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– Voyons, venez.

Je pris sa main, je la portai à mes lèvres en la mouillant malgré moi de deux larmes longtemps contenues.

– Eh bien, mais êtes-vous enfant! dit-elle en se rasseyant auprès de moi; voilà que vous pleurez! Qu'avez-vous?

– Je dois vous paraître bien niais, mais ce que je viens de voir m'a fait un mal affreux.

– Vous êtes bien bon! Que voulez-vous? Je ne puis pas dormir, il faut bien que je me distraie un peu. Et puis des filles comme moi, une de plus ou de moins, qu'est-ce que cela fait? Les médecins me disent que le sang que je crache vient des bronches; j'ai l'air de les croire, c'est tout ce que je puis faire pour eux.

– Écoutez, Marguerite, dis-je alors avec une expansion que je ne pus retenir, je ne sais pas l'influence que vous devez prendre sur ma vie, mais ce que je sais, c'est qu'à l'heure qu'il est, il n'y a personne, pas même ma sœur, à qui je m'intéresse comme à vous. C'est ainsi depuis que je vous ai vue. Eh bien, au nom du ciel, soignez-vous, et ne vivez plus comme vous le faites.

– Si je me soignais, je mourrais. Ce qui me soutient, c'est la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner, c'est bon pour les femmes du monde qui ont une famille et des amis; mais nous, dès que nous ne pouvons plus servir à la vanité ou au plaisir de nos amants, ils nous abandonnent, et les longues soirées succèdent aux longs jours. Je le sais bien, allez, j'ai été deux mois dans mon lit; au bout de trois semaines, personne ne venait plus me voir.

– Il est vrai que je ne vous suis rien, repris-je; mais si vous le vouliez je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas, et je vous guérirais. Alors, quand vous en auriez la force, vous reprendriez la vie que vous menez, si bon vous semblait; mais j'en suis sûr, vous aimeriez mieux une existence tranquille qui vous ferait plus heureuse et vous garderait jolie.

– Vous pensez comme cela ce soir, parce que vous avez le vin triste, mais vous n'auriez pas la patience dont vous vous vantez.

– Permettez-moi de vous dire, Marguerite, que vous avez été malade pendant deux mois, et que, pendant ces deux mois, je suis venu tous les jours savoir de vos nouvelles.

– C'est vrai; mais pourquoi ne montiez-vous pas?

– Parce que je ne vous connaissais pas alors.

– Est-ce qu'on se gêne avec une fille comme moi?

– On se gêne toujours avec une femme; c'est mon avis du moins.

– Ainsi, vous me soigneriez?

– Oui.

– Vous resteriez tous les jours auprès de moi?

– Oui.

– Et même toutes les nuits?

– Tout le temps que je ne vous ennuierais pas.

– Comment appelez-vous cela?

– Du dévouement.

– Et d'où vient ce dévouement?

– D'une sympathie irrésistible que j'ai pour vous.

– Ainsi vous êtes amoureux de moi? dites-le tout de suite, c'est bien plus simple.

– C'est possible; mais si je dois vous le dire un jour, ce n'est pas aujourd'hui.

– Vous ferez mieux de ne me le dire jamais.

– Pourquoi?

– Parce qu'il ne peut résulter que deux choses de cet aveu.

– Lesquelles?

– Ou que je ne vous accepte pas, alors vous m'en voudrez, ou que je vous accepte, alors vous aurez une triste maîtresse; une femme nerveuse, malade, triste, ou gaie d'une gaieté plus triste que le chagrin, une femme qui crache le sang et qui dépense cent mille francs par an, c'est bon pour un vieux richard comme le duc; mais c'est bien ennuyeux pour un jeune homme comme vous, et la preuve, c'est que tous les jeunes amants que j'ai eus m'ont bien vite quittée.

Je ne répondais rien: j'écoutais. Cette franchise qui tenait presque de la confession, cette vie douloureuse que j'entrevoyais sous le voile doré qui la couvrait, et dont la pauvre fille fuyait la réalité dans la débauche, l'ivresse et l'insomnie, tout cela m'impressionnait tellement que je ne trouvais pas une seule parole.

– Allons, continua Marguerite, nous disons là des enfantillages. Donnez-moi la main et rentrons dans la salle à manger. On ne doit pas savoir ce que notre absence veut dire.

– Rentrez, si bon vous semble, mais je vous demande la permission de rester ici.

– Pourquoi?

– Parce que votre gaieté me fait trop de mal.

– Eh bien, je serai triste.

– Tenez, Marguerite, laissez-moi vous dire une chose que l'on vous a dite souvent sans doute, et à laquelle l'habitude de l'entendre vous empêchera peut-être d'ajouter foi, mais qui n'en est pas moins réelle, et que je ne vous répéterai jamais.

– C'est?… dit-elle avec le sourire que prennent les jeunes mères pour écouter une folie de leur enfant.

– C'est que, depuis que je vous ai vue, je ne sais comment ni pourquoi, vous avez pris une place dans ma vie; c'est que j'ai eu beau chasser votre image de ma pensée, elle y est toujours revenue; c'est qu'aujourd'hui, quand je vous ai rencontrée, après être resté deux ans sans vous voir, vous avez pris sur mon cœur et mon esprit un ascendant plus grand encore; c'est qu'enfin, maintenant que vous m'avez reçu, que je vous connais, que je sais tout ce qu'il y a d'étrange en vous, vous m'êtes devenue indispensable, et que je deviendrai fou, non pas seulement si vous ne m'aimez pas, mais si vous ne me laissez pas vous aimer.

– Mais, malheureux que vous êtes, je vous dirai ce que disait madame D…: vous êtes donc bien riche! Mais vous ne savez donc pas que je dépense six ou sept mille francs par mois, et que cette dépense est devenue nécessaire à ma vie? mais vous ne savez donc pas, mon pauvre ami, que je vous ruinerais en un rien de temps, et que votre famille vous ferait interdire pour vous apprendre à vivre avec une créature comme moi? Aimez-moi bien, comme un bon ami, mais pas autrement. Venez me voir, nous rirons, nous causerons; mais ne vous exagérez pas ce que je vaux, car je ne vaux pas grand-chose. Vous avez un bon cœur, vous avez besoin d'être aimé, vous êtes trop jeune et trop sensible pour vivre dans notre monde. Prenez une femme mariée. Vous voyez que je suis une bonne fille et que je vous parle franchement.

– Ah çà! que diable faites-vous là? cria Prudence, que nous n'avions pas entendue venir, et qui apparaissait sur le seuil de la chambre avec ses cheveux à moitié défaits et sa robe ouverte. Je reconnaissais dans ce désordre la main de Gaston.

– Nous parlons raison, dit Marguerite, laissez-nous un peu; nous vous rejoindrons tout à l'heure.

– Bien, bien, causez, mes enfants, dit Prudence en s'en allant et en fermant la porte comme pour ajouter encore au ton dont elle avait prononcé ces dernières paroles.

– Ainsi, c'est convenu, reprit Marguerite, quand nous fûmes seuls, vous ne m'aimerez plus?

– Je partirai.

– C'est à ce point-là?

J'étais trop avancé pour reculer, et d'ailleurs cette fille me bouleversait. Ce mélange de gaieté, de tristesse, de candeur, de prostitution, cette maladie même qui devait développer chez elle la sensibilité des impressions comme l'irritabilité des nerfs, tout me faisait comprendre que si, dès la première fois, je ne prenais pas d'empire sur cette nature oublieuse et légère, elle était perdue pour moi.

– Voyons, c'est donc sérieux ce que vous dites? fit-elle.

– Très sérieux.