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— Vaudrait mieux r’garder où vous mettez les pieds !

Elle obéit. Il avait pris le bout de la corde qui lui liait les mains et lui fit monter les hautes marches de pierre dont le temps et le passage de milliers de prisonniers incurvaient le centre. Enfin on la fit entrer dans une « chambre » étroite et longue où le jour devait pénétrer par une ouverture carrée suffisamment élevée dans la muraille pour qu’il soit impossible d’y voir autre chose que le ciel. Il y avait là un banc de pierre rustique couvert d’une paillasse faite de grosse toile. Deux couvertures pliées étaient posées dessus. Un escabeau, un seau et une cruche d’eau complétaient l’ameublement. Il y avait aussi, scellée au mur, une double chaîne terminée par des bracelets de fer que Lorenza regarda avec effroi mais le geôlier n’en fit pas usage. Il se borna à lui délier les mains et, quand elle leva sur lui des yeux surpris, il hocha la tête avec ce qui pouvait passer pour un sourire :

— Vous n’avez pas l’air bien solide ! dit-il. Et vous tremblez...

— J’ai froid...

— Couchez-vous ! Enveloppez-vous dans les couvertures ! L’eau d’la cruche est propre et j’vais vous apporter un peu de pain...

— Merci mais c’est inutile... Je n’ai pas faim !

— Va falloir manger si vous voulez t’nir ! On a besoin de forces en prison.

— Vous croyez que cela en vaut la peine ? rétorqua-t-elle en roulant l’une des couvertures pour s’en faire un oreiller puis s’enveloppant dans l’autre pardessus son manteau.

Après quoi elle se coucha et referma les yeux.

— Tâchez d’dormir !

Il sortit en emportant la lanterne. Lorenza entendit le bruit de la clef et le claquement des verrous tandis que les ténèbres envahissaient sa prison. Mais en dépit de sa fatigue elle ne réussit pas à trouver le sommeil. Les idées s’étaient mises à tourner dans sa tête à une vitesse effrayante parce qu’elle ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait...

Pourtant, ne devrait-elle pas être satisfaite ? Hier encore, elle était décidée à se livrer en demandant justice mais ce qu’elle avait imaginé ne ressemblait guère à ce qui venait de se passer. Ce qu’elle voulait, c’était se rendre au Louvre pour exiger d’être mise en présence du Roi afin de s’en remettre à lui et faire cesser les mauvais bruits l’accusant du meurtre de Sarrance – même mort, elle lui refusait l’appellation de mari ! N’était-il pas le seul, d’après ce qu’on lui avait dit, à connaître la vérité puisque Thomas de Courcy avait disparu ? Certes, Mme de Verneuil en savait tout autant mais pour rien au monde Lorenza ne l’aurait appelée à témoigner. La Reine la haïssait – non sans quelques raisons ! – mais c’eût été bien mal récompenser l’hospitalité reçue ! Ce qu’elle voulait c’était reparaître au grand jour. Pas être enlevée de nuit, fourrée dans un cachot où l’oublier tout simplement serait tellement facile à son infernale marraine. Et puis, entre-temps, il y avait eu ce miracle, cette bouffée d’air pur et d’espérance : partir dans les bagages de son cher ambassadeur, moins brillamment qu’elle n’était venue, certes, mais seul le résultat comptait !

A ces pensées déprimantes s’en joignait une autre, affreuse celle-là : pourquoi l’avait-on attendue aux portes de Paris ? Car le doute n’était pas possible : quelqu’un savait que Giovanetti l’emmènerait... A moins que le départ en question n’eût été hâté que pour mieux l’observer et en faire un piège ! Auquel cas, personne ne l’avait trahie, sauf si un espion s’était infiltré ? Mais comme on avait profité d’une absence du Roi, elle pouvait se considérer comme perdue !

Ne pouvant trouver le sommeil, elle essaya de prier mais ne réussit pas davantage parce qu’elle se sentait trop misérable ! Dieu était si grand et elle si petite : plus minuscule qu’un grain de poussière en face de son immensité ! Comment croire qu’il pût s’intéresser à elle, à démêler son humble prière au milieu des innombrables oraisons qui ne cessaient de monter vers sa gloire ?

