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– Que dit-il donc? demanda la comtesse.

– Ma foi! dit Saint-Luc, il dit que nous avons perdu quelque chose.

– Eh! monsieur, continua l'inconnu, le petit monsieur, vous avez oublié votre bracelet dans l'hôtellerie de Courville. Que diable! un portrait de femme, cela ne se perd pas ainsi, le portrait de cette respectable madame de Cossé surtout. En faveur de cette chère maman, ne me faites donc pas courir pour cela.

– Mais je connais cette voix! s'écria Saint-Luc.

– Et puis il me parle de ma mère.

– Avez-vous donc perdu ce bracelet, ma mie?

– Eh! mon Dieu, oui, je m'en suis aperçue ce matin seulement. Je ne pouvais me rappeler où je l'avais laissé.

– Mais c'est Bussy! s'écria tout à coup Saint-Luc.

– Le comte de Bussy! reprit Jeanne tout émue, notre ami?

– Eh! certainement, notre ami, dit Saint-Luc, courant avec autant d'empressement au-devant du gentilhomme qu'il venait de mettre de soin à l'éviter.

– Saint-Luc! je ne m'étais donc pas trompé! dit la voix sonore de Bussy, qui, d'un seul bond, se trouva près des deux époux.

Bonjour, madame, continua-t-il en riant aux éclats et en offrant à la comtesse le portrait que réellement elle avait oublié dans l'hôtellerie de Courville, où l'on se rappelle que les voyageurs avaient passé la nuit.

– Est-ce que vous venez pour nous arrêter de la part du roi, monsieur de Bussy? dit en souriant Jeanne.

– Moi! ma foi, non; je ne suis pas assez des amis de Sa Majesté pour qu'elle me charge de ses missions de confiance. Non, j'ai trouvé votre bracelet à Courville; cela m'a indiqué que vous me précédiez sur la route. J'ai alors poussé mon cheval, je vous ai aperçus, je me suis douté que c'était vous, et, sans le vouloir, je vous ai donné la chasse. Excusez-moi.

– Ainsi donc, dit Saint-Luc avec un dernier nuage de soupçon, c'est le hasard qui vous fait suivre la même route que nous?

– Le hasard, répondit Bussy; et, maintenant que je vous ai rencontrés, je dirai la Providence.

Et tout ce qui restait de doute dans l'esprit de Saint-Luc s'effaça devant l'œil si brillant et le sourire si sincère du beau gentilhomme.

– Ainsi, vous voyagez? dit Jeanne.

– Je voyage, dit Bussy en remontant à cheval.

– Mais pas comme nous?

– Non, malheureusement.

– Pas pour cause de disgrâce? voulais-je dire.

– Ma foi, peu s'en faut.

– Et vous allez?

– Je vais du côté d'Angers. Et vous?

– Nous aussi.

– Oui, je comprends, Brissac est à une dizaine de lieues d'ici, entre Angers et Saumur: vous allez chercher un refuge dans le manoir paternel, comme des colombes poursuivies; c'est charmant, et je porterais envie à votre bonheur si l'envie n'était pas un si vilain défaut.

– Eh! monsieur de Bussy, dit Jeanne avec un regard plein de reconnaissance, mariez-vous, et vous serez tout aussi heureux que nous le sommes; c'est chose très facile, je vous jure, que le bonheur quand on s'aime.

Et elle regarda Saint-Luc en souriant, comme pour en appeler à son témoignage.

– Madame, dit Bussy, je me défie de ces bonheurs-là; tout le monde n'a pas la chance de se marier comme vous, avec privilège du roi.

– Allons donc, vous, l'homme aimé partout!

– Quand on est aimé partout, madame, dit en soupirant Bussy, c'est comme si on ne l'était nulle part.

– Eh bien, dit Jeanne en jetant un coup d'œil d'intelligence à son mari, laissez-moi vous marier; cela donnera d'abord la tranquillité à bon nombre de maris jaloux que je connais, et puis ensuite je promets de vous faire rencontrer ce bonheur dont vous niez l'existence.

– Je ne nie pas que le bonheur existe, madame, dit Bussy a ce un soupir; je nie seulement que ce bonheur soit fait pour moi.

– Voulez-vous que je vous marie? répéta madame de Saint-Luc.

– Si vous me mariez à votre goût, non; si vous me mariez à mon goût, oui.

– Vous dites cela comme un homme décidé à rester célibataire.

– Peut-être.

– Mais vous êtes donc amoureux d'une femme que vous ne pouvez épouser?

– Comte, par grâce, dit Bussy, priez donc madame de Saint-Luc de ne pas m'enfoncer mille poignards dans le cœur.

– Ah çà, prenez garde, Bussy, vous allez me faire accroire que c'est de ma femme que vous êtes amoureux.

– Dans ce cas, vous conviendriez au moins que je suis un amant plein de délicatesse, et que les maris auraient bien tort d'être jaloux de moi.

– Ah! c'est vrai, dit Saint-Luc, se rappelant que c'était Bussy qui lui avait amené sa femme au Louvre. Mais, n'importe, avouez que vous avez le cœur pris quelque part.

– Je l'avoue, dit Bussy.

– Par un amour, ou par un caprice? demanda Jeanne.

– Par une passion, madame.

– Je vous guérirai.

– Je ne crois pas.

– Je vous marierai.

– J'en doute.

– Et je vous rendrai aussi heureux que vous méritez de l'être.

– Hélas! madame, mon seul bonheur maintenant est d'être malheureux.

– Je suis très opiniâtre, je vous en avertis, dit Jeanne.

– Et moi donc! dit Bussy.

– Comte, vous céderez.

– Tenez, madame, dit le jeune homme, voyageons comme de bons amis. Sortons d'abord de cette sablonnière, s'il vous plaît, puis nous gagnerons pour la couchée ce charmant petit village qui reluit là-bas au soleil.

– Celui-là ou quelque autre.

– Peu m'importe, je n'ai point de préférence.

– Vous nous accompagnez alors?

– Jusqu'à l'endroit où je vais, à moins que vous n'y voyiez quelque inconvénient.

– Aucun, au contraire. Mais faites mieux, venez où nous allons.

– Et où allez-vous?

– Au château de Méridor.

Le sang monta au visage de Bussy et reflua vers son cœur. Il devint même si pâle, que c'en était fait de son secret, si, en ce moment même, Jeanne n'eût regardé son mari en souriant.

Bussy eut donc le temps de se remettre, tandis que les deux époux, ou plutôt les deux amants, se parlaient des yeux, et de rendre malice pour malice à la jeune femme; seulement sa malice à lui, c'était un profond silence sur ses intentions.