— Marie ? Elles s’associent volontiers pour faire face à ce qu’elles considèrent comme leurs rivales et la chance veut qu’elles n’aient encore jamais aimé le même homme. Le Roi a certes fait une ou deux incursions dans le lit de ma cadette mais cela n’a pas tiré à conséquence d’autant qu’elle est tombée amoureuse de Bassompierre dès son apparition à la Cour. Mais pour en revenir à la comtesse, je suis ravie qu’elle vous plaise et, plus encore je crois, qu’elle vous attire.
— Vous avez dit qu’elle est étonnante. Pourquoi ?
— Parce qu’elle l’est vraiment ! Tous les Courcy d’ailleurs et vous en serez convaincue lorsque vous aurez rencontré son frère, le vieux baron ! Mais je préfère vous en laisser la surprise car un jour ou l’autre on vous emmènera au château. Quant à la comtesse Clarisse, elle devait avoir seize ans lorsqu’elle s’est fait enlever de son couvent par le cadet des Royancourt. Tous deux s’aimaient passionnément. Tellement qu’il a fallu les marier malgré les réticences de son père qui trouvait l’alliance un peu mince : un cadet, en général, est destiné à l’Eglise mais il aimait sa fille et ne voulait pas la voir malheureuse... Ils ont eu sept ans de bonheur jusqu’à ce que le vicomte se fasse tuer à la bataille d’Arques. Malheureusement, il n’y avait pas d’enfants. Clarisse est rentrée chez son frère, veuf depuis peu lui aussi, mais il avait Thomas sur lequel ils ont concentré l’amour qu’ils ne pouvaient plus donner à leurs défunts.
— C’est en effet assez surprenant. A l’époque où nous vivons, l’amour n’a guère de chance de durer longtemps...
— Et pourtant ils en sont l’exemple ! J’ajoute que leur château est sans conteste le plus beau de la région après Chantilly, qu’ils sont follement riches et que, s’ils accueillent volontiers leurs amis chez eux – le Roi les a visités à plusieurs reprises ! –, ils ne mettent jamais les pieds à la Cour... En revanche, ils entretiennent des liens étroits avec le connétable de Montmorency... et donc avec Chantilly. C’est plutôt drôle parce que Montmorency est quasi illettré et Courcy considéré comme un savant, mais il paraît qu’ils s’entendent tout de même à merveille ! Pourquoi pas après tout ?... Si je vous parle de tout cela, ma chère, c’est pour que vous sachiez vers quoi vous vous dirigeriez si vous acceptiez d’entrer dans la famille.
— Est-ce un conseil ?
L’ancienne favorite royale resta songeuse un court instant puis sourit avec un soupçon de mélancolie et baissa la voix :
— C’en est un ! Le meilleur sans doute que je puisse vous donner... à moins que votre cœur ne soit pris ailleurs, mais après la tempête que vous venez d’essuyer, je ne vois pas de havre plus sûr !
— Même ici ?
— Je ne dirai pas « surtout ici ! » mais je crains fort que les jours à venir ne soient pas aussi sereins que l’on peut le souhaiter...
Henriette rentra deux jours plus tard et la sérénité ne fut plus en effet qu’une métaphore. Elle soufflait le feu et la fureur presque sans discontinuer. Elle ne jugea pas utile de s’en expliquer, sinon à sa mère lors d’un bref entretien toutes portes closes dans son cabinet d’où ne filtrèrent que deux ou trois éclats de voix... Et qui fut bref. En revanche, elle passa des heures dans ledit cabinet à rédiger des lettres qu’elle confiait à des messagers à cheval – pour les longues distances certainement ! – ou à la seule Escoman qui, plus bossue que jamais, semblait courber le dos en filant comme une souris poursuivie par le chat, porter quelque billet dans un lieu mystérieux.
Chose étrange et alors qu’elle avait à peine paru s’apercevoir de la présence de Lorenza, elle se dérida en apprenant la visite de Mme de Royancourt et les liens qui semblaient se tisser entre elle et son invitée :
— Être recherchée par ces gens-là est ce qui pouvait vous arriver de mieux ! lui déclara-t-elle de but en blanc. J’espère que vous n’allez pas commettre la folie de les décourager !
