Un homme, qui semblait son confident plutôt que son serviteur, était près de lui.
– C'était Aurilly, dit Bussy, son joueur de luth.
– En effet, répondit Diane, je crois que c'est ce nom que Gertrude me dit plus tard.
– Continuez, madame, dit Bussy, continuez, par grâce, je commence à tout comprendre.
– Je ramenai vivement mon voile sur mon visage, il était trop tard: il m'avait vue, et, s'il ne m'avait point reconnue, ma ressemblance, du moins, avec cette femme qu'il avait aimée et qu'il croyait avoir perdue, venait de le frapper profondément. Mal à l'aise sous son regard que je sentais peser sur moi, je me levai et m'avançai vers la porte; mais, à la porte, je le retrouvai, il avait trempé ses doigts dans le bénitier, et me présentait l'eau bénite.
Je fis semblant de ne pas le voir, et passai sans accepter ce qu'il m'offrait.
Mais, sans que je me retournasse, je compris que nous étions suivies; si j'eusse connu Paris, j'eusse essayé de tromper le duc sur ma véritable demeure, mais je n'avais jamais parcouru d'autre chemin que celui qui conduisait de la maison que j'habitais à l'église; je ne connaissais personne à qui je pusse demander une hospitalité d'un quart d'heure, pas d'amie, un seul défenseur que je craignais plus qu'un ennemi, voilà tout.
– Oh! mon Dieu! murmura Bussy, pourquoi le ciel, la Providence ou le hasard ne m'ont-ils pas conduit plus tôt sur votre chemin?
Diane remercia le jeune homme d'un regard.
– Mais pardon, reprit Bussy: je vous interromps toujours, et cependant je meurs de curiosité. Continuez, je vous en supplie.
– Le même soir, M. de Monsoreau vint. Je ne savais point si je devais lui parler de mon aventure, lorsque lui-même fit cesser mon hésitation.
– Vous m'avez demandé, dit-il, s'il vous était défendu d'aller à la messe; et je vous ai répondu que vous étiez maîtresse souveraine de vos actions et que vous feriez mieux de ne pas sortir. Vous n'avez pas voulu m'en croire; vous êtes sortie ce matin pour aller entendre l'office divin à l'église de Sainte-Catherine; le prince s'y trouvait par hasard, ou plutôt par fatalité, et vous y a vue.
– C'est vrai, monsieur, et j'hésitais à vous faire part de cette circonstance, car j'ignorais que le prince m'avait reconnue pour celle que je suis, ou si ma vue l'avait simplement frappé.
– Votre vue l'a frappé, votre ressemblance avec la femme qu'il regrette lui a paru extraordinaire: il vous a suivie et a pris des informations; mais personne n'a rien pu lui dire, car personne ne sait rien.
– Mon Dieu! monsieur! m'écriai-je.
– Le duc est un cœur sombre et persévérant, dit M. de Monsoreau.
– Oh! il m'oubliera, je l'espère!
– Je n'en crois rien: on ne vous oublie pas quand on vous a vue. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour vous oublier, moi, et je n'ai pas pu.
Et le premier éclair de passion que j'aie remarqué chez M. de Monsoreau passa en ce moment dans les yeux du comte.
Je fus plus effrayée de cette flamme, qui venait de jaillir de ce foyer qu'on eût cru éteint, que je ne l'avais été le matin à la vue du prince.
Je demeurai muette.
– Que comptez-vous faire? me demanda le comte.
– Monsieur, ne pourrai-je changer de maison, de quartier, de rue; aller demeurer à l'autre bout de Paris, ou, mieux encore, retourner dans l'Anjou?
– Tout cela serait inutile, dit M. de Monsoreau en secouant la tête: c'est un terrible limier que M. le duc d'Anjou; il est sur votre trace; maintenant, allez où vous voudrez, il la suivra jusqu'à ce qu'il vous joigne.
