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Le jeune homme avait donc laissé la belle narratrice dérouler le récit de toute sa vie sans oser l'arrêter, sans avoir l'idée de l'interrompre; chacun des détails de cette vie, sur laquelle il sentait qu'il allait être appelé à veiller, avait pour lui un puissant intérêt, et il écoutait les paroles de Diane muet et haletant, comme si son existence eût dépendu de chacune de ces paroles.

Aussi, comme la jeune femme, sans doute trop faible pour la double émotion qu'elle éprouvait à son tour, émotion dans laquelle le présent réunissait tous les souvenirs du passé, s'était arrêtée un instant, Bussy n'eut point la force de demeurer sous le poids de son inquiétude, et, joignant les mains:

– Oh! continuez, madame, dit-il, continuez!

Il était impossible que Diane pût se tromper à l'intérêt qu'elle inspirait; tout dans la voix, dans le geste, dans l'expression de la physionomie du jeune homme, était en harmonie avec la prière que contenaient ses paroles. Diane sourit tristement et reprit:

– Nous marchâmes trois heures à peu près; puis la litière s'arrêta. J'entendis crier une porte; on échangea quelques paroles; la litière reprit sa marche, et je sentis qu'elle roulait sur un terrain retentissant comme est un pont-levis. Je ne me trompais pas; je jetai un coup d'œil hors de la litière: nous étions dans la cour d'un château.

Quel était ce château? Ni Gertrude ni moi n'en savions rien. Souvent, pendant la roule, nous avions tenté de nous orienter, mais nous n'avions vu qu'une forêt sans fin. Il est vrai que l'idée était venue à chacune de nous qu'on nous faisait, pour nous ôter toute idée du lieu où nous étions, faire dans cette forêt un chemin inutile et calculé.

La porte de notre litière s'ouvrit, et le même homme qui nous avait déjà parlé nous invita à descendre.

J'obéis en silence. Deux hommes qui appartenaient sans doute au château nous étaient venus recevoir avec des flambeaux. Comme on m'en avait fait la terrible promesse, notre captivité s'annonçait accompagnée des plus grands égards. Nous suivîmes, les hommes aux flambeaux; ils nous conduisirent dans une chambre à coucher richement ornée, et qui paraissait avoir été décorée à l'époque la plus brillante, comme élégance et comme style, du temps de François 1er.

Une collation nous attendait sur une table somptueusement servie.

– Vous êtes chez vous, madame, me dit l'homme qui déjà deux fois nous avait adressé la parole, et, comme les soins d'une femme de chambre vous sont nécessaires, la vôtre ne vous quittera point; sa chambre est voisine de la vôtre.

Gertrude et moi échangeâmes un regard joyeux.

– Toutes les fois que vous voudrez appeler, continua l'homme masqué, vous n'aurez qu'à frapper avec le marteau de cette porte, et quelqu'un, qui veillera constamment dans l'antichambre, se rendra aussitôt à vos ordres.

Cette apparente attention indiquait que nous étions gardées à vue.

L'homme masqué s'inclina et sortit; nous entendîmes la porte se refermer à double tour.

Nous nous trouvâmes seules, Gertrude et moi.

Nous restâmes un instant immobiles, nous regardant à la lueur des deux candélabres qui éclairaient la table où était servi le souper. Gertrude voulut ouvrir la bouche; je lui fis signe du doigt de se taire; quelqu'un nous écoutait peut-être.

La porte de la chambre qu'on nous avait désignée comme devant être celle de Gertrude était ouverte; la même idée nous vint en même temps de la visiter; elle prit un candélabre, et, sur la pointe du pied, nous y entrâmes toutes deux.

C'était un grand cabinet destiné à faire, comme chambre de toilette, le complément de la chambre à coucher. Il avait une porte parallèle à la porte de l'autre pièce par laquelle nous étions entrées: cette deuxième porte, comme la première, était ornée d'un petit marteau de cuivre ciselé, qui retombait sur un clou de même métal. Clous et marteaux, on eût dit que le tout était l'ouvrage de Benvenuto Cellini.

Il était évident que les deux portes donnaient dans la même antichambre.

Gertrude approcha la lumière de la serrure, le pêne était fermé à double tour.

Nous étions prisonnières.

Il est incroyable combien, quand deux personnes, même de condition différente, sont dans une même situation et partagent un même danger; il est incroyable, dis-je, combien les pensées sont analogues, et combien elles passent facilement par-dessus les éclaircissements intermédiaires et les paroles inutiles.

Gertrude s'approcha de moi.

– Mademoiselle a-t-elle remarqué, dit-elle à voix basse, que nous n'avons monté que cinq marches en quittant la cour?

– Oui, répondis-je.

– Nous sommes donc au rez-de-chaussée?

– Sans aucun doute.

– De sorte que, ajouta-t-elle plus bas, en fixant les yeux sur les volets extérieurs, de sorte que…

– Si ces fenêtres n'étaient pas grillées… interrompis-je.

– Oui, et si mademoiselle avait du courage…

– Du courage, m'écriai-je, oh! sois tranquille, j'en aurai, mon enfant.

Ce fut Gertrude qui, à son tour, mit son doigt sur sa bouche.

– Oui, oui, je comprends, lui dis-je.

Gertrude me fit signe de rester ou j'étais, et alla reporter le candélabre sur la table de la chambre à coucher.

J'avais déjà compris son intention et je m'étais rapprochée de la fenêtre, dont je cherchais les ressorts.

Je les trouvai, ou plutôt Gertrude, qui était venue me rejoindre, les trouva. Le volet s'ouvrit.

Je poussai un cri de joie; la fenêtre n'était pas grillée.

Mais Gertrude avait déjà remarqué la cause de cette prétendue négligence de nos gardiens: un large étang baignait le pied de la muraille; nous étions gardées par dix pieds d'eau, bien mieux que nous ne l'eussions été certainement par les grilles de nos fenêtres.

Mais, en se reportant de l'eau à ses rives, mes yeux reconnurent un paysage qui leur était familier, nous étions prisonnières au château de Beaugé, où plusieurs fois, comme je l'ai déjà dit, j'étais venue avec mon père, et où, un mois auparavant, on m'avait recueillie le jour de la mort de ma pauvre Daphné.

Le château du Beaugé appartenait à M. le duc d'Anjou.

Ce fut alors qu'éclairée comme par la lueur d'un coup de foudre je compris, tout.

Je regardai l'étang avec une sombre satisfaction; c'était une dernière ressource contre la violence, un suprême refuge contre le déshonneur.

Nous refermâmes les volets. Je me jetai tout habillée sur mon lit, Gertrude se coucha dans un fauteuil et dormit à mes pieds.

Vingt fois pendant cette nuit je me réveillai en sursaut, en proie à des terreurs inouïes; mais rien ne justifiait ces terreurs que la situation dans laquelle je me trouvais; rien n'indiquait de mauvaises intentions contre moi: on dormait, au contraire, tout semblait dormir au château, et nul autre bruit que le cri des oiseaux de marais n'interrompait le silence de la nuit.