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— Bah ! Ce n’est pas la première fois que vous dites cela !

— Peut-être et j’ai eu grand tort de ne pas passer à l’exécution mais, par la croix de ma mère, je vous jure que ce sera la bonne ! Dehors, les Conchine et toute la bande de ruffians !

— Mais... ils sont près de deux mille !

— Tant que ça ? Ce sera donc un acte de salubrité publique : Paris ne s’en portera que mieux... et mes finances aussi ! Priez, vous dis-je ! C’est ce que vous avez de mieux à faire !

Elle ne l’avait encore jamais vu dans une telle colère. Comprenant enfin qu’il était déterminé, elle poussa un gémissement puis éclata en sanglots imprécatoires, poussant de véritables hurlements qui ne firent aucun effet sur un homme habitué à ces scènes depuis longtemps.

— Madame de Guercheville ! Appela-t-il calmement.

— Que veut Votre Majesté ?

— Essayez d’apaiser la Reine... mais ne lui laissez aucun doute sur la fermeté de ma décision. Je vais faire appeler l’ambassadeur Giovanetti !

Il allait sortir. Elle le retint :

— Mais... Sire ! Il n’est plus là !

— Il est parti ? Sans dire au revoir ?

— C’est que... la Reine l’a renvoyé le jour même où l’on a su la mort du grand-duc. Votre Majesté venait de se mettre en route pour Boulogne...

— Qu’est-ce que vous racontez là ? Vociféra l’intéressé. C’est lui qui a voulu s’en aller ! Il était même fort pressé et il est facile de comprendre pourquoi : il voulait emmener cette fille...

— Il ne serait pas parti sans saluer le roi de France ! Gronda Henri. Mais nous réglerons cela aussi en temps voulu !

Et, sur ce, comme n’importe quel mari mécontent dévoré par l’envie de battre sa femme, Henri sortit en claquant la porte...

Après que l’on en eut délibéré – et aussi le passage en coup de vent de Bassompierre annonçant le retour du Roi et ce qui s’ensuivait –, Lorenza fut confiée provisoirement au couvent des Hospitalières Saint-Gervais proche de l’Hôtel de Ville et dont la supérieure était d’ailleurs une parente de Jean d’Aumont. Elle put y recevoir les soins rendus nécessaires par les chocs violents de son arrestation, de son emprisonnement et de sa montée à l’échafaud. L’intervention in extremis de Courcy avait apporté, certes, un soulagement appréciable mais tout cela suivait de trop près l’horreur de sa nuit de noces et ce qui en avait découlé.

La supérieure, mère Madeleine de la Divine Miséricorde, portait bien son nom. A cette échappée du billot qu’on lui amenait, quasi muette mais dont le regard criait la détresse, elle fit donner un bain chaud, une tisane calmante et, dans une cellule particulière, un lit de nonne c’est-à-dire pourvu du strict nécessaire mais dont les draps étaient propres et qui, comparé à sa couche du Châtelet, lui parut le comble du confort. Elle s’y glissa avec un soupir de bonheur et s’endormit aussitôt...

Quand elle s’éveilla le lendemain matin après des heures du meilleur sommeil qu’elle eût connu depuis longtemps, elle vit le visage attentif de Madame d’Entragues penché sur elle :

— Ah ! constata celle-ci avec satisfaction. Vous nous revenez cette fois encore ! Comment vous sentez-vous, ma petite ?

— Bien... je crois, répondit Lorenza en se redressant. Il me semble que je n’ai jamais aussi bien dormi ! Mais... vous vous êtes dérangée pour moi, Madame ? N’est-ce pas... imprudent ?

— Pas le moins du monde ! Beaucoup de choses ont changé depuis... depuis hier, s’empressa-t-elle de dire rattrapant de justesse la fâcheuse allusion au drame miraculeusement évité de la veille. Mais, en même temps, la mémoire revenait à la rescapée qui sentit son angoisse renaître.

— Dois-je retourner au...

