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— Disons alors que je n’ai pas de chance ! Il ne me reste plus qu’à prier Dieu et la Madone d’avoir pitié de moi...

Sentant venir les larmes, elle cacha son visage dans ses mains. Le Prévôt, comprenant qu’elle préférait rester seule, tendit le bras pour toucher son épaule dans un geste de réconfort, n’osa finalement pas et se retira en silence. Les verrous claquèrent derrière lui et l’écho des bottes ferrées des soldats se perdit dans l’escalier... Lorenza alors s’écroula sur sa paillasse en sanglotant...

Elle pleura longtemps. Moins sur sa brève vie gâchée que d’avoir vu s’écrouler ses rêves l’un après l’autre et d’avoir découvert que, loin d’être un don de Dieu, une trop grande beauté pouvait être une malédiction... Sur son chemin, elle n’avait rencontré que le désir. Pas cet amour sincère que savaient si bien attirer des filles moins généreusement dotées en apparence mais sans doute plus aimables. Vittorio peut-être ? Et encore ! Elle finissait par se demander si, passés les premiers temps de doux accomplissements, il lui aurait gardé amour et fidélité ? En Hector de Sarrance elle n’avait éveillé qu’une effrayante concupiscence. L’eût-il aimée -rien qu’un peu ! –, il ne lui aurait pas imposé ce traitement barbare qui l’eût sans doute tuée si elle n’avait réussi à lui échapper. Antoine ? Le seul regard qu’ils eussent échangé parlait de passion réciproque. Un authentique coup de foudre aussitôt retombé avant d’avoir pu s’épanouir comme une pièce d’artifice mouillée par la pluie... sauf de sa part à elle. Dieu, qu’il lui avait plu ! A sa simple évocation, elle sentait encore son cœur s’affoler ! Et certes, elle l’aimerait jusqu’au bout traînant comme la pire des croix cet amour qu’il rejetait avec horreur. Non seulement il ne bougerait pas un doigt pour la réveiller de son cauchemar mais peut-être sa voix se mêlerait-elle à celle de la foule hostile qui battrait l’accès à l’échafaud appelant sur la criminelle la malédiction du Ciel ? Que dire, en outre, des membres restants de sa famille ? L’une s’était faite son accusatrice sans hésiter un instant devant un énorme mensonge et l’autre avait approuvé sans la moindre hésitation sa condamnation à mort ! Même ceux qui lui avaient montré de l’amitié lui avaient été arrachés ! Disparu le gentil Thomas qui l’avait sauvée de la noyade. Chassé comme un gueux l’ambassadeur Giovanetti dont on lui avait appris qu’il l’aimait. Quant aux dames d’Entragues, tapies au fond de leur hôtel, elles s’étaient bien gardées de se manifester ! Et même le Roi au nom de qui on allait la tuer était parti au loin ! Elle ne laisserait derrière elle que le vide le plus absolu et une poignée de gens acharnés à se partager la fortune dont on l’avait spoliée comme une meute à la curée !

Le dégoût, la colère vinrent à bout de ses larmes. Elle se relevait pour baigner ses yeux dans un peu d’eau quand son geôlier entra porteur de sa nourriture. En l’apercevant, il eut une exclamation d’épouvante :

— Mon Dieu ! Dans quel état vous vous êtes mise ! Vous vous abîmez à pleurer comme ça ! Et c’est dommage !

— Croyez-vous que mon apparence ait une quelconque importance ? Demain, à cette même heure, je serai au fond d’un trou et ma tête séparée de mon corps !

— Je sais que c’est affreux mais si j’avais seulement une once de votre beauté, il me semble que je voudrais la conserver jusqu’à la fin. Vous savez, les petites gens sont sensibles à la façon dont un condamné va au supplice. D’aucuns lui jetteraient des saletés en l’injuriant s’il tremble ou montre sa peur, d’autres tomberaient peut-être à genoux pour prier s’il fait preuve de courage ! Tenez ! Commencez par manger ce que je vous porte, ajouta-t-il en soulevant la serviette inhabituelle couvrant une écuelle fumante. Vous avez de la soupe bien épaisse, du ragoût d’oie, une pomme et un gobelet de vin ! Et demain, quand vous aurez reçu la communion, vous aurez un verre de lait chaud !

