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— Vous allez cependant devoir vivre sous le même toit, quand vous serez à Paris ! A moins que la Reine ne vous garde au palais ? En quels termes êtes-vous avec Sa Majesté ? Je suppose qu’elle vous aime.

— J’avoue l’ignorer. J’avais huit ans lors de son départ pour la France. Jusque-là, elle ne m’a jamais accablée de démonstrations d’affection. Elle se contentait de me tapoter la joue quand elle me rencontrait et de m’offrir deux florins d’or pour la Noël et l’an nouveau. Elle avait alors vingt-sept ans, je crois, et je n’étais qu’une gamine. Toute son attention elle la réservait à cette compagne qu’on lui avait donnée, cette Leonora Dori ou Dosi sortie de rien et que l’on avait fait adopter par un vieux gentilhomme sans descendance pour lui permettre de figurer convenablement dans les entours d’une princesse. Elle est toujours auprès d’elle je présume ?

— La Galigaï qui est devenue la signora Concini ? Je pense bien !

— Elle est mariée ? Elle n’est pourtant pas belle : sèche, noiraude...

— Elle a pourtant épousé celui qui est sans doute le plus beau parmi les Florentins que la Reine a amenés avec elle... Le plus pervers aussi et il faudra vous en méfier car leur influence sur leur maîtresse est absolue. Même le roi Henri les redoute, lui qui n’a peur de personne ! Il a tenté à plusieurs reprises de s’en débarrasser mais on lui a opposé de telles fureurs qu’il y a renoncé. Maintenant que vous m’y faites penser, le couple devrait vous voir arriver d’un bon œil : si leur protectrice était répudiée, ils seraient bien obligés de la suivre.

— Autrement dit vous aurez travaillé pour eux comme pour la reine Marie ?

— Cela, je ne veux pas le savoir, dit Giovanetti avec une nuance de sévérité. Je suis aux ordres de Son Altesse le grand-duc Ferdinand et de nul autre !

— Pardonnez-moi ! Je ne voulais pas vous offenser !

Il la rassura d’un sourire et l’escorta jusqu’à sa chambre où Bibiena s’occupait déjà à lui préparer un bain dans lequel elle venait de plonger un sachet d’herbes odorantes :

— Voilà qui va vous changer des pestilences du bateau... et moi aussi par la même occasion ! La cabine de donna Honoria puait comme charogne ! Enfin, pour moi, la pénitence est terminée, conclut-elle avec satisfaction.

— Pas tout à fait ! Émit Lorenza un peu honteuse. Je viens de demander à ser Giovanetti de me procurer un cheval, je préfère risquer de faire le chemin par mauvais temps plutôt que partager le carrosse où elle prendra place... et toi aussi bien sûr !... Eh bien, mais où vas-tu ?

Le visage rond de l’ancienne nourrice, auquel un double menton et une implantation de cheveux en pointe sur le front donnaient l’apparence d’un cœur, se ferma d’un seul coup. Elle s’essuya les mains, redescendit les manches de sa robe qu’elle avait roulées et se dirigea vers la porte :

— Implorer Son Excellence de me dénicher une mule costaude. J’aime mieux arriver à Paris les fesses tannées comme un vieux cuir qu’épuisée d’avoir lutté toute la journée contre l’envie de l’étrangler ! Ce qui pourrait arriver, auquel cas il ne vous resterait plus qu’à faire dire des messes pour mon âme après que l’on m’aura pendue haut et court !

Et sur ce, Bibiena claqua la porte.

Le lendemain, vêtue de petit drap gris clair avec fraise et manchettes au point de Venise, une toque de velours assortie ornée d’une insolente plume de héron solidement amarrée sur ses tresses brillantes, Lorenza, le défi au fond des yeux, faisait joyeusement volter son cheval sous le regard amusé de l’ambassadeur avant de se diriger avec lui vers la sortie de Marseille. Derrière elle, Bibiena suivait à califourchon sur une mule digne de porter un évêque. Enfin, venait le lourd carrosse où s’étaient installées donna Honoria et sa fidèle Nona. Celle-ci avait choisi de se réfugier dans la prière, ce qui était un moyen astucieux d’avoir la paix tout en sachant bien qu’à la première occasion se déchaînerait la tempête qui couvait sous le silence menaçant de la dame. Celle-ci n’avait pas pipé tout à l’heure en découvrant que sa nièce allait lui échapper tout au long de ce voyage dont elle espérait tirer un certain plaisir, mais point n’était besoin de la connaître beaucoup pour deviner que l’orage éclaterait à un moment ou à un autre...

