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– Ah! dit Remy, voilà que nous voulons déjà faire des folies?

– Eh non, au contraire, je te promets d'être bien raisonnable.

– Mais il vous faudra monter à cheval!

– Dame! c'est de toute nécessité.

– Avez-vous un cheval bien doux d'allure et bon coureur?

– J'en ai quatre à choisir.

– Eh bien, prenez pour vous aujourd'hui celui que vous voudriez faire monter à la dame au portrait; vous savez?

– Ah! si je sais, je le crois bien! Tenez, Remy, vous avez en vérité trouvé pour toujours le chemin de mon cour; je redoutais effroyablement que vous ne m'empêchassiez de me rendre à cette chasse, ou plutôt à ce semblant de chasse, car les dames de la cour et bon nombre de curieuses de la ville y seront admises. Or, Remy, mon cher Remy, tu comprends que la dame au portrait doit naturellement faire partie de la cour ou de la ville. Ce n'est pas une simple bourgeoise, bien certainement: ces tapisseries, ces émaux si fins, ce plafond peint, ce lit de damas blanc et or, enfin, tout ce luxe de si bon goût révèle une femme de qualité ou tout au moins une femme riche; si j'allais la rencontrer là!

– Tout est possible, répondit philosophiquement le Haudouin.

– Excepté de retrouver la maison, soupira Bussy.

– Et d'y pénétrer quand nous l'aurons retrouvée, ajouta Remy.

– Oh! je ne pense jamais à cela que lorsque je suis dedans, dit Bussy; d'ailleurs, quand nous en serons là, ajouta-t-il, j'ai un moyen.

– Lequel?

– C'est de me faire administrer un autre coup d'épée.

– Bon, dit Remy, voilà qui me donne l'espoir que vous me garderez.

– Sois donc tranquille, dit Bussy, il me semble qu'il y a vingt ans que je te connais; et, foi de gentilhomme, je ne saurais plus me passer de toi.

La charmante figure du jeune praticien s'épanouit sous l'expression d'une indicible joie.

– Allons, dit-il, c'est décidé; vous allez à la chasse pour chercher la dame, et moi, je retourne rue Beautreillis pour chercher la maison.

– Il serait curieux, dit Bussy, que nous revinssions ayant fait chacun notre découverte.

Et sur ce, Bussy et le Haudouin se quittèrent plutôt comme deux amis que comme un maître et un serviteur.

Il y avait en effet grande chasse commandée au bois de Vincennes pour l'entrée en fonctions de M. Bryan de Monsoreau, nommé grand veneur depuis quelques semaines. La procession de la veille et la rude entrée en pénitence du roi, qui commençait son carême le mardi gras, avaient fait douter un instant qu'il assistât en personne à cette chasse; car, lorsque le roi tombait dans ses accès de dévotion, il en avait parfois pour plusieurs semaines à ne pas quitter le Louvre, quand il ne poussait pas l'austérité jusqu'à entrer dans un couvent; mais, au grand étonnement de toute la cour, on apprit, vers les neuf heures du matin, que le roi était parti pour le donjon de Vincennes et courait le daim avec son frère monseigneur le duc d'Anjou et toute la cour.

Le rendez-vous était au rond-point du roi Saint-Louis. C'était ainsi qu'on nommait, à cette époque, un carrefour où l'on voyait encore, disait-on, le fameux chêne où le roi martyr avait rendu la justice. Tout le monde était donc rassemblé à neuf heures, lorsque le nouvel officier, objet de la curiosité générale, inconnu qu'il était à peu près à toute la cour, parut monté sur un magnifique cheval noir.

Tous les yeux se portèrent sur lui.

C'était un homme de trente-cinq ans environ, de haute taille; son visage marqué de petite vérole et son teint nuancé de taches fugitives, selon les émotions qu'il ressentait, prévenaient désagréablement le regard et le forçaient à une contemplation plus assidue, ce qui rarement tourne à l'avantage de ceux que l'on examine. En effet, les sympathies sont provoquées par le premier aspect; l'œil franc et le sourire loyal appellent le sourire et la caresse du regard.