Elle le regarda un instant, stupéfaite :

— Pourquoi faites-vous cela ? On vous en a donné l’ordre ?

— Oui. C’est Monsieur le Prévôt... mais, de toute façon, je vous aurais mis un petit quelque chose !

Le Prévôt ! Celui de ses juges qui la croyait innocente ! C’était sans doute l’unique ami – avec ce brave porte-clefs – qui la regretterait mais, au moins, il y en aurait un. Même au fond de sa misère c’était un vrai réconfort... et elle se promit de faire tout son possible pour ne pas le décevoir.

— Vous lui direz merci pour moi !... Et merci à vous aussi !

— C’est rien ! Mangez pendant que c’est chaud !

Pour rien au monde elle n’eût voulu lui faire de la peine et mangea tout ce qu’il avait apporté. Il la regardait faire avec un air de contentement qui lui fit plaisir.

— Là ! dit-il quand elle eut fini. Vous ne vous sentez pas un peu mieux ?

— Si !... Beaucoup mieux !

— Ben maintenant, tâchez de roupiller ! Le prêtre sera là à 8 heures de relevée !

Dormir ? Elle aurait bien voulu car elle redoutait ces interminables heures nocturnes seule en face d’elle-même à écouter s’égrener les battements d’un cœur que l’épée du bourreau ferait bientôt taire à jamais. Afin de repousser les affres de l’agonie, elle s’efforça de penser aux beaux jardins de son cher couvent des Murate, aux massifs de lauriers-roses qui en formaient le fond, les myrtes, les jasmins et les roses qui l’embaumaient et le flot capricieux de l’Arno que l’on pouvait contempler des fenêtres du couvent. Celui de Fiesole était bien joli aussi avec ses murets de pierres blondes apportant jusqu’aux abords de la ville le foisonnement de ses oliviers argentés. Elle revoyait aussi la splendeur sans égale des jardins Boboli où s’encadrait le palais des grands-ducs, semés de fontaines jaillissantes, de bassins d’eau claire où nageaient des poissons dorés, de statues d’un marbre plus blanc que la neige... de...

De l’évocation, elle passa au rêve parce qu’elle venait de s’endormir sans s’en apercevoir...

Une main qui secouait doucement son épaule la réveilla. Un jour grisâtre se montrait à l’étroite fenêtre et un moine en robe brune se tenait auprès d’elle...

— L’heure approche, ma fille, murmura-t-il. Je suis le frère Barnabé. Je suis venu vous assister afin de vous préparer à paraître devant votre Créateur.

C’était un vieux moine aux yeux clairs et emplis de compassion. Lorenza se hâta de se redresser, rejetant en arrière ses cheveux qui s’étaient dénoués durant son sommeil :

— Me voici tout à vous, mon père. J’ai un peu honte d’avoir tant dormi au lieu de préparer ma conscience à se confier.

— Un bon sommeil est un don de Dieu. On dit qu’il est l’apanage des cœurs purs... Est-ce le cas du vôtre ?

Elle s’agenouilla sur les dalles tandis qu’il s’asseyait sur la paillasse en traçant sur lui-même un large signe de croix. Elle joignit les mains et baissa la tête :

— Pardonnez-moi, mon père, parce que j’ai péché... mais devant vous, représentant du Seigneur à qui je vais devoir répondre de ma vie, je jure, sur le salut de mon âme, n’avoir jamais tué personne ! Pas même M. de Sarrance qui tentait de me détruire à coups de fouet. Je l’ai frappé, certes, avec une statuette en bronze que je lui ai lancée à la tête et je l’ai privé de connaissance assez longtemps pour me permettre de fuir, mais ce n’est pas moi qui lui ai tranché la gorge !

— Vous-même non mais il est des hommes que l’on peut acheter pour accomplir une vilaine besogne... Et vous êtes riche !