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– Ne me parlez plus de la sorte, je vous en supplie.

– Oh! consolez-vous, continua-t-elle en riant. Si peu de temps que j'aie à vivre, je vivrai plus longtemps que vous ne m'aimerez.

Et elle entra en chantant dans la salle à manger.

– Où est Nanine? dit-elle en voyant Gaston et Prudence seuls.

– Elle dort dans votre chambre, en attendant que vous vous couchiez, répondit Prudence.

– La malheureuse! Je la tue! Allons, messieurs, retirez-vous; il est temps.

Dix minutes après, Gaston et moi nous sortions. Marguerite me serrait la main en me disant adieu et restait avec Prudence.

– Eh bien, me demanda Gaston, quand nous fûmes dehors, que dites-vous de Marguerite?

– C'est un ange, et j'en suis fou.

– Je m'en doutais; le lui avez-vous dit?

– Oui.

– Et vous a-t-elle promis de vous croire.

– Non.

– Ce n'est pas comme Prudence.

– Elle vous l'a promis?

– Elle a fait mieux, mon cher! On ne le croirait pas, elle est encore très bien, cette grosse Duvernoy!

Chapitre XI

En cet endroit de son récit, Armand s'arrêta.

– Voulez-vous fermer la fenêtre? me dit-il, je commence à avoir froid. Pendant ce temps, je vais me coucher.

Je fermai la fenêtre. Armand, qui était très faible encore, ôta sa robe de chambre et se mit au lit, laissant pendant quelques instants reposer sa tête sur l'oreiller comme un homme fatigué d'une longue course ou agité de pénibles souvenirs.

– Vous avez peut-être trop parlé, lui dis-je; voulez-vous que je m'en aille et que je vous laisse dormir? Vous me raconterez un autre jour la fin de cette histoire.

– Est-ce qu'elle vous ennuie?

– Au contraire.

– Je vais continuer alors; si vous me laissiez seul, je ne dormirais pas.

– Quand je rentrai chez moi, reprit-il, sans avoir besoin de se recueillir, tant tous ces détails étaient encore présents à sa pensée, je ne me couchai pas; je me mis à réfléchir sur l'aventure de la journée. La rencontre, la présentation, l'engagement de Marguerite vis-à-vis de moi, tout avait été si rapide, si inespéré, qu'il y avait des moments où je croyais avoir rêvé. Cependant ce n'était pas la première fois qu'une fille comme Marguerite se promettait à un homme pour le lendemain du jour où il le lui demandait.

J'avais beau me faire cette réflexion, la première impression produite par ma future maîtresse sur moi avait été si forte qu'elle subsistait toujours. Je m'entêtais encore à ne pas voir en elle une fille semblable aux autres, et, avec la vanité si commune à tous les hommes, j'étais prêt à croire qu'elle partageait invinciblement pour moi l'attraction que j'avais pour elle.

Cependant j'avais sous les yeux des exemples bien contradictoires, et j'avais entendu dire souvent que l'amour de Marguerite était passé à l'état de denrée plus ou moins chère, selon la saison.

Mais comment aussi, d'un autre côté, concilier cette réputation avec les refus continuels faits au jeune comte que nous avions trouvé chez elle?

Vous me direz qu'il lui déplaisait et que, comme elle était splendidement entretenue par le duc, pour faire tant que de prendre un autre amant, elle aimait mieux un homme qui lui plût. Alors, pourquoi ne voulait-elle pas de Gaston, charmant, spirituel, riche, et paraissait-elle vouloir de moi qu'elle avait trouvé si ridicule la première fois qu'elle m'avait vu?

Il est vrai qu'il y a des incidents d'une minute qui font plus qu'une cour d'une année.

De ceux qui se trouvaient au souper, j'étais le seul qui se fût inquiété en la voyant quitter la table. Je l'avais suivie, j'avais été ému à ne pouvoir le cacher, j'avais pleuré en lui baisant la main. Cette circonstance, réunie à mes visites quotidiennes pendant les deux mois de sa maladie, avait pu lui faire voir en moi un autre homme que ceux connus jusqu'alors, et peut-être s'était-elle dit qu'elle pouvait bien faire pour un amour exprimé de cette façon ce qu'elle avait fait tant de fois, que cela n'avait déjà plus de conséquence pour elle.

Toutes ces suppositions, comme vous le voyez, étaient assez vraisemblables; mais quelle que fût la raison à son consentement, il y avait une chose certaine, c'est qu'elle avait consenti.

Or, j'étais amoureux de Marguerite, j'allais l'avoir, je ne pouvais rien lui demander de plus. Cependant, je vous le répète, quoique ce fût une fille entretenue, je m'étais tellement, peut-être pour la poétiser, fait de cet amour un amour sans espoir, que plus le moment approchait où je n'aurais même plus besoin d'espérer, plus je doutais.

Je ne fermai pas les yeux de la nuit.

Je ne me reconnaissais pas. J'étais à moitié fou. Tantôt je ne me trouvais ni assez beau, ni assez riche, ni assez élégant pour posséder une pareille femme, tantôt je me sentais plein de vanité à l'idée de cette possession: puis je me mettais à craindre que Marguerite n'eût pour moi qu'un caprice de quelques jours, et, pressentant un malheur dans une rupture prompte, je ferais peut-être mieux, me disais-je, de ne pas aller le soir chez elle, et de partir en lui écrivant mes craintes. De là, je passais à des espérances sans limites, à une confiance sans bornes. Je faisais des rêves d'avenir incroyables; je me disais que cette fille me devrait sa guérison physique et morale, que je passerais toute ma vie avec elle, et que son amour me rendrait plus heureux que les plus virginales amours.

Enfin, je ne pourrais vous répéter les mille pensées qui montaient de mon cœur à ma tête et qui s'éteignirent peu à peu dans le sommeil qui me gagna au jour.

Quand je me réveillai, il était deux heures. Le temps était magnifique. Je ne me rappelle pas que la vie m'ait jamais paru aussi belle et aussi pleine. Les souvenirs de la veille se représentaient à mon esprit, sans ombres, sans obstacles et gaiement escortés des espérances du soir. Je m'habillai à la hâte. J'étais content et capable des meilleures actions. De temps en temps mon cœur bondissait de joie et d'amour dans ma poitrine. Une douce fièvre m'agitait. Je ne m'inquiétais plus des raisons qui m'avaient préoccupé avant que je m'endormisse. Je ne voyais que le résultat, je ne songeais qu'à l'heure où je devais revoir Marguerite.

Il me fut impossible de rester chez moi. Ma chambre me semblait trop petite pour contenir mon bonheur; j'avais besoin de la nature entière pour m'épancher.

Je sortis.

Je passai par la rue d'Antin. Le coupé de Marguerite l'attendait à sa porte; je me dirigeai du côté des Champs-élysées. J'aimais, sans même les connaître, tous les gens que je rencontrais.

Comme l'amour rend bon!

Au bout d'une heure que je me promenais des chevaux de Marly au rond-point et du rond-point aux chevaux de Marly, je vis de loin la voiture de Marguerite; je ne la reconnus pas, je la devinai.

Au moment de tourner l'angle des Champs-élysées, elle se fit arrêter, et un grand jeune homme se détacha d'un groupe où il causait pour venir causer avec elle.

Ils causèrent quelques instants; le jeune homme rejoignit ses amis, les chevaux repartirent, et moi, qui m'étais approché du groupe, je reconnus dans celui qui avait parlé à Marguerite ce comte de G… dont j'avais vu le portrait et que Prudence m'avait signalé comme celui à qui Marguerite devait sa position.