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«4 janvier:

«Je viens de passer une suite de jours bien douloureux. J'ignorais que le corps pût faire souffrir ainsi. Oh! ma vie passée! je la paye deux fois aujourd'hui.

«On m'a veillée toutes les nuits. Je ne pouvais plus respirer. Le délire et la toux se partageaient le reste de ma pauvre existence.

«Ma salle à manger est pleine de bonbons, de cadeaux de toutes sortes que mes amis m'ont apportés. Il y en a sans doute, parmi ces gens, qui espèrent que je serai leur maîtresse plus tard. S'ils voyaient ce que la maladie a fait de moi, ils s'enfuiraient épouvantés.

«Prudence donne des étrennes avec celles que je reçois.

«Le temps est à la gelée, et le docteur m'a dit que je pourrai sortir d'ici à quelques jours si le beau temps continue.»

«8 janvier:

«Je suis sortie hier dans ma voiture. Il faisait un temps magnifique. Les Champs-élysées étaient pleins de monde. On eût dit le premier sourire du printemps. Tout avait un air de fête autour de moi. Je n'avais jamais soupçonné dans un rayon de soleil tout ce que j'y ai trouvé hier de joie, de douceur et de consolation.

«J'ai rencontré presque tous les gens que je connais, toujours gais, toujours occupés de leurs plaisirs. Que d'heureux qui ne savent pas qu'ils le sont! Olympe est passée dans une élégante voiture que lui a donnée M. de N… elle a essayé de m'insulter du regard. Elle ne sait pas combien je suis loin de toutes ces vanités-là. Un brave garçon que je connais depuis longtemps m'a demandé si je voulais aller souper avec lui et un de ses amis qui désire beaucoup, disait-il, faire ma connaissance.

«J'ai souri tristement, et lui ai tendu ma main brûlante de fièvre.

«Je n'ai jamais vu visage plus étonné.

«Je suis rentrée à quatre heures, j'ai dîné avec assez d'appétit.

«Cette sortie m'a fait du bien.

«Si j'allais guérir!

«Comme l'aspect de la vie et du bonheur des autres fait désirer de vivre ceux-là qui, la veille, dans la solitude de leur âme et dans l'ombre de leur chambre de malade, souhaitaient de mourir vite!»

«10 janvier:

«Cette espérance de santé n'était qu'un rêve. Me voici de nouveau dans mon lit, le corps couvert d'emplâtres qui me brûlent. Va donc offrir ce corps que l'on payait si cher autrefois, et vois ce que l'on t'en donnera aujourd'hui!

«Il faut que nous ayons bien fait du mal avant de naître, ou que nous devions jouir d'un bien grand bonheur après notre mort, pour que Dieu permette que cette vie ait toutes les tortures de l'expiation et toutes les douleurs de l'épreuve.»

«12 janvier:

«Je souffre toujours.

«Le comte de N… m'a envoyé de l'argent hier, je ne l'ai pas accepté. Je ne veux rien de cet homme. C'est lui qui est cause que vous n'êtes pas près de moi.

«Oh! nos beaux jours de Bougival! où êtes-vous?

«Si je sors vivante de cette chambre, ce sera pour faire un pèlerinage à la maison que nous habitions ensemble, mais je n'en sortirai plus que morte.

«Qui sait si je vous écrirai demain?»

«25 janvier:

«Voilà onze nuits que je ne dors pas, que j'étouffe et que je crois à chaque instant que je vais mourir. Le médecin a ordonné qu'on ne me laissât pas toucher une plume. Julie Duprat, qui me veille, me permet encore de vous écrire ces quelques lignes. Ne reviendrez-vous donc point avant que je meure? Est-ce donc éternellement fini entre nous? Il me semble que, si vous veniez, je guérirais. À quoi bon guérir?»

