— Cela, ma chère, c’est tout à fait impossible car, de raison, il n’en a plus guère. Il en est à nier l’évidence... Les gens du prévôt, partis appréhender le sieur Bertini, sont revenus nous apprendre qu’il avait été assassiné la nuit dernière avec sa maîtresse. Ce qui innocente définitivement votre protégée...
— Oh, quelle joie, Sire ! s’écria Lorenza. Ainsi je suis libre ?... Et je vais pouvoir regagner Florence ?
Henri IV la regarda un instant : l’idée qu’il allait encore lui faire du mal le peinait :
— Libre, oui, mais que ferez-vous à Florence où Ferdinand n’est plus et où Christine de Lorraine s’est retirée dans l’une des villas médicéennes ? En outre, votre fortune ne vous sera pas rendue... Le nouveau marquis de Sarrance... qui ne fait plus partie de nos proches a finalement décidé de la garder ! Il est toujours persuadé de votre culpabilité. Pardonnez-moi d’ajouter à vos douleurs ! fit-il en lui prenant la main.
Le geste alerta la marquise qui se hâta d’aller prendre le bras libre d’un amant qu’elle entendait conserver pour elle seule :
— Il y a là un mystère ! Comment se peut-il ?
— C’est tout simple, mon cœur. Ce blanc-bec a dépassé les limites jusqu’à m’insulter. Je l’ai giflé et chassé !
— Pourquoi ne l’avoir pas envoyé à la Bastille ? protesta Henriette.
— Je l’ai frappé à la tête et il est gentilhomme. Si je n’étais le Roi, nous en aurions décousu sur le pré. Il m’a paru plus juste de l’éloigner de mon service.
— Tout de même ! C’est faire preuve de...
Lorenza n’écoutait plus. De ce qu’avait dit le Roi elle retenait seulement qu’Antoine demeurait convaincu de sa culpabilité. C’était tellement navrant qu’elle avait peine à le croire. La voix de la marquise se faisant plus aiguë à mesure que sa colère montait l’atteignit d’autant mieux qu’elle la tenait par les épaules :
— Et celle-ci, alors, que va-t-elle devenir ? Elle perd tout dans cette machination montée par votre grosse pondeuse !
— Sauf l’amour d’un noble cœur ! Thomas de Courcy a réitéré son offre de vous épouser, ma chère enfant !
— Je ne veux de la pitié de personne !
— Ce n’est pas de la pitié mais de l’amour et le plus pur qui soit ! Les Courcy sont de très ancienne et très noble maison. Leur tortil de baron vaut la couronne d’un duc et ils n’ont nul besoin d’augmenter leur fortune. Thomas est fils unique. Le baron Hubert ne s’est jamais remis de la perte de son épouse mais ne s’est pas enseveli pour autant dans les larmes. Dans son magnifique château sur l’Oise... pas très loin de Verneuil, précisa-t-il, avec un sourire à sa maîtresse. Il vit avec sa sœur et préfère cultiver son jardin et sa bibliothèque plutôt que la mélancolie... Vous pourriez, un jour, être heureuse...
— Et eux, le seraient-ils avec moi ? Je ne porte pas bonheur !
— Vous n’avez pas eu de chance, voilà tout ! Je crains, malheureusement, d’y avoir joué un rôle – et que dire de mon épouse ! Ce mariage ferait de vous une grande dame et serait peut-être votre meilleure revanche sur la vie ?...
— Si le Roi le dit... mais il y a dans le mariage des... réalités...
— Qui vous effraient ? Rassurez-vous ! Courcy vous aime assez pour vivre avec vous comme un frère ! Il me l’a juré... et j’ai toutes les raisons de le croire ! Rien ne vous presse, d’ailleurs ! Réfléchissez !
Ayant dit, il se tourna vers Henriette et passa un bras autour de sa taille...
— Si nous nous occupions un peu de nous, mon cœur ? Déposer les soucis du pouvoir entre vos belles mains est ce à quoi j’aspire le plus maintenant. C’est chose si facile et si douce auprès de vous !
— Le croyez-vous vraiment ? Il m’a semblé, parfois, que vous pensiez différemment ?