La venue du jour ramena le geôlier : il lui apportait une soupe chaude et du pain qu’elle reçut avec reconnaissance. En dépit de ce qui la couvrait, elle était transie jusqu’à l’âme et ce geste simple de tenir le récipient grossier mais quasi brûlant entre ses doigts lui fit du bien.

— Mangez pendant que c’est chaud ! Conseilla l’homme. Ça vous requinquera ! J’vous ai mis aussi un gobelet d’vin...

— Merci... Vous faites cela pour tous vos prisonniers ?

— Non. Même pour ceux qui peuvent payer mais vous êtes si jeunette... et vous avez encore plus p’tite mine que c’te nuit !

— J’ai été malade et ne suis pas complètement remise.

— Tout à l’heure, on va vous conduire d’vant M. le prévôt d’Paris. Vous croyez que ça va aller ?

— Il faudra bien... mais c’est gentil de vous intéresser à moi. Pourquoi ?

— Vous m’rappelez quelqu’un... mais j’saurais pas vous dire comment elle s’appelait : elle, c’était point une dame mais une pauv’fille qui pouvait avoir votre âge et qu’était bien mignonne. On l’a envoyée au bourreau pour un crime qu’elle avait pas commis. Seulement, on s’en est aperçu trop tard... C’est des choses qui arrivent ! ajouta-t-il en hochant tristement la tête.

En dépit de sa pénible situation, Lorenza faillit sourire. C’était décidément un brave homme même s’il avait du réconfort une conception bien personnelle :

— Comment est-elle morte ?

— Pendue ! J’vous ai dit qu’c’tait une pauvre fille. Vous, vous aurez droit sûrement au billot !

Enfin... s’ra temps d’y penser quand vous s’rez condamnée...

Pour lui la sentence ne faisait aucun doute ! Il s’en fut sur cette dernière parole. La prisonnière s’aperçut alors qu’elle ne lui avait même pas demandé son nom...

Au début de l’après-midi, un piquet de soldats armés de pertuisanes vint la chercher pour la conduire, de l’autre côté de la Voûte, dans les salles où se trouvait le double siège de la Prévôté et de la Justice. Il y avait aussi là autrefois les Finances mais le ministre Sully les avait transportées à la Bastille dans une tour que l’on appelait depuis le Trésor.

On introduisit Lorenza dans une vaste salle du rez-de-chaussée, plus longue que large, chichement éclairée par une étroite ogive de pierre enfoncée dans l’épaisse muraille. Deux torches accrochées dans des griffes de fer aidaient à y voir plus clair, comme les deux chandeliers posés sur une table derrière laquelle se tenaient trois hommes dont celui du centre siégeait sur une cathèdre élevée d’une marche et au-dessus de laquelle les armes de France rejoignaient la nef héraldique de Paris. Celui-là était le Prévôt et les deux autres, vêtus de noir et assis devant quelques papiers, ses assesseurs.

Sur l’un des côtés de la salle, un quatrième personnage écrivait debout derrière un lutrin, à l’endroit le mieux éclairé et, en face de lui, un rouleau de papier à la main, un cinquième porteur d’une robe noire. De ces deux-là, l’un était le greffier et l’autre le procureur Génin. Enfin deux sergents vêtus de rouge et de bleu, aux couleurs de la ville, veillaient près d’une porte basse. Il n’y avait personne dans le fond de la salle, l’audience devant se dérouler à huis clos.

Les gardes de la prisonnière la firent asseoir sur un tabouret en bois, la sellette, placée en face du prévôt au milieu d’un grand espace libre et on libéra ses poignets qu’elle frotta machinalement comme pour enlever une souillure. Comprenant qu’elle était devant ses juges, elle prit une profonde aspiration pour chasser la peur qu’elle sentait venir. En outre, elle avait froid et devait faire appel à tout son courage pour ne pas trembler... Cependant, la lecture de l’acte d’accusation commençait :