– Oh! mon Dieu! vous m'effrayez.
– Ce n'est point mon intention; je vous dis ce qui est, et pas autre chose.
– Alors c'est moi qui vous ferai à mon tour la question que vous m'adressiez tout à l'heure. Que comptez-vous faire, monsieur?
– Hélas! reprit le comte de Monsoreau avec une amère ironie, je suis un homme de pauvre imagination, moi. J'avais trouvé un moyen; ce moyen ne vous convient pas; j'y renonce; mais ne me dites pas d'en chercher d'autres.
– Mais, mon Dieu! repris-je, le danger est peut-être moins pressant que vous ne le croyez.
– C'est ce que l'avenir nous apprendra, madame, dit le comte en se levant. En tout cas, je vous le répète, madame de Monsoreau aura d'autant moins à craindre du prince, que la nouvelle charge que j'occupe me fait relever directement du roi, et que moi et ma femme nous trouverons naturellement protection près du roi.
Je ne répliquai que par un soupir. Ce que disait là le comte était plein de raison et de vraisemblance.
M. de Monsoreau attendit un instant, comme pour me laisser tout le loisir de lui répondre; mais je n'en eus pas la force. Il était debout, tout prêt à se retirer. Un sourire amer passa sur ses lèvres; il s'inclina et sortit.
Je crus entendre quelques imprécations s'échapper de sa bouche dans l'escalier.
J'appelai Gertrude.
Gertrude avait l'habitude de se tenir, ou dans le cabinet, ou dans la chambre à coucher quand venait le comte; elle accourut.
J'étais à la fenêtre, enveloppée dans les rideaux de façon que, sans être aperçue, je pusse voir ce qui se passait dans la rue.
Le comte sortit et s'éloigna.
Nous restâmes une heure à peu près, attentives à tout examiner, mais personne ne vint.
La nuit s'écoula sans rien amener de nouveau.
Le lendemain Gertrude, en sortant, fut accostée par un jeune homme, qu'elle reconnut pour être celui qui, la veille, accompagnait le prince; mais, à toutes ses instances, elle refusa de répondre; à toutes ses questions, elle resta muette.
Le jeune homme, lassé, se retira.
Cette rencontre m'inspira une profonde terreur; c'était le commencement d'une investigation qui, certes, ne devait point s'arrêter là. J'eus peur que M. de Monsoreau ne vint pas le soir, et que quelque tentative ne fût faite contre moi dans la nuit; je l'envoyai chercher; il vint aussitôt.
Je lui racontai tout et lui fis le portrait du jeune homme d'après ce que Gertrude m'en avait rapporté.
– C'est Aurilly, dit-il; qu'a répondu Gertrude?
– Gertrude n'a rien répondu.
M. de Monsoreau réfléchit un instant.
– Elle a eu tort, dit-il.
– Comment cela?
– Oui, il s'agit de gagner du temps.
– Du temps?
– Aujourd'hui, je suis encore dans la dépendance de M. le duc d'Anjou; mais, dans quinze jours, dans douze jours, dans huit jours peut-être, c'est le duc d'Anjou qui sera dans la mienne. Il s'agit donc de le tromper pour qu'il attende.
– Mon Dieu!
– Sans doute, l'espoir le rendra patient. Un refus complet le poussera vers quelque parti désespéré.
– Monsieur, écrivez à mon père, m'écriai-je; mon père accourra et ira se jeter aux pieds du roi. Le roi aura pitié d'un vieillard.
– C'est selon la disposition d'esprit où sera le roi, et selon qu'il sera dans sa politique d'être pour le moment l'ami ou l'ennemi de M. le duc d'Anjou. D'ailleurs, il faut six jours à un messager pour aller trouver votre père; il faut six jours à votre père pour venir. Dans douze jours M. le duc d'Anjou aura fait, si nous ne l'arrêtons pas, tout le chemin qu'il peut faire.