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– Je ne nie pas que le bonheur existe, madame, dit Bussy a ce un soupir; je nie seulement que ce bonheur soit fait pour moi.

– Voulez-vous que je vous marie? répéta madame de Saint-Luc.

– Si vous me mariez à votre goût, non; si vous me mariez à mon goût, oui.

– Vous dites cela comme un homme décidé à rester célibataire.

– Peut-être.

– Mais vous êtes donc amoureux d'une femme que vous ne pouvez épouser?

– Comte, par grâce, dit Bussy, priez donc madame de Saint-Luc de ne pas m'enfoncer mille poignards dans le cœur.

– Ah çà, prenez garde, Bussy, vous allez me faire accroire que c'est de ma femme que vous êtes amoureux.

– Dans ce cas, vous conviendriez au moins que je suis un amant plein de délicatesse, et que les maris auraient bien tort d'être jaloux de moi.

– Ah! c'est vrai, dit Saint-Luc, se rappelant que c'était Bussy qui lui avait amené sa femme au Louvre. Mais, n'importe, avouez que vous avez le cœur pris quelque part.

– Je l'avoue, dit Bussy.

– Par un amour, ou par un caprice? demanda Jeanne.

– Par une passion, madame.

– Je vous guérirai.

– Je ne crois pas.

– Je vous marierai.

– J'en doute.

– Et je vous rendrai aussi heureux que vous méritez de l'être.

– Hélas! madame, mon seul bonheur maintenant est d'être malheureux.

– Je suis très opiniâtre, je vous en avertis, dit Jeanne.

– Et moi donc! dit Bussy.

– Comte, vous céderez.

– Tenez, madame, dit le jeune homme, voyageons comme de bons amis. Sortons d'abord de cette sablonnière, s'il vous plaît, puis nous gagnerons pour la couchée ce charmant petit village qui reluit là-bas au soleil.

– Celui-là ou quelque autre.

– Peu m'importe, je n'ai point de préférence.

– Vous nous accompagnez alors?

– Jusqu'à l'endroit où je vais, à moins que vous n'y voyiez quelque inconvénient.

– Aucun, au contraire. Mais faites mieux, venez où nous allons.

– Et où allez-vous?

– Au château de Méridor.

Le sang monta au visage de Bussy et reflua vers son cœur. Il devint même si pâle, que c'en était fait de son secret, si, en ce moment même, Jeanne n'eût regardé son mari en souriant.

Bussy eut donc le temps de se remettre, tandis que les deux époux, ou plutôt les deux amants, se parlaient des yeux, et de rendre malice pour malice à la jeune femme; seulement sa malice à lui, c'était un profond silence sur ses intentions.

– Au château de Méridor, madame, dit-il quand il eut repris assez de force pour prononcer ce nom. Qu'est-ce que cela, je vous prie?

– La terre d'une de mes bonnes amies, répondit Jeanne.

– D'une de vos bonnes amies…, et, continua Bussy, qui est à sa terre?

– Sans doute, répondit madame de Saint-Luc, qui ignorait complètement les événements arrivés à Méridor depuis deux mois: n'avez vous donc jamais entendu parler du baron de Méridor, un des plus riches barons poitevins et…

– Et… répéta Bussy, voyant que Jeanne s'arrêtait.

– Et de sa fille Diane de Méridor, la plus belle fille de baron qu'on ait jamais vue?

– Non, madame, répliqua Bussy, presque suffoqué par l'émotion.

Et tout bas le beau gentilhomme, tandis que Jeanne regardait encore son mari avec une singulière expression, le beau gentilhomme, disons-nous, se demandait par quel singulier bonheur, sur cette route, sans à-propos, sans logique, il trouvait des gens pour lui parler de Diane de Méridor, pour faire écho à la seule pensée qu'il eût dans le cœur.

Était-ce une surprise? ce n'était point probable; était-ce un piège? c'était presque impossible. Saint-Luc n'était déjà plus à Paris lorsqu'il était entré chez madame de Monsoreau, et lorsqu'il avait appris que madame de Monsoreau s'appelait Diane de Méridor.

– Et ce château est-il bien loin encore, madame? demanda Bussy.

– À sept lieues, je crois, et j'offrirais de parier que c'est là et non pas à votre petit village reluisant au soleil, dans lequel, au reste, je n'ai eu aucune confiance, que nous coucherons ce soir. Vous venez, n'est-ce pas?

– Oui, madame.

– Allons, dit Jeanne, c'est déjà un pas fait vers le bonheur que je vous proposais.

Bussy s'inclina et continua de marcher près des deux jeunes époux, qui, grâce aux obligations qu'ils lui avaient, firent charmante mine. Pendant quelque temps chacun garda le silence. Enfin Bussy, qui avait bien des choses à apprendre, se hasarda de questionner. C'était le privilège de sa position, et il paraissait au reste résolu d'en user.

– Et ce baron de Méridor dont vous me parliez, demanda-t-il, le plus riche des Poitevins, quel homme est-ce?

– Un parfait gentilhomme, un preux des anciens jours, un chevalier qui, s'il eût vécu au temps du roi Arthus, eût certes obtenu une place à la table ronde.

– Et, demanda Bussy en comprimant les muscles de son visage et l'émotion de sa voix, à qui a-t-il marié sa fille?

– Marié sa fille!

– Je le demande.

– Diane, mariée!

– Qu'y aurait-il d'extraordinaire à cela?

– Rien; mais Diane n'est point mariée: certainement, j'eusse été la première prévenue de ce mariage.

Le cœur de Bussy se gonfla, et un soupir douloureux brisa le passage de sa gorge étranglée.

– Alors, demanda-t-il, mademoiselle de Méridor est au château avec son père?

– Nous l'espérons bien, répondit Saint-Luc, appuyant sur cette réponse, pour montrer à sa femme qu'il l'avait comprise, et qu'il partageait ses idées et s'associait à ses plans.

Il se fît un moment de silence, pendant lequel chacun poursuivait sa pensée.

– Ah! s'écria tout à coup Jeanne en se haussant sur ses étriers, voici les tourelles du château. Tenez, tenez, voyez-vous, monsieur de Bussy, au milieu de ces grands bois sans feuilles, mais qui, dans un mois, seront si beaux; tenez, voyez-vous le toit d'ardoises?

– Oh! oui, certainement, dit Bussy avec une émotion qui étonnait lui-même ce brave cœur, resté jusqu'alors un peu sauvage, oui, je vois. Ainsi c'est là le château de Méridor?

Et, par une réaction naturelle à la pensée, à l'aspect de ce pays si beau et si riche même au temps de la détresse de la nature, à l'aspect de cette demeure seigneuriale, il se rappela la pauvre prisonnière ensevelie dans les brumes de Paris et dans l'étouffant réduit de la rue Saint-Antoine.

Cette fois encore il soupira, mais ce n'était plus tout à fait de douleur. À force de lui promettre le bonheur, madame de Saint-Luc venait de lui donner l'espérance.

XXIII Le vieillard orphelin.

Madame de Saint-Luc ne s'était point trompée: deux heures après on était en face du château de Méridor.