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— Qui a jamais entendu parler de cette loi ? Brama l’un des échevins. Elle remonterait à Hugues Capet ?... Pourquoi pas à Pharamond ?

— Pour ma part, déclara l’un des juges, je croirais volontiers que ce jeune homme aurait dépoussiéré n’importe quel parchemin pour sauver la vie de la condamnée dont il est certainement amoureux. Il fait même d’une pierre deux coups puisqu’il prétend l’épouser alors que M. de Sarrance n’est pas encore refroidi dans sa tombe !

— Et moi, j’affirme que c’est une honte ! clama un troisième au moment même où entrait le maître des lieux, le prévôt des marchands, Jacques Sanguin[16]. Estimant que l’exécution d’une jeune étrangère n’était pas de son ressort, il n’avait pas jugé bon d’y assister mais le vacarme déclenché sous ses fenêtres l’avait arraché à son austère cabinet de travail pour voir ce qui se passait. C’était un homme d’une cinquantaine d’années d’allure plutôt paisible mais à la voix de stentor qui lui était d’un grand secours avec une municipalité souvent agitée.

— On se tait ! Intima-t-il du seuil et avec tant de vigueur qu’il fut obéi sur-le-champ.

Après quoi il tira à part Jean d’Aumont avec lequel il s’entendait assez afin d’en obtenir quelques éclaircissements. Renseigné, il déclara :

— Que cela vous plaise ou non, je crois que Monsieur le prévôt de Paris a eu tout à fait raison de surseoir à l’exécution. D’abord, il faut examiner ce qu’il en est de cette loi dont s’est réclamé le baron de Courcy...

— On aurait pu le faire après ! grommela le procureur Génin.

— Après la décollation, voulez-vous dire ? Vous avez une bien curieuse conception de la justice, Monsieur le procureur ! En outre, le jeune homme affirme son innocence. Opinion que je partage. Vous aviez emporté la décision à la majorité mais je ne suis toujours pas convaincu..., riposta d’Aumont.

— Un témoin visuel ne vous semble pas suffisant ? Que vous faut-il de plus ?

— J’ai des doutes sur votre témoin. Cette femme a trop d’intérêts à la perte de sa nièce.

— La Reine y croit, elle. Or comme il s’agit de sa filleule, on peut lui accorder crédit, d’autant plus qu’elle a refusé de faire grâce !

— Qu’est-ce encore que cette histoire ? Tonna Sanguin. La grâce appartient au Roi et au Roi seul ! Sauf peut-être quand il est en guerre ! Mais il s’est seulement absenté pour quelques jours et n’a pas délégué de pouvoirs. Donc la Reine n’est pas régente. Elle n’est même pas couronnée ! Alors le droit de grâce !... Mais elle pouvait exiger le sursis jusqu’au retour de son époux.

Cela déclencha une nouvelle bagarre oratoire sur laquelle flottait la basse-taille de Sanguin comme un bourdon de cathédrale au milieu de cloches de moindre importance. Cette fois, ce fut Thomas qui y mit le holà en s’armant du marteau en bois du maître de céans et en frappant à coups redoublés sur l’épaisse planche qui le supportait. C’était d’une grande audace mais il obtint un relatif silence :

— Messieurs, commença-t-il calmement, je suis venu ici non seulement pour vous empêcher de commettre un meurtre, mais aussi pour répondre à vos questions. J’en sais infiniment plus que vous sur la nuit tragique de l’hôtel de Sarrance...

— On se demande bien pourquoi vous ne vous êtes pas manifesté plus tôt ? lança aigrement le Procureur.

— Parce que j’en ai été empêché. Envoyé en mission par le Roi, j’ai eu un accident qui m’a immobilisé un certain temps dans le manoir où j’ai été recueilli.

— Quelle mission ? Grinça l’un des juges.

