Au souvenir de ce qu’elle avait vu et entendu dans le petit bois, Lorenza en effet s’empourprait de plus en plus, affreusement mal à l’aise tout à coup et ne sachant que répondre. Raconter ce qu’elle avait surpris serait trahir la maison qui lui avait donné asile et se taire priverait peut-être un roi qu’elle aimait bien, à présent, d’une aide ou d’un avertissement capable de le sauver.
— Sauriez-vous quelque chose ? Insista-t-il.
— Ne la tourmentez donc pas, Hubert ! Ce matin encore, elle s’est réveillée sous le toit de Verneuil !
— ... qui vient de s’en débarrasser comme d’un meuble encombrant ! Que cette femme souhaite la mort d’Henri n’a rien de surprenant. Avez-vous oublié les deux conspirations tramées par son père, son frère, quelques mécontents... et elle par-dessus le marché ? Le maréchal de Biron y a laissé la tête, Entragues n’a sauvé la sienne que de justesse grâce aux charmes de sa fille, le bâtard de Charles IX végète à la Bastille sans grande chance d’en sortir avant la mort du Roi et la chère Henriette elle-même devrait être à cette heure au fond d’un couvent, le crâne rasé avec le seul droit de dire merci parce qu’elle méritait bel et bien le billot ! Tout ce beau monde complotait benoîtement l’assassinat d’Henri et de son petit Dauphin pour mettre à leur place le gamin de Verneuil avec sa maman dans le rôle de reine-mère. Alors que vous faut-il de plus ?
— Vous avez entièrement raison mais...
— Pas de mais quand il s’agit de la vie du meilleur souverain que nous ayons eu depuis des décennies ! Il nous a rendu la paix et nous l’aimons tous les deux !
Cela décida Lorenza :
— Moi aussi ! affirma-t-elle. Je ne sais pas ce que vous en penserez ni même si cela présente quelque importance...
Et elle rapporta la conversation qu’elle avait surprise. Elle avait à peine fini que le baron Hubert réagissait :
— Vous vous demandiez si cela avait de l’importance ? J’en suis persuadé, jeune dame ! L’homme vient d’Angoulême qui est dans le gouvernement du duc d’Epernon...
— Je ne le connais pas.
— Nous si ! Depuis l’assassinat du feu roi Henri III – qui n’était pas aussi mauvais qu’on s’est plu à le répandre ! – il n’a jamais aimé personne que lui-même et n’a d’autre but dans la vie qu’accumuler les biens de toutes sortes ! Plus arrogant que lui ne se peut trouver ! En le recommandant à son successeur, Henri III, qui s’illusionnait sur son compte, lui a fait – sans le savoir ! – un cadeau empoisonné. Quant aux « bons pères » auxquels l’individu a fait allusion, il ne peut s’agir que des Jésuites qui ont, là-bas, une maison prospère...
— Mais le Roi a été sacré par l’Église ?
— Oh ! Ce détail ne les dérange pas ! Et pas davantage que le Roi les ait rappelés et rétablis dans leur puissance après dix années d’exil que leur avait valu l’attentat de Jean Chastel, un de leurs élèves ! Pour eux, Henri n’est qu’un parpaillot converti pour régner. Et ils n’avaient été bannis que d’une partie du royaume. Vous voyez que ce dialogue « sans importance » que vous avez surpris en a sûrement plus que vous ne le supposez ! Et, à propos d’Epernon, vous devez connaître l’une des dames de la Reine qui s’appelle du Tillet ? On dirait même que le souvenir n’est pas fameux ? ajouta-t-il en voyant Lorenza ébaucher une grimace.
— En effet ! C’est elle qui m’a pour ainsi dire « enlevé » de l’ambassade de Toscane ! Et sans ménagement !
— Elle est la maîtresse d’Epernon !
— Et je l’ai vue venir à l’hôtel d’Entragues !
— Là vous comprenez ! Triompha le baron. En tout cas, ce qui est important aussi c’est l’allusion au sacre de la Reine !