Vêtu d'un justaucorps de drap vert tout galonné d'argent, ceint du baudrier d'argent, avec les armes du roi brodées en écusson; coiffé de la barrette à longue plume, brandissant de la main gauche un épieu, et, de la droite, l'estortuaire destiné au roi, M. de Monsoreau pouvait paraître un terrible seigneur, mais ce n'était certainement pas un beau gentilhomme.

– Fi! la laide figure que vous nous avez ramenée de votre gouvernement, monseigneur! dit Bussy au duc d'Anjou: sont-ce là les gentilshommes que votre faveur va chercher au fond des provinces? Du diable si l'on en trouverait un pareil dans Paris, qui est cependant bien grand et bien peuplé de vilains messieurs! On dit, et je préviens Votre Altesse que je n'en ai rien voulu croire, que vous avez voulu absolument que le roi reçût le grand veneur de votre main.

– Le seigneur de Monsoreau m'a bien servi, dit laconiquement le duc d'Anjou, et je le récompense.

– Bien dit, monseigneur; il est d'autant plus beau aux princes d'être reconnaissants, que la chose est rare; mais, s'il ne s'agit que de cela, moi aussi je vous ai bien servi, monseigneur, ce me semble, et je porterais le justaucorps de grand veneur autrement bien, je vous prie de le croire, que ce grand fantôme. Il a la barbe rouge, je ne m'en étais pas aperçu d'abord: c'est encore une beauté de plus.

– Je n'avais pas entendu dire, répondit le duc d'Anjou, qu'il fallût être moulé sur le modèle de l'Apollon ou de l'Antinoüs pour occuper les charges de la cour.

– Vous ne l'aviez pas entendu dire, monseigneur? reprit Bussy avec le plus grand sang-froid, c'est étonnant.

– Je consulte le cœur, et non le visage, répondit le prince; les services rendus et non les services promis.

– Votre Altesse va dire que je suis bien curieux, reprit Bussy; mais je cherche, et inutilement, je l'avoue, quel service ce Monsoreau a pu vous rendre.

– Ah! Bussy, dit le duc avec aigreur, vous l'avez dit: vous êtes bien curieux, trop curieux même.

– Voilà bien les princes! s'écria Bussy avec sa liberté ordinaire. Ils vont toujours questionnant: il faut leur répondre sur toutes choses, et, si vous les questionnez, vous, sur une seule, ils ne vous répondent pas.

– C'est vrai, dit le duc d'Anjou; mais sais-tu ce qu'il faut faire si tu veux te renseigner?

– Non.

– Va demander la chose à M. de Monsoreau lui-même.

– Tiens, dit Bussy, vous avez, ma foi, raison, monseigneur! et avec lui, qui n'est qu'un simple gentilhomme, il me restera au moins une ressource, s'il ne me répond pas.

– Laquelle?

– Ce sera de lui dire qu'il est un impertinent.

Et, sur cette réponse, tournant le dos au prince, sans réfléchir autrement, aux yeux de ses amis et le chapeau à la main, il s'approcha de M. de Monsoreau, qui, à cheval au milieu du cercle, point de mire de tous les yeux qui convergeaient sur lui, attendait avec un sang-froid merveilleux que le roi le débarrassât du poids de tous les regards tombant à plomb sur sa personne.

Lorsqu'il vit venir Bussy, le visage gai, le sourire à la bouche, le chapeau à la main, il se dérida un peu.

– Pardon, monsieur, dit Bussy, mais je vous vois là très seul. Est-ce que la faveur dont vous jouissez vous a déjà fait autant d'ennemis que vous pouviez avoir d'amis huit jours avant d'avoir été nommé grand veneur?

– Par ma foi, monsieur le comte, répondit le seigneur de Monsoreau, je n'en jurerais pas; seulement je le parierais. Mais puis-je savoir à quoi je dois l'honneur que vous me faites en troublant ma solitude?