— A nous à présent ! Et je veux des réponses sans équivoque ! Marquis, vous êtes intimement persuadé de la culpabilité de donna Lorenza ?
— Oui, Sire ! Elle n’a pas commis l’acte elle-même mais je crois que ce Bertini a été son instrument, payé ou par simple dévouement. Nous ignorons qui est cet homme mais il suffit de la regarder pour savoir que sa beauté lui donne le pouvoir de déchaîner des passions...
— A commencer par la vôtre ! Ai-je rêvé ou m’avez-vous supplié de vous envoyer vous faire étriper le plus loin possible afin de ne pas être contraint d’assister aux joyeuses épousailles de votre père avec celle dont, cependant, vous ne vouliez pas entendre parler étant « follement » épris d’une autre demoiselle ?
— Non, Sire... Tout cela est vrai. Lorsque j’ai vu donna Lorenza il m’a semblé que mes yeux s’ouvraient...
— Ventre-saint-gris, mon garçon ! On dirait que vous les avez refermés depuis en y ajoutant des œillères pour être bien sûr de ne pas les rouvrir ! Et maintenant vous réclamez sa tête à cor et à cri ? Vous ne seriez pas un peu fou par hasard ?
Le ton était sévère. Antoine renâcla :
— Fou non, Sire ! Mais ensorcelé, je le redoute ! Florence semble une ville curieuse ! Les filles n’ont-elles pas la réputation de s’adonner à la magie ou même à la sorcellerie ?
Surpris, Thomas allait émettre une protestation mais Henri, lui, partit d’un énorme éclat de rire :
— Vous imaginez la Reine enfourcher un balai et se coiffant d’un chapeau pointu pour se rendre au sabbat ?... Oh, non que c’est drôle ! Volant dans les airs... elle qui a le vertige ? Il faudrait qu’il soit costaud le balai !...
Il en pleurait presque sous l’œil effaré de Jean d’Aumont, du procureur Génin et de Thomas qui, après un instant, lui firent chorus. Seul, Sarrance ne riait pas. On se moquait de lui et s’il ne s’était agi de son souverain il n’aurait pas hésité à en demander raison. Au lieu de cela, il tenta d’expliquer que Sa Majesté n’était pas en cause mais sa sulfureuse dame d’atour, cette Leonora Galigaï laide comme le péché, qui hantait les appartements royaux sous son voile noir comme une ombre maléfique. Et Henri cessa de rire :
— Pour ce coup, je ne vous donne pas tort ! Il arrive que cette femme me fasse peur ! Mais je vous ferai observer qu’il est difficile de trouver le moindre point commun avec cette ravissante enfant que vous poursuivez d’une hargne incompréhensible ! Il serait temps que vous essayiez de voir clair en vous-même, mon garçon !
Il venait d’employer les mêmes mots que l’étrange sœur Doctrovée qu’Antoine avait rencontrée en place de Grève. Celle-là semblait tellement convaincue de l’innocence de Lorenza... Le Roi reprenait :
— Passons à vous, Thomas de Courcy qui vous êtes déclaré son champion si hautement ! N’avez-vous obéi qu’à un mouvement de compassion en la réclamant pour épouse au moment où sa tête allait tomber ?
Thomas réfléchit un instant puis, ses yeux dans ceux du Roi :
— Je ne sais pas, Sire !
— Allons donc ! marmotta Antoine.
— Ou vous vous taisez, Sarrance, ou je vous expédie de nouveau au Châtelet. Quant à vous, Courcy, tâchez de vous expliquer ! Je vais formuler ma question différemment : aimez-vous donna Lorenza ? D’amour, j’entends !
Thomas mit un genou en terre :
— Pardonnez-moi, Sire, si je ne peux répondre autrement ! Quand j’ai su le crime qui se fomentait en place de Grève, quand je l’ai vue, elle, maniée par le bourreau qui s’apprêtait à lui décoller la tête, j’ai été envahi par la pitié sans doute mais surtout par une horreur sacrée comme si l’on allait assassiner un ange. Il m’a semblé que si elle mourait, un rayon du soleil déserterait cette terre. Que pour moi, en tout cas, rien ne serait plus comme avant et que cette scène abominable hanterait mes nuits...
