— Ah bon !
— Venez !
Ils quittèrent le bois pour rejoindre l’entrée de Verneuil. Lorenza alors sortit de derrière son arbre et retourna s’asseoir au bord de la rivière, étourdie de ce qu’elle venait d’entendre et qui n’avait pas besoin d’explications laborieuses : cet homme projetait de tuer le Roi ! Il était envoyé à Mme de Verneuil, ce qui ne pouvait signifier qu’une entente entre elle et M. d’Epernon. Évidemment, d’Escoman s’était efforcée d’écarter le danger et Lorenza se demandait pourquoi. De l’humeur dont était la marquise, elle ne voulait aucun bien à son ancien amant... Mais ne lui en avait-elle pas voulu dès l’instant où elle avait compris qu’elle ne serait pas reine même si elle faisait encore semblant d’y croire ? D’ailleurs, même à l’époque de leurs folles amours, n’avait-elle pas participé à ces deux conspirations contre la vie du Roi ourdies par son père et son demi-frère ? Seule la passion d’Henri avait sauvé leurs têtes...
Lorenza rentra au château fort troublée avec l’idée de poser quelques questions discrètes à Joinville mais il était déjà reparti et cela aussi l’étonna : quand il prenait la peine de se déplacer depuis Paris, il passait la nuit au château...
Dans les trois jours qui suivirent, la jeune fille abandonna ses dernières illusions. En admettant qu’il lui en restât encore ! Il était évident qu’elle n’était plus que tolérée à Verneuil. Henriette lui adressait à peine la parole. En revanche, le nom de « la Reine » revenait de plus en plus souvent dans ses discours. Seule Mme d’Entragues conservait envers elle le même comportement ou tout au moins essayait, mais surtout en dehors de la présence de sa fille... Le reste du temps, elle devenait curieusement silencieuse.
Dans cette atmosphère en train de devenir irrespirable, il aurait fallu que Lorenza fût idiote pour ne pas comprendre qu’elle était gênante... Bientôt sans doute on la mettrait à la porte et il lui faudrait chercher un autre asile... Elle n’attendrait pas d’en être là. Il lui restait encore une carte à jouer.
Vint le matin où Mme de Royancourt devait l’emmener visiter Courcy...
Chapitre XIII
Enfin le port ?...
Posé comme un nénuphar blanc sur l’eau miroitante d’un étang, le château de Courcy enchanta Lorenza quand elle le découvrit au tournant d’une route forestière. Verneuil était joli mais celui-là ressemblait à un château de légende avec ses tours immaculées coiffées d’ardoises bleutées, ses girouettes dorées, ses hautes fenêtres dont les vitres renvoyaient les rayons du soleil. Autour, et jusqu’à la lisière des bois, s’étendaient des jardins parfaitement entretenus et, un peu à l’écart, un élégant bâtiment sans étages abritant les écuries et aussi une orangerie[21].
— Que c’est beau ! S’extasia Lorenza, incapable de contenir sa surprise admirative.
— Cela vous plaît ? fit sa compagne avec un sourire ravi.
— C’est peu de le dire ! Je ne trouve pas les mots... mais je comprends pourquoi, comme je l’ai appris, vous n’allez jamais à Paris !
— Si, quelquefois pour voir des amis comme notre ancienne reine Marguerite mais non au Louvre. C’est une question d’atmosphère ! J’avoue que j’y respire mal et mon frère pas du tout ! Il prétend que le soleil n’y a pas la même couleur !
— Je veux bien le croire !
Cette matinée, en tout cas, était radieuse et Lorenza en goûtait chaque minute depuis que l’on avait quitté Verneuil. Lorsque Mme de Royancourt était arrivée, elle n’avait pu se défendre d’une inquiétude sur la façon dont elle serait reçue par une marquise d’une humeur si sombre qu’un simple détail pouvait déchaîner une colère latente. Or, il n’en avait rien été : Henriette avait même déployé ses grâces, poussant l’amabilité jusqu’à inviter la nouvelle venue à s’entretenir avec elle en son particulier. Mais la jeune fille n’avait été vraiment rassurée qu’à la fin en voyant les deux dames se saluer avec des sourires. Et puis l’on était parti... Lorenza avait alors éprouvé une sensation neuve : celle d’être en vacances.