— Il semble qu’il n’y ait pas beaucoup de chances ! Intervint sa sœur. Il paraît que le Roi ne veut pas en entendre parler et si sa bonne épouse en est à faire la cuisine dans ses appartements...
— Vous savez bien qu’elle est à moitié idiote ! Elle est enceinte, ce qui la met à l’abri de tout attentat. En admettant que son époux souhaite sa mort – ce que je ne croirai jamais, il aime trop ses enfants pour risquer d’en abîmer un ! Quant au sacre – qu’elle ne cesse de réclamer, je vous l’accorde ! –, il est peut-être plus proche que nous ne le pensons.
— Pour célébrer la naissance attendue ?
— Ou au cas où nous aurions la guerre ! Et sur ce, si nous abandonnions ces gens pour procéder à l’installation de... Lorenza ! conclut-il en tendant à la jeune fille une main où elle mit la sienne avec un sourire.
D’invitée, celle que l’on rejetait se changea rapidement en membre à part entière de Courcy... Elle s’y intégra comme la pierre tombée d’un mur qu’un maçon soigneux scelle à nouveau, avec un naturel qui ne laissa pas de la surprendre. C’était un peu comme si elle rentrait chez elle après un long et pénible voyage : une délicieuse impression de délassement et d’insouciance ! Le port tant désiré peut-être ?
Le charme du château opérait toujours. Plus élégante que vraiment fastueuse – l’or n’y coulait pas de la moindre corniche ou si peu ! –, la nouvelle demeure n’entassait pas meubles et bibelots précieux comme chez la Reine ou chez Mme de Verneuil mais donnait à chacun la place qui lui convenait le mieux pour le mettre en valeur et nuançait les couleurs selon l’effet que l’on en attendait.
En outre, le baron Hubert et ses jardiniers ne la laissaient pas manquer de fleurs que l’orangerie fournissait en abondance en attendant les beaux jours.
D’emblée, elle avait adoré sa chambre. Située dans l’une des tours, elle ouvrait par deux balcons sur l’étang aux cygnes. Ses tentures de brocart jaune soleil orné de passementeries blanches renvoyaient la lumière qui entrait à flots. Il y avait des livres dans une petite bibliothèque, des lilas blancs dans un vase, des flacons de parfum sur une table à coiffer, une cheminée de marbre blanc et, dans un cabinet voisin, des commodités en faïence ainsi que, encastré dans un mur, un vaste placard pour le rangement des vêtements. Les coffres à bagages prenaient, une fois vidés, le chemin des greniers. La jeune Guillemette qui avait à peu près l’âge de Lorenza veillait sur tout cela à l’entière satisfaction de celle-ci parce qu’elle avait en permanence le sourire aux lèvres et savait coiffer à la perfection.
Au fil des jours, l’invitée put constater que, loin d’être isolé, Courcy entretenait des relations avec les châteaux des environs. Et en particulier Chantilly, propriété royale mais assez mal entretenue du connétable de Montmorency qui, s’il était trop ladre pour recevoir, aimait beaucoup venir partager le pain et le sel avec son vieil ami Courcy, ce qui lui permettait de jouir de sa cuisine – et surtout de sa cave ! – sans débourser un liard. En échange, on ne manquait jamais de nouvelles au château, ce qui expliquait comment, sans bouger de chez lui, le baron Hubert était au courant de tout ce qui se passait à la Cour. Par Montmorency lui-même, qui, s’il s’y rendait rarement, était renseigné par sa belle-sœur, la duchesse d’Angoulême, celle-ci faisant volontiers le voyage entre son hôtel de la rue Pavée et le domaine familial, s’arrêtant parfois à Courcy pour déverser ses soucis dans le giron compatissant de la comtesse Clarisse...
Dans ces cas-là, Lorenza ne se montrait pas. Consciente d’une situation un peu en porte-à-faux et soucieuse de laisser oublier au plus vite la tourmente qui avait failli l’emporter, elle avait obtenu sans peine de se retirer chez elle lorsque quelqu’un venait. Elle se refusait, en effet, à être présentée en tant que marquise de Sarrance et son nom florentin ne devait pas être complètement effacé des mémoires.