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– Frère Monsoreau! dit le même moine qui avait déjà parlé, quelles nouvelles apportez-vous à l'Union de la province d'Anjou?

Deux choses firent dresser l'oreille à Chicot:

La première, cette voix au timbre si accentué, qu'elle semblait bien plus faite pour sortir sur un champ de bataille de la visière d'un casque que dans une église du capuchon d'un moine.

La seconde, ce nom de frère Monsoreau, connu depuis quelques jours seulement à la cour, ou, comme nous l'avons dit, il avait produit une certaine sensation.

Un moine de haute taille, et dont la robe formait des plis anguleux, traversa une partie de l'assemblée, et, d'un pas ferme et hardi, monta dans la chaire; Chicot essaya de voir son visage.

C'était chose impossible.

– Bon, dit-il, et, si l'on ne voit pas le visage des autres, au moins les autres ne verront-ils pas le mien.

– Mes frères, dit alors une voix qu'à ses premiers accents Chicot reconnut pour celle du grand veneur, les nouvelles de la province d'Anjou ne sont point satisfaisantes; non pas que nous y manquions de sympathies, mais parce que nous y manquons de représentants. La propagation de l'Union dans cette province avait été confiée au baron de Méridor; mais ce vieillard, désespéré de la mort récente de sa fille, a, dans sa douleur, négligé les affaires de la sainte Ligue, et, jusqu'à ce qu'il soit consolé de la perte qu'il a faite, nous ne pouvons compter sur lui. Quant à moi, j'apporte trois nouvelles adhésions à l'association, et, selon le règlement, je les ai déposées dans le tronc du couvent. Le conseil jugera si ces trois nouveaux frères, dont je réponds d'ailleurs comme de moi-même, doivent être admis à faire partie de la sainte Union.

Un murmure d'approbation circula dans les rangs des moines, et frère Monsoreau avait regagné sa place, que ce bruit n'était pas encore éteint.

– Frère la Hurière, reprit le même moine qui paraissait destiné à faire l'appel des fidèles selon son caprice, dites-nous ce que vous avez fait dans la ville de Paris.

Un homme au capuchon rabattu parut à son tour dans la chaire que venait de laisser vacante M. de Monsoreau.

– Mes frères, dit-il, vous savez tous si je suis dévot à la foi catholique, et si j'ai donné des preuves de cette dévotion pendant le grand jour où elle a triomphé. Oui, mes frères, dès cette époque, et je m'en glorifie, j'étais un des fidèles de notre grand Henri de Guise, et c'est de la bouche même de M. de Besme, à qui Dieu accorde toutes ses bénédictions! que j'ai reçu les ordres qu'il a daigné me donner et que j'ai suivis à ce point, que j'ai voulu tuer mes propres locataires. Or ce dévouement à cette sainte cause m'a fait nommer quartenier, et j'ose dire que c'est une heureuse circonstance pour la religion. J'ai pu ainsi noter tous les hérétiques du quartier Saint-Germain-l'Auxerrois, où je tiens toujours, rue de l'Arbre-Sec, l'hôtel de la Belle-Étoile, à votre service, mes frères, et, les ayant notés, les désigner à nos amis. Certes, je n'ai plus soif du sang des huguenots comme autrefois; mais je ne saurais me dissimuler le but véritable de la sainte Union que nous sommes en train de fonder.

– Écoutons, se dit Chicot; ce la Hurière était, si je m'en souviens bien, un furieux tueur d'hérétiques, et il doit en savoir long sur la Ligue, si l'on mesure chez messieurs les ligueurs la confiance sur le mérite.

– Parlez, parlez, dirent plusieurs voix.

La Hurière, qui trouvait l'occasion de déployer des facultés d'orateur qu'il avait rarement l'occasion de développer, quoiqu'il les crût innées en lui, se recueillit un instant, toussa et reprit:

– Si je ne me trompe, mes frères, l'extinction des hérésies particulières n'est pas seulement ce qui nous préoccupe. Il faut que les bons Français soient assurés de ne jamais rencontrer d'hérétiques parmi les princes appelés à les gouverner. Or, mes frères, où en sommes-nous? François II, qui promettait d'être un zélé, est mort sans enfants; Charles IX, qui était un zélé, est mort sans enfants; le roi Henri III, dont ce n'est point à moi de rechercher les croyances et de qualifier les actions, mourra probablement sans enfants; restera donc le duc d'Anjou, qui non seulement n'a pas d'enfants non plus, mais qui encore paraît tiède pour la sainte Ligue.

Ici plusieurs voix interrompirent l'orateur, parmi lesquelles celle du grand veneur.

– Pourquoi tiède, dit la voix, et qui vous fait porter cette accusation contre le prince?

– Je dis tiède parce qu'il n'a pas encore donné son adhésion à la Ligue, quoique l'illustre frère qui vient de m'interpeller l'ait positivement promise en son nom.

– Qui vous a dit qu'il ne l'ait point donnée, reprit la voix, puisqu'il y a des adhésions nouvelles? Vous n'avez le droit, ce me semble, de ne soupçonner personne tant que le dépouillement ne sera point fait.

– C'est vrai, dit la Hurière, j'attendrai donc encore; mais, après le duc d'Anjou, qui est mortel et qui n'a point d'enfants (remarquez que l'on meurt jeune dans la famille), à qui reviendra la couronne? Au plus farouche huguenot qu'on puisse imaginer, à un renégat, à un relaps, à un Nabuchodonosor.

Ici, au lieu de murmures, ce furent des applaudissements frénétiques qui interrompirent la Hurière.

– À Henri de Béarn, enfin, contre lequel cette association est surtout faite, à Henri de Béarn, que l'on croit souvent à Pau ou à Tarbes occupé de ses amours, et que l'on rencontre à Paris.

– À Paris! s'écrièrent plusieurs voix; à Paris! c'est impossible!

– Il y est venu! s'écria la Hurière. Il s'y trouvait la nuit où madame de Sauve a été assassinée; il y est peut-être encore en ce moment.

– À mort le Béarnais! crièrent plusieurs voix.

– Oui, sans doute, à mort! cria la Hurière, et, s'il vient par hasard loger à la Belle-Étoile, je réponds bien de lui; mais il n'y viendra pas. On ne prend pas un renard deux fois à la même trouée. Il ira loger ailleurs, chez quelque ami; car il a des amis, l'hérétique. Eh bien, c'est le nombre de ces amis qu'il faut diminuer ou faire connaître. Notre Union est sainte, notre Ligue est loyale, consacrée, bénie, encouragée par notre saint père le pape Grégoire III. Je demande donc qu'on n'en fasse pas plus longtemps mystère, que des listes soient remises aux quarteniers et aux dizainiers, qu'ils aillent avec ces listes dans les maisons inviter les bons citoyens à signer. Ceux qui signeront seront nos amis; ceux qui refuseront de signer seront nos ennemis, et, l'occasion se présentant d'une seconde Saint-Barthélemy, qui semble aux vrais fidèles devenir de plus en plus urgente, eh bien, nous ferions ce que nous avons déjà fait dans la première, nous épargnerions à Dieu la fatigue de séparer lui-même les bons des méchants.