Le mot ne passait pas. L’ex-favorite de Charles IX se mit à rire :

— Quelle idée ! Je viens de vous dire que l’on n’en était plus là ! Figurez-vous qu’au moment même où ce merveilleux Thomas de Courcy proclamait son intention de vous épouser, le Roi rentrait au Louvre. Il a entendu le glas, demandé des explications et – paraît-il parce que, hélas, je n’y étais pas à mon grand regret – le Roi a piqué une des plus belles colères de sa vie. Il a ordonné qu’on arrête votre affreuse tante et – d’après ce cher Joinville qui n’aime rien tant que raconter ce dont il a été témoin – un vent de panique a soufflé sur la clique fl... Italienne de sa femme menacée d’expulsion totale au cas où Bassompierre n’arriverait pas à temps pour vous sauver. Ce cher Sire avait même effleuré un retour à la répudiation ! Personne n’en mène large au palais aujourd’hui...

— Est-ce... qu’il a pris une décision pour moi ?

— Pas encore mais nous serons fixés demain. Je suis venue prendre de vos nouvelles et vous informer que je passerai vous chercher après le dîner.

Sa Majesté a décidé de réunir tous ceux qui ont participé à vos malheurs afin d’éclaircir toute l’affaire. Naturellement, ma fille Verneuil y sera et vous n’imaginez pas à quel point nous nous réjouissons, elle et moi ! Ce sera la première fois depuis longtemps qu’elle et la grosse banquière vont se retrouver en un même lieu ! Cela va être... fabuleux ! conclut-elle en battant des mains avec l’enthousiasme d’une jeune fille à la veille de son premier bal.

— Y aura-t-il aussi MM. de Courcy et de Sarrance ?

— Évidemment, voyons ! C’est vrai que vous l’ignorez, mais hier ils se sont empoignés comme des chiffonniers et, pour les faire tenir tranquilles, le prévôt d’Aumont les a envoyés se calmer au Châtelet, dans des prisons séparées pour plus de prudence.

— Quelle tristesse ! commenta Lorenza, navrée. Ils sont amis depuis si longtemps. Et j’ai semé la zizanie entre eux !...

— Cela n’est pas si grave et d’ailleurs c’est une histoire vieille comme le monde ! Deux coqs vivaient en paix, une poule survint et ce fut la guerre ! Allons, ajouta-t-elle en se levant, vous n’allez pas vous faire du souci ! Songez seulement à prier pour celui qui, à deux reprises, vous a sauvé la vie ! Si l’on avait écouté l’autre, vous seriez déjà à six pieds sous terre ! Pensez à vous, que diable !... Ah ! Pendant que j’y pense, je vous ai apporté de quoi vous vêtir comme il convient.

Après tout, vous êtes veuve et le noir doit vous aller à merveille !

Ayant dit, Dame Marie posa un baiser sur le front de Lorenza, lui tapota la tête en manière d’encouragement et la laissa à ses réflexions.

TROISIÈME PARTIE

TEMPÊTE SUR LE LOUVRE

Chapitre XI

L’offense

Après mûre réflexion, Henri IV avait décidé que cette affaire, délicate par certains côtés, ne se réglerait pas au Louvre, ce rendez-vous des courants d’air plus ou moins malveillants mais à l’Arsenal, chez son ami et néanmoins ministre, Sully, qui, outre ses fonctions de grand maître de l’artillerie et de surintendant des Finances, avait entre autres charges celle de médiateur au sein du ménage royal et cela plus souvent qu’à son tour.

L’Arsenal, c’était à la fois son poste de commandement et sa maison : un petit palais reconstruit par Henri en 1594 entre la Bastille – il en avait fait le coffre-fort de l’État – et la Seine dont le séparait une belle allée plantée d’ormes, le Mail. Le jardin était magnifique et, aux beaux jours, le Roi et son épouse aimaient y venir festoyer[17].Il arrivait même que la Reine lui empruntât sa Chambre Haute pour y monter l’un de ces ballets quelle adorait et où elle jouait généralement le premier rôle...

Au physique, Maximilien de Béthune, marquis de Rosny et duc de Sully, n’avait en rien la prestance d’un diplomate... Gros homme de quarante-six ans, son crâne chauve compensé par une longue barbe et l’œil bleu glacier, c’était un bourreau de travail, doué d’un caractère exécrable. Mais d’une France quasi ruinée par les guerres de Religion il avait fait un pays prospère. Seules les Affaires étrangères, fief du duc de Villeroy, qu’il détestait, lui échappaient. Une espèce d’oubli qu’il espérait bien réparer un jour.