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— Des rubis ou des escarboucles ?

— J’en sais trop rien ! Un beau rouge quoi ! Comme du sang frais... D’ailleurs le marchand a prononcé le mot mais il a tout de suite baissé la voix et je n’ai entendu que la fin de son discours : il disait que c’était nécessaire de changer la lame parce qu’après le coup qu’elle avait reçu elle risquait de se briser à nouveau.

— Ça s’est terminé comment ?

— Le Bertini a fini par payer ce qu’on lui demandait et il est rentré chez lui. De toute façon, je ne vois pas pourquoi il a fait tant d’histoires. S’il est de la bande des Conchine, il a les moyens...

Antoine ne répondit pas. Après avoir attendu un instant un commentaire quelconque, Gratien se remit à griller ses marrons, un peu vexé tout de même. Il pensait que ses longues heures de faction et le résultat qu’il en avait obtenu méritaient au moins quelques félicitations. Monsieur Thomas, lui, ne les lui auraient pas ménagées et, à la pensée qu’il ne reverrait peut-être plus ce bon garçon, il faillit pleurer. Un si bon maître ! Aussi n’avait-il aucune envie de finir ses jours au service de Monsieur Antoine... Il l’aimait bien mais sans plus et n’aurait pas de raison de rester avec lui. Si Monsieur Thomas devait ne plus revenir, Gratien retournerait tout naturellement à Courcy. C’était sa terre natale et même si le vieux Courcy, père du jeune baron, n’était pas facile à vivre – surtout pendant ses crises de goutte ! –, il était malgré tout plus réjouissant que les Sarrance père et fils. Leur comportement lui échappait complètement... Le dernier spécimen de la famille, en tout cas, s’assombrissait à vue d’œil...

C’est qu’en reparaissant dans de telles conditions, chez un Italien plus ou moins lié à la clique suspecte des Concini, la dague au lys rouge signait irrévocablement, à ses yeux, la culpabilité de Lorenza. S’il en croyait la dame Honoria – et il n’y avait aucune raison de ne pas la croire ! – c’était elle qui l’avait apportée de Florence après l’assassinat de son fiancé. Curieux souvenir pour une jeune fille de cette classe ! En outre – toujours selon Honoria ! – Hector avait reproché à sa toute fraîche épousée d’avoir tenté de le faire occire, comme le jeune Strozzi à la veille de ses noces. Enfin, ce Bertini, le coup fait, avait eu le sang-froid de retourner s’affaler parmi les ivrognes de la nuit de noces pour en sortir sous les yeux du prévôt et titubant assez pour ne pas éveiller les soupçons. Conclusion : il était bel et bien l’homme de main de sa belle payse... et pourquoi donc pas son amant ? C’était lui sans conteste possible qui l’avait aidée à fuir après la raclée – méritée finalement ! – que lui avait infligé un époux trop justement courroucé ! Et même si la déposition d’Honoria devant les juges différait un peu du récit fait devant la Reine, l’essentiel y était, prouvant largement qu’elle était crédible !

— A quoi ressemble-t-il ce Bertini ? demanda-t-il brusquement.

Perdu lui aussi dans ses pensées, Gratien sursauta, faillit lâcher sa poêle et, finalement, la posa sur la pierre de l’âtre :

— Ben... A un homme de là-bas ! J’entends par là qu’il a le poil et les yeux noirs comme les plumes d’un corbeau, la moustache qui rebique et une barbichette au bout du menton.

— Presque tous ceux que la Reine a emmenés avec elle ressemblent à ça. Tu ne peux pas m’en apprendre plus ?

— Quoi, par exemple ?

— Je ne sais pas, s’impatienta Antoine. Il est grand, petit, gros, mince, beau ou laid ? Quel âge à peu près ?

— Ah, pour ça il est pas vilain ! Je dirai même que c’est un beau coquin : assez grand, bien bâti, la jambe nerveuse et l’air avantageux... D’ailleurs, il me semble vous avoir dit qu’il logeait gratis chez la Maupin qui passe pour avare sauf de ses charmes à condition qu’on lui paie un bon prix.