Tout au long du chemin d’environ une lieue et demie, son hôtesse lui fit découvrir un pays qu’elle aimait et connaissait à fond. C’était en effet une charmante région que cette vallée de l’Oise... Elle savait en parler.
Le carrosse à présent franchissait le pont amarrant le château à la terre ferme, gagnait la vaste cour intérieure et venait se ranger devant le perron où attendaient deux laquais en livrée vert foncé soutachée de rouge. L’un ouvrit la portière tandis que l’autre abaissait le marchepied et offrait une main gantée de blanc pour aider la comtesse à descendre avant de rendre le même service à son invitée.
A ce moment, un personnage portant un chapeau de paille et un tablier de jardinier escalada le perron à toute vitesse et s’engouffra dans le vestibule en faisant le dos rond. Au passage, il tendit un panier à un troisième valet et disparut sans qu’il ait été possible de voir sa figure. Mme de Royancourt se mit à rire :
— Il a dû oublier l’heure et n’a aucune envie de se montrer à vous dans cet appareil, mais c’est mon frère ! confia-t-elle.
En pénétrant dans le vestibule dallé de marbre blanc, rouge et noir, Lorenza se souvint des paroles du Roi : « Les Courcy ne sont pas de petits sires. Leur tortil de baron vaut couronne ducale. » Leur demeure mêlant harmonieusement les flamboyances d’un Moyen Age finissant aux grâces de la Renaissance le proclamait hautement : où que se posât le regard, on découvrait un meuble, une tapisserie chatoyante, un objet précieux, ou un portrait de grande mine grâce auquel on remontait le temps. Pas d’accumulation fastueuse comme au Louvre où l’or était omniprésent mais une harmonie de nuances, un accord parfait entre le décor et ce qu’il renfermait.
— Je vous ferai visiter ce tantôt, promit la comtesse en prenant le bras de Lorenza. Nous allons d’abord monter chez moi ôter les poussières de la route et nous rafraîchir avant de passer à table !
A l’étage, elles furent accueillies par une femme aux cheveux argentés, au regard assuré, que, hormis son tablier de soie noire à la ceinture duquel pendait une bélière supportant un trousseau de clefs, on aurait pris facilement pour un membre de la famille.
— Voilà dame Benoîte, présenta la châtelaine. Elle est ma femme de chambre mais elle règne aussi sur le personnel féminin de la maison. Pour les hommes, c’est Chauvin, le majordome que vous avez dû apercevoir au rez-de-chaussée !
Tandis qu’une jeune Guillemette à la mine éveillée les aidait à se débarrasser de leurs manteaux, leur donnait quelques coups de brosse et qu’une autre – Sidonie ! – apportait les bassins pour se laver les mains, Lorenza se demandait pourquoi on jugeait bon de lui présenter des serviteurs mais ne fit aucun commentaire, se contentant de remercier d’un sourire tout en admirant le décor chaleureux où dominaient l’incarnat et le vert amande.
Quand, enfin, on le rejoignit, le baron Hubert, vêtu cette fois de velours brun avec fraise et manchettes d’un blanc irréprochable, faisait les cent pas, les mains derrière le dos, dans la salle où le couvert était dressé.
— Ah ! fit-il seulement en entendant arriver les deux femmes qu’il regarda approcher par-dessus les bésicles dont son nez était chaussé. Voilà donc notre invitée ? Soyez la très bienvenue, jeune dame !
Incontestablement, il ressemblait à son fils – ou plutôt son fils lui ressemblait ! C’étaient les mêmes cheveux roux mais panachés de gris et de blanc que l’on retrouvait dans la moustache et la barbe. Le même visage, encore que la fermeté des traits soit en voie d’affaissement, le même sourire à cela près que les dents n’étaient plus au complet ! – et sans doute la même taille si le dos, rendu un peu courbe par le jardinage et la lecture, avait pu se redresser. En revanche, les yeux différaient : le bleu outremer de Thomas faisant place à une couleur noisette, mais une pareille malice y pétillait.