— C’est que je n’étais pas moi-même mais vous me connaissez mieux que je ne le fais et vous savez bien que vous êtes... incomparable !
Il l’attira à lui, l’embrassa dans le cou et ils sortirent tous deux en se tenant enlacés sans plus se soucier de Mme d’Entragues ni de Lorenza mais la première était habituée et la seconde perdue dans ses pensées...
Un devin passant à l’hôtel d’Entragues à ce moment aurait fort surpris Henri en lui prédisant que, le lendemain, à la même heure, il serait complètement guéri – et cela de manière irrévocable ! – de la passion chamelle qui l’enchaînait depuis tant d’années et qui, même après les pires tempêtes, le ramenait toujours dans les bras de Mme de Verneuil.
Et pourtant...
Chapitre XII
Des conséquences d’un coup de foudre
Henri IV était de mauvaise humeur.
D’abord parce qu’il n’avait pour ainsi dire pas dormi. Ou si peu !
Rentré tard, avec le plus de discrétion possible en caressant l’espoir que Marie serait endormie, il avait eu la surprise de la trouver assise sur son lit entre un plateau de fruits confits et Leonora Galigaï à visage découvert cette fois, qui lui parlait de façon intime en agitant des papiers qui semblaient lui tenir fort à cœur. L’irruption du Roi la fit disparaître comme par enchantement, voile réajusté et papiers escamotés. Henri, qui avait sommeil, se garda bien de poser la moindre question et se coucha avec un soupir de soulagement après avoir repoussé le plateau au pied du lit. Fâcheuse idée ! Sa royale épouse ouvrit la bouche mais non pour croquer la prune qu’elle tenait du bout des doigts, hélas ! C’était parti pour la scène de ménage que l’on tenait au chaud depuis la séance chez Sully. Tout y passa à commencer par la « parodie de justice » donnée à l’Arsenal jusqu’à la présence de la marquise « poutane » à cette réunion... et ce qui s’ensuivait touchant ses relations avec Henri, et sans omettre la « criminelle » mansuétude envers une meurtrière avérée qui ne tarderait sans doute pas – si ce n’est déjà fait ! – à le recevoir dans son lit...
Après avoir vainement tenté de changer en duo conciliateur ce solo vengeur, Henri se leva, enfila sa robe de chambre, ses pantoufles, prit son oreiller sous le bras et s’en alla finir chez lui – où les feux étaient éteints ! – le peu qu’il restait de la nuit...
Son travail de la matinée s’en ressentit. En outre, le temps était froid, gris et il neigeait. Enfin, alors qu’il examinait le dernier rapport de son ambassadeur en Espagne, des flots de musique envahirent le palais et changèrent son humeur noire en humeur massacrante : le ballet ! Le foutu ballet les Nymphes de Diane que la Reine avait mis en répétitions pour le mardi gras où il serait interprété dans la Chambre Haute de l’Arsenal. Il ne manquait plus que ça !
Marie raffolait de ces ballets pour lesquels le premier rôle lui était toujours réservé- la « grosse banquière » en Diane, il fallait imaginer ! –, les autres étant tenus généralement par les plus jolies filles de la Cour.
La musique sautillante envahissant son cabinet et ses oreilles, Henri décida d’abandonner la place et d’aller demander à dîner à Sully. Accompagné par son capitaine des gardes, M. de Montespan, et par son ami Bellegarde, son Grand Ecuyer récupéré au passage, le Roi, les mains nouées dans le dos, la tête dans les épaules et sans rien regarder, fonçait à travers la grande galerie où évoluaient ces demoiselles pour gagner le vestibule quand Bellegarde s’exclama :
— Voyez donc, Sire ! Mademoiselle de Montmorency est admirable !
Il leva alors les yeux... et le monde entier bascula. A cet instant, les Nymphes, fort légèrement drapées de quelques voiles transparents, brandissaient des javelots qu’elles faisaient mine de lancer. Juste en face de lui, Henri crut voir un ange blond dont les yeux d’azur, les lèvres tendres souriaient en dirigeant l’arme vers son cœur... Ce qu’il ressentit fut si violent qu’il vacilla sur ses jambes et fût peut-être tombé si Bellegarde ne l’avait soutenu.