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La péroraison de Chicot, qui correspondait aux sentiments de beaucoup de membres de la Ligue, qui ne voyaient pas la nécessité d'aller au but par d'autre route que par le chemin dont la Saint-Barthélemy, six ans auparavant, avait ouvert la barrière, et que par conséquent les lenteurs des chefs désespéraient, alluma le feu sacré dans tous les cœurs, et, à part trois capuchons qui demeurèrent silencieux, l'assemblée se mit à crier d'une seule voix: Vive la messe! Noël au brave frère Gorenflot! la procession! la procession!

L'enthousiasme était d'autant plus vivement excité, que c'était la première fois que le zèle du digne frère se produisait sous un pareil jour. Jusque-là ses amis les plus intimes l'avaient rangé au nombre des zélés sans doute, mais des zélés que le sentiment de la conservation de soi-même retenait dans les bornes de la prudence. Point du tout, de cette demi-teinte dans laquelle il était resté, frère Gorenflot s'élançait tout à coup, armé en guerre, dans le jour éclatant de l'arène; c'était une grande surprise qui amenait une grande réhabilitation, et quelques-uns, dans leur admiration, d'autant plus grande qu'elle était plus inattendue, mettaient dans leur esprit frère Gorenflot, qui avait prêché la première procession, à la hauteur de Pierre l'Ermite, qui avait prêché la première croisade.

Malheureusement ou heureusement pour celui qui avait produit cette exaltation, ce n'était pas le plan des chefs de lui laisser prendre son cours. Un des trois moines silencieux se pencha à l'oreille du moinillon, et la voix flûtée de l'enfant retentit aussitôt sous les voûtes, criant trois fois:

– Mes frères, il est l'heure de la retraite, la séance est levée.

Les moines se levèrent bourdonnant, et, tout en se promettant de demander d'une voix unanime, à la prochaine séance, la procession proposée par le brave frère Gorenflot, prirent lentement le chemin de la porte. Beaucoup s'étaient approchés de la chaire pour féliciter le frère quêteur à la descente de cette tribune du haut de laquelle il avait eu un si grand succès. Mais Chicot, réfléchissant qu'entendue de près sa voix, de laquelle il n'avait jamais pu extraire un petit accent gascon, pouvait être reconnue; que, vu de près, son corps, qui dans la ligne verticale présentait six ou huit bons pouces de plus que frère Gorenflot, lequel avait sans doute grandi dans l'esprit de ses auditeurs, mais moralement surtout, pouvait exciter quelque étonnement, Chicot, disons-nous, s'était jeté à genoux et paraissait, comme Samuel, abîmé dans une conversation tête à tête avec le Seigneur.

On respecta donc son extase, et chacun s'achemina vers la sortie avec une agitation qui, sous le capuchon dans les plis duquel il avait ménagé des ouvertures pour ses yeux, réjouissait fort Chicot.

Cependant le but de Chicot était à peu près manqué. Ce qui lui avait fait quitter le roi Henri III sans lui demander congé, c'était la vue du duc de Mayenne. Ce qui l'avait fait revenir à Paris, c'était la vue de Nicolas David. Chicot, comme nous l'avons dit, avait bien fait un double vœu de vengeance; mais il était bien petit compagnon pour s'attaquer à un prince de la maison de Lorraine, ou, pour le faire impunément, il lui fallait attendre longuement et patiemment l'occasion. Il n'en était pas de même de Nicolas David, qui n'était qu'un simple avocat normand, matois fort retors, il est vrai, qui avait été soldat avant d'être avocat, et maître d'armes tandis qu'il était soldat. Mais, sans être maître d'armes, Chicot avait la prétention de jouer assez proprement de la rapière; la grande question était donc pour lui de rejoindre son ennemi, et, une fois rejoint, Chicot, comme les anciens preux, mettait sa vie sous la garde de son bon droit et de son épée.

Chicot regardait donc tous les moines s'en aller les uns après les autres, afin, sous ces frocs et ces capuchons, de reconnaître, s'il était possible, la taille longue et menue de maître Nicolas, quand il s'aperçut tout à coup qu'en sortant chaque moine était soumis à un examen pareil à celui qu'il avait subi en entrant, et, tirant, de sa poche un signe quelconque, n'obtenait son exeat que lorsque le frère portier le lui avait donné sur l'inspection de ce signe. Chicot crut d'abord s'être trompé, et resta un instant dans le doute; mais ce doute fut bientôt changé en une certitude qui fit poindre une sueur froide à la racine des cheveux de Chicot.

Frère Gorenflot lui avait bien indiqué le signe à l'aide duquel on pouvait entrer, mais il avait oublié de lui montrer le signe à l'aide duquel on pouvait sortir.

XX Comment Chicot forcé de rester dans l'église de l'abbaye, vit et entendit des choses qu'il était fort dangereux de voir et d'entendre.

Chicot se hâta de descendre de sa chaire et de se mêler aux derniers moines, afin de reconnaître, s'il était possible, le signe à l'aide duquel on pouvait regagner la rue, et de se procurer ce signe, s'il en était encore temps. En effet, après avoir rejoint les retardataires, après avoir allongé la tête pardessus toutes les têtes, Chicot reconnut que le signe de sortie était un denier taillé en étoile.

Notre Gascon avait bon nombre de deniers dans sa poche, mais malheureusement pas un n'avait cette taille particulière, d'autant plus inusitée qu'elle exilait pour jamais cette pièce, ainsi mutilée, de la circulation monétaire.

Chicot envisagea la situation d'un coup d'œiclass="underline" arrivé à la porte, ne pouvant pas produire son denier étoilé, il était reconnu comme un faux frère, puis, comme tout naturellement les investigations ne se borneraient point là, pour maître Chicot, fou du roi, charge qui lui donnait beaucoup de privilèges au Louvre et dans les autres châteaux, mais qui, dans l'abbaye Sainte-Geneviève, et surtout en des circonstances pareilles, perdait beaucoup de son prestige. Chicot était pris dans un traquenard; il gagna l'ombre d'un pilier et se blottit dans l'angle d'un confessionnal, adossé à l'angle de ce pilier.