Brusquement, il s’adressa à Sarrance :
— Et toi, qu’éprouvais-tu tandis que, caché dans la foule, tu regardais s’accomplir un crime de l’injustice et de l’imbécillité contre une pauvre enfant dont on avait osé se servir comme monnaie d’échange, qu’on avait frappée plus ignominieusement qu’une esclave et chargée des pires forfaits sans pitié pour sa jeunesse et dont le seul péché était d’être trop belle ?
— J’espérais ma délivrance ! J’espérais que, morte, elle cesserait de me hanter...
— Ce sont les morts qui hantent, pas les vivants !
— Elle, si ! Elle a détruit ma vie, celle de mon père...
— Un instant, s’il vous plaît !
Jean d’Aumont à l’oreille de qui un serviteur entré sur la pointe des pieds venait de parler, se leva et s’inclina :
— Sire, veuillez me pardonner cette interruption mais je viens d’apprendre un nouveau drame !
— Encore ? Qu’est-ce que c’est cette fois ?
— Les hommes que j’ai envoyés rue des Poulies appréhender le sieur Bertini et sa dague, y ont rencontré une escouade du guet : Bertini et la Maupin, sa maîtresse, ont été assassinés cette nuit dans leur lit. Égorgés tous les deux ! Avec une arme qui a disparu... Peut-être celle que nous cherchions.
Sully, qui revenait après avoir accompagné la Reine et sa dame d’honneur, regarda l’un après l’autre ceux sur qui la nouvelle venait de tomber. Tous, tant qu’ils étaient, semblaient pétrifiés. Il rejoignit le Roi qui se tourna vers lui :
— Vous avez entendu, Monsieur le grand maître ?
— Oui, Sire... et je crois en mon âme et conscience que ce double meurtre fait table rase de toutes les accusations portées jusqu’à présent sur... Madame la marquise de Sarrance ! Il est impossible qu’elle y soit impliquée !
— Je le crois aussi, Messieurs, ajouta-t-il à l’intention des magistrats présents. Avez-vous quelque objection à formuler ?
— Non, Sire, répondit Génin en s’inclinant. La cause est entendue et nous abandonnons les poursuites !
Ils se retirèrent aussitôt menés par le prévôt, visiblement ravis d’une issue aussi heureuse qu’inattendue et parlant tous à la fois. Sully les rappela à l’ordre :
— Ne perdez tout de même pas de vue qu’il s’agit maintenant de rechercher le ou les auteurs d’un double homicide...
— Je vais m’y attacher, Monsieur le grand maître, le rassura d’Aumont... Mais c’est bien la première fois qu’un meurtre m’enchante !
— Je partage votre sentiment, approuva Henri. Et avant de rentrer au Louvre, je vais faire un tour chez les dames d’Entragues afin de les informer. La jeune Lorenza n’a pas besoin d’une mauvaise nuit de plus... Eh bien, et vous, Sarrance, qu’en pensez-vous ? Vous ne dites rien ?
— C’est qu’en vérité je ne sais que dire, Sire !
— Ah non ? Vous avez le soupçon tenace, j’ai l’impression ?
— C’est que... demeure l’accusation formelle de donna Honoria qui a disparu comme par enchantement. L’assassinat de Bertini et de sa maîtresse pourraient n’être... qu’une coïncidence... et n’avoir aucun rapport avec la mort de mon...
L’agression de Thomas lui coupa la parole. Blême de colère, son ancien ami venait de lui sauter à la gorge en l’empoignant par la fraise de son pourpoint :
— Pour le coup, je crois que je vais t’étrangler ! Que t’a fait donna Lorenza pour que tu t’acharnes ainsi contre elle ? Tu détestais ton père, tu le maudissais pour t’avoir soufflé sous le nez la merveille que tu dédaignais quelques heures plus tôt faute de l’avoir vue !
Ils roulèrent sur le tapis mais ne luttèrent qu’un instant, vite séparés et remis sur pied par le ministre et le Roi sans être calmés pour autant.