— Cela je le sais, des camarades m’en ont parlé...

— Pourquoi ne pas lui rendre une visite en ce cas ? Je suis persuadé qu’elle ne serait pas contre un moment avec un bel homme comme Monsieur Antoine. Si quelqu’un peut donner des renseignements sur le Florentin, c’est bien elle ! Et sur l’oreiller on peut en apprendre quand on sait y faire !

— Tu as raison ! J’y penserai...

Chapitre X

Le ciel était sombre...

Lorenza savait à présent qu’elle allait mourir.

La sentence lui avait été signifiée la veille par le Prévôt en personne qui avait pris la peine d’escalader la raide vis de pierre de la prison afin de lui éviter de reparaître dans la salle d’audience. Quatre archers l’accompagnaient qu’il avait laissés derrière la porte du cachot où il était entré seul. Et visiblement peu satisfait de sa mission :

— Je crains, dit-il d’une voix contenue, d’être porteur de très mauvaises nouvelles et j’en suis, croyez-moi, sincèrement désolé...

Elle s’était levée pour l’accueillir mais éprouva quelque peine à demeurer debout : elle sentait ses jambes faiblir sous elle :

— Je suis... condamnée ? murmura-t-elle.

— Hélas oui ! En dépit de tous mes efforts parce que je ne vous crois pas coupable. J’ai même réussi, hier soir, à voir la Reine pour lui demander de faire grâce. Elle devrait le pouvoir durant l’absence du Roi, mais elle n’a rien voulu entendre arguant que plus haut est le rang, plus grave est le crime. Puisque vous êtes sa filleule elle tient à faire un exemple...

— Quelle belle âme !... Et quand dois-je être exécutée ?

— Demain matin vous serez conduite en place de Grève pour y être décapitée par la main du bourreau...

Tout en parlant, il s’était déplacé afin d’occulter de sa longue personne le guichet de la porte derrière laquelle se trouvaient les soldats.

— En principe, murmura-t-il, vous devriez entendre l’arrêt à genoux mais ici c’est mon territoire et j’y agis à ma guise. Donc, asseyez-vous !

— Merci... Je dois donc mourir sous la hache ?

— Non. Par l’épée. En France, seule une arme noble peut toucher une tête noble et le bourreau est d’une extrême habileté : vous n’aurez pas le temps de souffrir... juste... d’avoir peur.

C’était un peu apaisant mais elle frissonna tout de même :

— J’ai ouï dire qu’avant d’être exécuté on devait subir...

Elle n’alla pas plus loin, mais Jean d’Aumont avait compris :

— La question préalable ? Vous n’y serez pas soumise, pas plus qu’à l’amende honorable devant Notre-Dame et en chemise ! J’ai au moins obtenu cette tolérance en démontrant à la Reine quel effet cela pourrait avoir sur le peuple – vous êtes si jeune et si belle ! – mais surtout sur le Roi quand il rentrera. Même s’il aimait beaucoup M. de Sarrance, il pourrait montrer quelque mécontentement.

— Sait-on quand il doit rentrer ?

— Hélas non. C’est la raison pour laquelle l’on presse les choses. Croyez que je suis sincèrement navré !...

— Je vous remercie... mais tout à l’heure, vous avez dit que vous croyiez pas à ma culpabilité. Pourquoi ?

— Simplement parce que cela me paraît impossible venant de vous. Assommer un homme, oui, mais l’égorger ? Non !

— Le fils de... ma victime partage-t-il votre opinion ?

— Je l’ignore. Il n’est pas venu me voir... ni d’ailleurs Thomas de Courcy qui a autant dire découvert le corps avec moi et dont je connais bien le père. Mais celui-là a complètement disparu. Au point que je me demande s’il est encore vivant ! Lui vous aurait défendue avec acharnement.