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Tous les regards se tournèrent curieusement vers le moine placé à droite des trois princes lorrains et qui se tenait debout sur le degré de sa stalle.

– Monseigneur, dit le duc de Guise en s'adressant à celui qui pour le moment était l'objet de l'attention générale, la volonté de Dieu me paraît manifeste, car, puisque vous avez consenti à vous joindre à nous, c'est que nous faisons bien de faire ce que nous faisons. Maintenant, une prière, Altesse: abaissez votre capuchon, afin que vos fidèles voient par leurs propres yeux que vous tenez la promesse que nous leur avons faite en votre nom, promesse si flatteuse, qu'ils n'osaient y croire.

Le personnage mystérieux que Henri de Guise venait d'interpeller ainsi porta la main à son capuchon, qu'il rabattit sur ses épaules, et Chicot, qui s'était attendu à trouver sous ce froc quelque prince lorrain dont il n'avait pas encore entendu parler, vit avec étonnement apparaître la tête du duc d'Anjou, si pâle, qu'à la lueur de la lampe sépulcrale elle semblait celle d'une statue de marbre.

– Oh! oh! dit Chicot, notre frère d'Anjou! il ne se lassera donc pas de jouer au trône avec les têtes des autres?

– Vive monseigneur le duc d'Anjou! crièrent tous les assistants.

François devint plus pâle encore qu'il n'était.

– Ne craignez rien, monseigneur, dit Henri de Guise, cette chapelle est sourde et les portes en sont bien fermées.

– Heureuse précaution, se dit Chicot.

– Mes frères, dit le comte de Monsoreau, Son Altesse demande à adresser quelques mots à l'assemblée.

– Oui, oui, qu'elle parle! s'écrièrent toutes les voix, nous écoutons.

Les trois princes lorrains se retournèrent vers le duc d'Anjou et s'inclinèrent devant lui.

Le duc d'Anjou s'appuya aux bras de sa stalle; on eût dit qu'il allait tomber.

– Messieurs, dit-il d'une voix si sourdement tremblante, qu'à peine put-on entendre les paroles qu'il prononça d'abord; messieurs, je crois que Dieu, qui souvent paraît insensible et sourd aux choses de ce monde, tient au contraire ses yeux perçants constamment fixés sur nous, et ne reste ainsi muet et insouciant en apparence que pour remédier un jour par quelque coup d'éclat aux désordres que causent les folles ambitions des humains.

Le commencement du discours du duc était, comme son caractère, passablement ténébreux; aussi chacun attendit-il qu'un peu de lumière descendît sur les pensées de Son Altesse pour les blâmer ou les applaudir.

Le duc reprit d'une voix un peu plus assurée:

– Moi aussi, j'ai jeté les yeux sur ce monde, et, ne pouvant embrasser toute sa surface de mon faible regard, j'ai arrêté mes yeux sur la France. Qu'ai -je vu alors par tout ce royaume? La sainte religion du Christ ébranlée sur ses bases augustes et les vrais serviteurs de Dieu épars et proscrits. Alors j'ai sondé les profondeurs de l'abîme ouvert depuis vingt ans par les hérésies qui sapent les croyances sous prétexte d'atteindre plus sûrement à Dieu, et mon âme, comme celle du prophète, a été inondée de douleurs.

Un murmure d'approbation courut dans l'assemblée. Le duc venait de manifester sa sympathie pour les souffrances de l'Église; ce qui déjà était presque une déclaration de guerre à ceux qui faisaient souffrir cette Église.

– Ce fut au milieu de cette affliction profonde, continua le prince, que le bruit vint à moi que plusieurs nobles gentilshommes pieux et amis des coutumes de nos ancêtres essayaient de consolider l'autel ébranlé. J'ai jeté les yeux autour de moi, et il m'a semblé que j'assistais déjà au jugement suprême, et que Dieu avait séparé en deux corps les réprouvés et les élus. D'un côté étaient ceux-là, et je me suis reculé avec horreur; de l'autre côté étaient les élus, et je suis venu me jeter dans leurs bras. Mes frères, me voici.