CHAPITRE II

Messieurs de Sarrance père et fils

Tandis que Lorenza caracolait sur les routes de France par un temps d’une douceur exquise et sous un soleil qui s’efforçait de masquer les traces laissées par les récentes guerres de Religion, deux hommes faisaient, à pas lents mais en causant avec animation, le tour du grand parterre du château de Fontainebleau. Bien que l’un eût une tête de plus que l’autre et un certain nombre d’années en moins, ils se ressemblaient assez pour que nul ne doutât qu’Antoine de Sarrance fût bien le fils de son père. Cela tenait à la forme du visage, au front haut, au nez imposant, à la forme des yeux quoiqu’ils fussent de couleur différente : verts chez le plus jeune et du même gris que les cheveux pour le plus âgé. Autre différence, celui-ci portait courte barbe et moustache comme le Roi, son modèle depuis l’adolescence, alors que le beau visage arrogant du garçon était strictement rasé. Il n’en avait pas toujours été ainsi mais, depuis qu’un coup d’épée reçu en duel lui avait balafré la joue gauche, Antoine, constatant qu’autour de la cicatrice, les poils s’étaient mis à pousser de façon anarchique, avait renoncé définitivement à cet ornement auquel, d’ailleurs, il n’avait jamais été fort attaché. Le bel officier des chevau-légers avait aussi à cœur de protéger la peau délicate de ses maîtresses. Il avait, vu le nombre de celles-ci, dû mettre, en de multiples occasions, flamberge au vent, ce qui avait le don d’exaspérer son colonel, le comte de Sainte-Foy :

— Si vous avez tellement envie de vous faire occire, Sarrance, lui disait-il, allez rejoindre un régiment de frontières, votre mort servira peut-être à quelque chose ! Quand on a l’honneur de veiller sur la personne du Roi, on évite autant que possible de décimer ses sujets sous le prétexte fumeux que l’on a les mêmes goûts en matière de gent féminine !

En cet instant, l’une d’elles motivait la discussion plutôt vive entre le père et le fils : car leurs caractères se ressemblaient aussi.

— Ne vous faites pas plus bête que vous n’êtes, mon fils ! Si je ne vous ai pas expliqué dix fois l’importance de ce mariage, je ne l’ai pas fait une fois ! Vous êtes bouché, ma parole !

— Et moi je vous ai répondu que j’aime Mlle de La Motte-Feuilly, qu’elle m’aime aussi et que nous ne souhaitons rien de mieux que vous donner ensemble tous les petits-enfants que vous voudrez !

— Baste, vous les ferez avec une autre ! Votre La Motte-Feuilly n’est pas vilaine mais elle n’a pas trois sous vaillants, et moi je veux reconstruire Sarrance ! La Florentine nous en donnera les moyens et, si vous tenez tellement à une vaste marmaille, au moins le toit qui les abritera ne fuira pas !

— En vérité, je ne vous reconnais plus, Monsieur ! Les ancêtres d’Elodie ont combattu à Mansourah avec le saint roi Louis ! Voulez-vous me dire où étaient ceux de cette fille ? En train de chercher pâture dans les ruisseaux de Florence ?...

Le teint du marquis Hector vira au rouge vif :

— D’où tenez-vous cette ânerie ? C’est une Médicis ! La propre nièce du grand-duc Ferdinand et de la petite-fille de notre défunt roi Henri II. J’ajoute que les Médicis possèdent sans doute la plus grosse fortune d’Europe...

— Nièce oui, mais de la main gauche ! Vous voulez me faire épouser une bâtarde ?