Выбрать главу

– Ah! tu me fais délicieusement frissonner, dit Chicot en se pelotonnant dans son fauteuil et en appuyant son menton au pommeau de son épée.

– Alors, dit le roi avec un accent si faible et si tremblant, que le bruit des paroles arriva à peine à l'oreille de Chicot, alors une voix retentit dans la chambre avec une vibration si douloureuse, qu'elle ébranla tout mon cerveau.

– La voix du crocodile, oui. J'ai lu dans le voyageur Marco Polo que le crocodile a une voix terrible qui imite le cri des enfants; mais tranquillise-toi, mon fils; s'il vient, nous le tuerons.

– Écoute bien.

– Pardieu si j'écoute! dit Chicot en se détendant comme par un ressort; j'en suis immobile comme une souche et muet comme une carpe, d'écouter.

Henri continua d'un accent plus sombre et plus lugubre encore:

– Misérable pécheur! dit la voix…

– Bah! interrompit Chicot, la voix parlait? Ce n'était donc pas un crocodile?

– Misérable pécheur! dit la voix, je suis la voix de ton Seigneur Dieu.

Chicot fit un bond et se retrouva accroupi d'aplomb dans son fauteuil.

– La voix de Dieu? reprit-il.

– Ah! Chicot, répondit Henri, c'est une voix effrayante!

– Est-ce une belle voix? demanda Chicot, et ressemble-t-elle, comme dit l'Écriture, au son de la trompette?

– Es-tu là? entends-tu? continua la voix; entends-tu, pécheur endurci, es-tu bien décidé à persévérer dans tes iniquités?

– Ah! vraiment, vraiment, vraiment! dit Chicot; mais la voix de Dieu ressemble assez à celle de ton peuple, ce me semble.

– Puis, reprit le roi, suivirent mille autres reproches qui, je vous le proteste, Chicot, m'ont été bien cruels.

– Mais encore, dit Chicot, continue un peu, mon fils, raconte, raconte ce que disait la voix, que je sache si Dieu était bien instruit.

– Impie! s'écria le roi, si tu doutes, je te ferai châtier.

– Moi! dit Chicot, je ne doute pas: ce qui m'étonne seulement, c'est que Dieu ait attendu jusque aujourd'hui pour te faire tous ces reproches-là. Il est devenu bien patient depuis le déluge. En sorte, mon fils, continua Chicot, que tu as eu une peur effroyable?

– Oh! oui, dit Henri.

– Il y avait de quoi.

– La sueur me coulait le long des tempes, et la moelle était figée au cœur de mes os.

– Comme dans Jérémie, c'est tout naturel; je ne sais, ma parole de gentilhomme, ce qu'à ta place je n'eusse pas fait; et alors tu as appelé?

– Oui.

– Et l'on est venu?

– Oui.

– Et a-t-on bien cherché?

– Partout.

– Pas de bon Dieu?

– Tout s'était évanoui.

– À commencer par le roi Henri. C'est effrayant.

– Si effrayant, que j'ai appelé mon confesseur.

– Ah! bon; il est accouru?

– À l'instant même.

– Voyons un peu, sois franc, mon fils, dis la vérité, contre ton ordinaire. Que pense-t-il de cette révélation-là, ton confesseur?

– Il a frémi.

– Je crois bien.

– Il s'est signé; il m'a ordonné de me repentir, comme Dieu me le prescrivait.

– Fort bien! il n'y a jamais de mal à se repentir. Mais de la vision en elle-même, ou plutôt de l'audition, qu'en a-t-il dit?

– Qu'elle était providentielle; que c'était un miracle, qu'il me fallait songer au salut de l'État. Aussi ai-je, ce matin…

– Qu'as-tu fait ce matin, mon fils?

– J'ai donné cent mille livres aux jésuites.

– Très bien.

– Et haché à coups de discipline ma peau et celle de mes jeunes seigneurs.

– Parfait! Mais ensuite?

– Eh bien, ensuite… Que penses-tu, Chicot? Ce n'est pas au rieur que je parle, c'est à l'homme de sang-froid, à l'ami.

– Ah! sire, dit Chicot sérieux, je pense que Votre Majesté a eu le cauchemar.

– Tu crois?

– Que c'est un rêve que Votre Majesté a fait, et qu'il ne se renouvellera pas si Votre Majesté ne se frappe pas trop l'esprit.

– Un rêve? dit Henri en secouant la tête. Non, non; j'étais bien éveillé, je t'en réponds, Chicot.

– Tu dormais, Henri.

– Je dormais si peu, que j'avais les yeux tout grands ouverts.

– Je dors comme cela, moi.

– Oui, mais avec mes yeux je voyais, ce qui n'arrive pas quand on dort réellement.

– Et que voyais-tu?

– Je voyais la lune aux vitres de ma chambre, et je regardais l'améthyste qui est au pommeau de mon épée briller là où vous êtes, Chicot, d'une lumière sombre.

– Et la lampe, qu'était-elle devenue?

– Elle s'était éteinte.

– Rêve, cher fils, pur rêve!

– Pourquoi n'y crois-tu pas, Chicot? N'est-il pas dit que le Seigneur parle aux rois quand il veut opérer quelque grand changement sur la terre?

– Oui, il leur parle, c'est vrai, dit Chicot, mais si bas, qu'ils ne l'entendent jamais.

– Mais qui te rend donc si incrédule?

– C'est que tu aies si bien entendu.

– Eh bien, comprends-tu pourquoi je t'ai fait rester? dit le roi.

– Parbleu! répondit Chicot.

– C'est pour que tu entendes toi-même ce que dira la voix.

– Pour qu'on croie que je dis quelque bouffonnerie si je répète ce que j'ai entendu. Chicot est si nul, si chétif, si fou, que, le dit-il à chacun, personne ne le croira. Pas mal joué, mon fils.

– Pourquoi ne pas croire plutôt, mon ami, dit le roi, que c'est à votre fidélité bien connue que je confie ce secret?

– Ah! ne mens pas, Henri; car, si la voix vient, elle te reprochera ce mensonge, et tu as bien assez de tes autres iniquités. Mais n'importe! j'accepte la commission. Je ne suis pas fâché d'entendre la voix du Seigneur; peut-être dira-t-elle aussi quelque chose pour moi.

– Eh bien, que faut-il faire?

– Il faut te coucher, mon fils.

– Mais si, au contraire…

– Pas de mais.

– Cependant…

– Crois-tu par hasard que tu empêcheras la voix de Dieu de parler parce que tu resteras debout? Un roi ne dépasse les autres hommes que de la hauteur de la couronne, et, quand il est tête nue, crois-moi, Henri, il est de même taille et quelquefois plus petit qu'eux.

– C'est bien, dit le roi, tu restes?

– C'est convenu.

– Eh bien, je vais me coucher.

– Bon!

– Mais tu ne te coucheras pas, toi.

– Je n'aurai garde.

– Seulement, je n'ôte que mon pourpoint.

– Fais à ta guise.

– Je garde mou haut-de-chausses.

– La précaution est bonne.

– Et toi?

– Moi, je reste où je suis.

– Et tu ne dormiras pas?