«28 janvier:

«Ce matin j'ai été réveillée par un grand bruit. Julie, qui dormait dans ma chambre, s'est précipitée dans la salle à manger. J'ai entendu des voix d'hommes contre lesquelles la sienne luttait en vain. Elle est rentrée en pleurant.

«On venait saisir. Je lui ai dit de laisser faire ce qu'ils appellent la justice. L'huissier est entré dans ma chambre, le chapeau sur la tête. Il a ouvert les tiroirs, a inscrit tout ce qu'il a vu, et n'a pas eu l'air de s'apercevoir qu'il y avait une mourante dans le lit qu'heureusement la charité de la loi me laisse.

«Il a consenti à me dire en partant que je pouvais mettre opposition avant neuf jours, mais il a laissé un gardien! Que vais-je devenir, mon Dieu! Cette scène m'a rendue encore plus malade. Prudence voulait demander de l'argent à l'ami de votre père, je m'y suis opposée.

«J'ai reçu votre lettre ce matin. J'en avais besoin. Ma réponse vous arrivera-t-elle à temps? Me verrez-vous encore? Voilà une journée heureuse qui me fait oublier toutes celles que j'ai passées depuis six semaines. Il me semble que je vais mieux, malgré le sentiment de tristesse sous l'impression duquel je vous ai répondu.

«Après tout, on ne doit pas toujours être malheureux.

«Quand je pense qu'il peut arriver que je ne meure pas, que vous reveniez, que je revoie le printemps, que vous m'aimiez encore et que nous recommencions notre vie de l'année dernière!

«Folle que je suis! c'est à peine si je puis tenir la plume avec laquelle je vous écris ce rêve insensé de mon cœur.

«Quoi qu'il arrive, je vous aimais bien, Armand, et je serais morte depuis longtemps si je n'avais pour m'assister le souvenir de cet amour, et comme un vague espoir de vous revoir encore près de moi.»

«4 février:

«Le comte de G… est revenu. Sa maîtresse l'a trompé. Il est fort triste, il l'aimait beaucoup. Il est venu me conter tout cela. Le pauvre garçon est assez mal dans ses affaires, ce qui ne l'a pas empêché de payer mon huissier et de congédier le gardien.

«Je lui ai parlé de vous et il m'a promis de vous parler de moi. Comme j'oubliais dans ces moments-là que j'avais été sa maîtresse et comme il essayait de me le faire oublier aussi! C'est un brave cœur.

«Le duc a envoyé savoir de mes nouvelles hier, et il est venu ce matin. Je ne sais pas ce qui peut faire vivre encore ce vieillard. Il est resté trois heures auprès de moi, et il ne m'a pas dit vingt mots. Deux grosses larmes sont tombées de ses yeux quand il m'a vue si pâle. Le souvenir de la mort de sa fille le faisait pleurer sans doute. Il l'aura vue mourir deux fois. Son dos est courbé, sa tête penche vers la terre, sa lèvre est pendante, son regard est éteint. L'âge et la douleur pèsent de leur double poids sur son corps épuisé. Il ne m'a pas fait un reproche. On eût même dit qu'il jouissait secrètement du ravage que la maladie avait fait en moi. Il semblait fier d'être debout, quand moi, jeune encore, j'étais écrasée par la souffrance.

«Le mauvais temps est revenu. Personne ne vient me voir. Julie veille le plus qu'elle peut auprès de moi. Prudence, à qui je ne peux plus donner autant d'argent qu'autrefois, commence à prétexter des affaires pour s'éloigner.

«Maintenant que je suis près de mourir, malgré ce que me disent les médecins, car j'en ai plusieurs, ce qui prouve que la maladie augmente, je regrette presque d'avoir écouté votre père; si j'avais su ne prendre qu'une année à votre avenir, je n'aurais pas résisté au désir de passer cette année avec vous, et au moins je mourrais en tenant la main d'un ami. Il est vrai que si nous avions vécu ensemble cette année, je ne serais pas morte sitôt.