– Amen! dit tout bas Chicot.

Mais c'était une précaution inutile: Chicot eût pu répondre tout haut, et sa voix n'eût pas été entendue au milieu des applaudissements et des bravos qui s'élevèrent jusqu'aux voûtes de la chapelle.

Les trois princes lorrains, après en avoir donné le signal, les laissèrent se calmer; puis le cardinal, qui était le plus rapproché du duc, faisant encore un pas de son côté, lui dit:

– Vous êtes venu de votre plein gré parmi nous, prince?

– De mon plein gré, monsieur.

– Qui vous a instruit du saint mystère?

– Mon ami, un homme zélé pour la religion, M. le comte de Monsoreau.

– Maintenant, dit à son tour le duc de Guise, maintenant que Votre Altesse est des nôtres, veuillez, monseigneur, avoir la bonté de nous dire ce que vous comptez faire pour le bien de la sainte Ligue.

– Je compte servir la religion catholique, apostolique et romaine dans toutes ses exigences, répondit le néophyte.

– Ventre de biche! dit Chicot, voici, sur mon âme, des gens bien niais, de se cacher pour dire de pareilles choses! Que ne proposent-ils cela tout bonnement au roi Henri III, mon illustre maître? Tout cela lui irait à merveille: processions, macérations, extirpations d'hérésies comme à Rome, fagots et auto-da-fés comme en Flandre et en Espagne. Mais c'est le seul moyen de lui faire avoir des enfants, à ce bon prince. Corbœuf! j'ai envie de sortir de mon confessionnal et de me présenter à mon tour, tant ce cher duc d'Anjou m'a touché! Continue, digne frère de Sa Majesté, noble imbécile, continue!

Et le duc d'Anjou, comme s'il eût été sensible à l'encouragement, continua en effet.

– Mais, dit-il, l'intérêt de la religion n'est pas le seul but que des gentilshommes doivent se proposer. Quant à moi, j'en ai entrevu un autre.

– Ouais! fit Chicot, je suis gentilhomme aussi; cela m'intéresse donc comme les autres; parle, d'Anjou, parle.

– Monseigneur, on écoute Votre Altesse avec la plus sérieuse attention, dit le cardinal de Guise.

– Et nos cœurs battent d'espérance en vous écoutant, dit M. de Mayenne.

– Je m'expliquerai donc, dit le duc d'Anjou en sondant de son regard inquiet les profondeurs ténébreuses de la chapelle, comme pour s'assurer que ses paroles ne tomberaient qu'en oreilles dignes de recevoir la confidence.

M. de Monsoreau comprit l'inquiétude du prince et le rassura par un sourire et par un coup d'œil des plus significatifs.

– Or, quand un gentilhomme a pensé à ce qu'il doit à Dieu, continua le duc d'Anjou en baissant involontairement la voix, il pense alors à son…

– Parbleu! à son roi, souffla Chicot, c'est connu.

– À son pays, dit le duc d'Anjou, et il se demande si son pays jouit bien réellement de tout l'honneur et de tout le bien-être qu'il était destiné d'avoir en partage: car un bon gentilhomme tire ses avantages de Dieu d'abord, et ensuite du pays dont il est l'enfant.

L'assemblée applaudit violemment.

– Eh bien, mais, dit Chicot, et le roi? il n'en est donc plus question, de ce pauvre monarque? Et moi qui croyais, comme c'est écrit sur la pyramide de Juvisy, qu'on disait toujours: Dieu, le roi et les dames!

– Je me demande donc, poursuivit le duc d'Anjou, dont les pommettes saillantes s'animaient peu à peu d'une rougeur fébrile, je me demande donc si mon pays jouit de la paix et du bonheur que mérite cette patrie si douce et si belle qu'on appelle la France, et je vois avec douleur qu'il n'en est rien.