— J’ai dit qu’elle m’avait été confiée par le Roi. Ce qui signifie que cela ne vous regarde pas. J’ajoute qu’au lieu de vous chamailler, vous seriez mieux avisés d’attendre le retour de Sa Majesté pour disposer de la vie de donna Lorenza parce que si, en revenant, il apprenait qu’elle a été exécutée sans sa permission, ceux qui l’auraient envoyée au bourreau pourraient apprendre à leurs dépens ce que pèse sa colère !

— Contre le désir de son épouse ? Cela m’étonnerait !

— Cela tient à ce que vous ne fréquentez pas la Cour. Sinon vous sauriez que, voici quatre mois, notre bonne Reine était à deux doigts d’être répudiée.

— Nantie de quatre enfants ? Ricana quelqu’un.

— Aucun empêchement à la chose. Sa descendance dûment assurée, le Roi avait parfaitement le droit d’en finir avec les scènes violentes dont il était assourdi jour après jour. Donna Lorenza et sa fortune ont été amenées justement pour assurer à sa femme le ferme soutien du plus vieil ami de son mari...

— Et comme la belle ne voulait pas l’épouser, elle l’a occis ! Triompha Génin.

Thomas le considéra avec une sorte d’accablement :

— Morbleu, vous êtes têtu ! Et si je vous apprenais qu’à l’heure où M. de Sarrance passait de vie à trépas, je sortais de la Seine sa jeune femme à moitié morte ?

— Je dirais, moi, qu’épouvantée par le crime qu’elle venait de commettre, elle avait voulu se suicider !

— Par tous les saints du Paradis ! Explosa Thomas.

Il prenait déjà son élan pour faire prévaloir son

Point de vue en l’appuyant de quelques arguments frappants quand Jean d’Aumont lui barra le passage :

— Messieurs, Messieurs, je vous en prie ! Il est temps d’examiner la question avec calme et pondération...

— Et cesser de confondre l’Hôtel de Ville avec un champ de foire ! Appuya Sanguin. Un peu de bonne volonté, que diable ! Dans l’état actuel de l’affaire, je pense que ce qui importe avant tout est d’attendre le retour du Roi qui ne saurait tarder, en suspendant naturellement l’exécution de la sentence. Jusque-là, cette jeune dame devrait réintégrer sa prison...

— Pour y mourir de froid... ou d’autre chose ? Ricana Thomas, hors de lui. Je vous rappelle que j’ai retenu l’épée du bourreau en demandant à l’épouser !

— Vous êtes officier, fit remarquer d’Aumont. Il vous faut l’autorisation de votre colonel... et aussi du Roi. Sans compter votre père...

— Je réponds de mon père ! Et si je dois démissionner, je démissionne. Je me retirerai sur nos terres avec elle qui pourra enfin vivre en paix !

— En renonçant à servir le Roi ?

— Vous savez bien que non. Si la guerre venait, j’irai réclamer le droit de me faire tuer à ses côtés... Mais je ne veux pas que donna Lorenza retourne au Châtelet.

— Elle y a été... convenablement traitée !

— Ce convenablement ne vous suffirait sans doute pas ! Et je réitère que je veux l’épouser ! Sur-le-champ s’il vous plaît ! Il suffit de faire venir un prêtre et vous êtes assez nombreux pour servir de témoins ! Assena-t-il avec insolence.

— Encore faut-il que l’intéressée accepte ! susurra maître Fulgent, l’un des juges.

Thomas tourna vers lui sa colère

— Entre une vie convenable et une mort honteuse, vous hésiteriez, vous ?

— Moi ? Heu... non... mais le mariage n’est pas toujours un état paradisiaque... tant s’en faut ! Soupira Fulgent qui devait avoir son idée sur le sujet.

— Après ce qu’elle a subi aux mains du vieux Sarrance, vous croyez qu’elle l’ignore. Moi, je la respecterai ! Et si la cour la rejette, elle pourra vivre dignement – vivre ! Vous entendez ? – dans notre château de Courcy auprès de mon père et de ma tante.