais la sauver ?

— Comment ?

— Vous avez très bien compris ! Soupira la jeune fille en allant s’asseoir au pied de son lit. Je crois bien que je n’ai plus envie de vivre !

— A votre âge et tournée comme vous êtes ? Émit la marquise sans songer à dissimuler sa stupéfaction. Vous êtes folle, ma parole !

— Non. Simplement j’en ai assez de cette réclusion. Je vous serai toujours – du moins le temps que je vivrai ! – reconnaissante de m’avoir accueillie, soignée, remise debout mais pour rien au monde je ne le révélerai parce que je ne veux pas que l’on vous sache mêlée à mon histoire. Ce serait vous rendre le mal pour le bien ! D’autant que je deviens encombrante pour vous...

— N’exagérons rien !...

— Pouvez-vous me dire ce que vous ferez de moi à Malesherbes... où sans doute votre père ne sera pas ravi de ma venue ?

— Vous n’en savez rien !... Moi non plus d’ailleurs ! Vous vivrez comme on vit dans un château à la campagne. On ne va pas vous réduire à la domesticité...

— Mais sans avenir, sans quoi que ce soit qui m’appartienne ! Entretenue par charité ? Non merci ! Je ne veux pas vivre ainsi...

— Que fait-on d’autre dans ce couvent que vous réclamiez il n’y a pas si longtemps ?

— Ce n’est pas du tout pareil. Au moins on y connaît la paix avec Dieu et avec soi-même. Je ne sais pas combien de jours il me reste à vivre mais je veux pouvoir les vivre la tête haute... et au grand jour !