Et elle tourna les talons sans laisser à Lorenza le temps de dire ouf !
Par Joinville qui accourut trois jours après dans l’intention quasi proclamée d’apporter quelques consolations, et qui bavardait sans déplaisir à tort et à travers, on en sut un peu plus. La passion du Roi pour l’ensorcelante petite Charlotte – qui d’ailleurs ne cachait pas la satisfaction qu’elle en éprouvait – prenait des proportions dévastatrices. Décidé à la marier, coûte que coûte, au jeune Condé – qui lui n’en voulait pas ! – Henri avait eu avec ce « futur » récalcitrant et son gouverneur, le comte de Belin, une scène retentissante au cours de laquelle il les avait insultés tous les deux, accusant Belin d’avoir été l’amant de la princesse douairière, une la Trémoille qui, soupçonnée d’avoir empoisonné son époux, avait tâté de la prison, et Condé lui-même de n’être qu’un bâtard issu des amours de sa mère avec le page Belcastel.
Naturellement, le Roi avait eu le dernier mot et les fiançailles – fastueuses au demeurant ! – venaient d’être célébrées dans la grande galerie du Louvre en présence de la Cour au grand complet et d’une épouse royale qui n’arrivait pas à cacher sa colère entre deux nausées. Henri, lui, rayonnait dans des atours inhabituels : pourpoint, chausses de velours et satin gris, sous le ruban bleu du Saint-Esprit, fraise et manchettes de dentelle précieuse, la barbe et les cheveux savamment taillés, soigné, adonisé et parfumé d’ambre. L’œil pétillant d’allégresse, il avait l’air aussi heureux que s’il s’était agi de ses propres fiançailles. Le terme n’était pas trop fort puisqu’il tenait pour acquis le cœur de la belle enfant et une virginité que l’on n’aurait pas le mauvais goût de lui disputer...
Le contraste était frappant entre la mine rechignée du « petit Condé » et celle, catastrophée, du pauvre Bassompierre. Comment ne pas éprouver de regrets devant l’éclatante beauté qui lui échappait ? Et qui paraissait tellement heureuse !
— Pire encore ! Compatit le bon Claude. Le roi l’a tenu près de lui et s’est même appuyé sur son épaule durant tout le temps de la cérémonie ! Dieu sait que je l’aime et lui suis dévoué mais je ne peux m’empêcher de juger le traitement cruel !
— Bassompierre n’a que ce qu’il mérite ! Lâcha la marquise qui entrait chez sa mère à cet instant. Il n’avait qu’à défendre sa cause : cette petite dinde lui était promise.
— Quand le Roi veut quelque chose, il n’en démord pas ! Un refus eût sans doute coûté trop cher à l’imprudent ! D’autant que la fiancée ne dissimule pas qu’elle se promet d’être toute au Roi !...
— Qu’espère-t-elle ? Grinça Henriette. Que le mariage étant blanc, il sera facilement cassé par l’Eglise, que ce vieux fou d’Henri obtiendra aussi du pape l’annulation afin de pouvoir l’épouser ? C’est faire par trop bon marché de la Reine ! Elle saura défendre sa place sur le trône...
Lorenza tressaillit en se demandant si elle avait bien entendu. La Reine ? Elle avait dit la Reine ? C’était vraiment la première fois qu’elle usait du titre pour désigner une femme à qui elle n’attribuait jamais assez d’épithètes injurieuses ! Mais elle poursuivit ainsi un grand moment en dépit des regards inquiets de sa mère.
— Calmez-vous, Henriette, je vous en conjure ! Finit-elle par assener. Que vous soyez déçue, indignée même, je peux le comprendre mais vous savez que la colère ne vous vaut rien et qu’elle est le plus souvent mauvaise conseillère.
Débordant d’une bonne volonté touchante, Joinville voulut arranger les choses et les aggrava comme d’habitude :
— Votre mère a tout à fait raison, ma chère ! C’est à vous que vous faites du mal ! Ce n’est pas parce que le Roi a refusé de vous recevoir...