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– Et monsieur, dit-il, est votre frère, le frère de votre mari, un de vos parents?

– Non, cher baron, monsieur n'est point notre parent, mais notre ami: M. Louis de Clermont, comte de Bussy d'Amboise, gentilhomme de M. le duc d'Anjou.

À ces mots, le vieillard, se redressant comme par un ressort, lança un regard terrible sur Bussy, et, comme épuisé par cette provocation muette, retomba sur son fauteuil en poussant un gémissement.

– Quoi donc? demanda Jeanne.

– Le baron vous connaît-il, seigneur de Bussy? demanda Saint-Luc.

– C'est la première fois que j'ai l'honneur de voir M. le baron de Méridor, dit tranquillement Bussy, qui seul avait compris l'effet que le nom de M. le duc d'Anjou avait produit sur le vieillard.

– Ah! vous êtes gentilhomme de M. le duc d'Anjou, dit le baron, vous êtes gentilhomme de ce monstre, de ce démon, et vous osez l'avouer! et vous avez l'audace de vous présenter chez moi!

– Est-il fou? demanda tout bas Saint-Luc à sa femme, en regardant le baron avec des yeux étonnés.

– La douleur lui aura dérangé l'esprit, répondit Jeanne avec effroi.

M. de Méridor avait accompagné les paroles qu'il venait de prononcer, et qui faisaient douter à Jeanne qu'il eût toute sa raison, d'un regard plus menaçant encore que le premier; mais Bussy, toujours impassible, soutint ce regard dans l'attitude d'un profond respect et ne répliqua point.

– Oui, de ce monstre, reprit M. de Méridor, dont la tète semblait s'égarer de plus en plus, de cet assassin qui m'a tué ma fille?

– Pauvre seigneur! murmura Bussy.

– Mais que dit-il donc là? demanda Jeanne, interrogeant à son tour.

– Vous ne savez donc pas, vous qui me regardez avec des yeux effarés, s'écria M. de Méridor en prenant les mains de Jeanne et celles de Saint-Luc et en les réunissant entre les siennes, mais le duc d'Anjou m'a tué ma Diane; le duc d'Anjou! mon enfant, ma fille, il me l'a tuée!

Et le vieillard prononça ces dernières paroles avec un tel accent de douleur, que les larmes en vinrent aux yeux de Bussy lui-même.

– Seigneur, dit la jeune femme, cela fût-il, et je ne comprends point comment cela peut être, vous ne pouvez accuser de cet affreux malheur M. de Bussy, le plus loyal, le plus généreux gentilhomme qui soit. Mais voyez donc, mon bon père, M. de Bussy ne sait rien de ce que vous dites, M. de Bussy pleure comme nous et avec nous. Serait-il donc venu, s'il eût pu se douter de l'accueil que vous lui réserviez! Ah! cher seigneur Augustin, au nom de votre bien-aimée Diane, dites-nous comment cette catastrophe est arrivée.

– Alors, vous ne saviez pas…? dit le vieillard, s'adressant à Bussy.

Bussy s'inclina sans répondre.

– Eh! mon Dieu, non, dit Jeanne, tout le monde ignorait cet événement.

– Ma Diane est morte, et sa meilleure amie ignorait sa mort! Oh! c'est vrai, je n'en ai écrit, je n'en ai parlé à personne; il me semblait que le monde ne pouvait vivre du moment où Diane ne vivait plus; il me semblait que l'univers entier devait porter le deuil de Diane.

– Parlez, parlez; cela vous soulagera, dit Jeanne.

– Eh bien, dit le baron en poussant un sanglot, ce prince infâme, le déshonneur de la noblesse de France, a vu ma Diane, et, la trouvant si belle, l'a fait enlever et conduire au château de Beaugé pour la déshonorer comme il eût fait de la fille d'un serf. Mais Diane, ma Diane sainte et noble, a choisi la mort. Elle s'est précipitée d'une fenêtre dans le lac, et l'on n'a plus retrouvé que son voile flottant à la surface de l'eau.

Et le vieillard ne put articuler cette dernière phrase sans des larmes et des sanglots qui faisaient de cette scène un des plus lugubres spectacles que Bussy eût vus jusque-là, Bussy, l'homme de guerre, habitué à verser et à voir verser le sang.

Jeanne, presque évanouie, regardait, elle aussi, le comte avec une espèce de terreur.

– Oh! comte, s'écria Saint-Luc, c'est affreux, n'est-ce pas? Comte, il vous faut abandonner ce prince infâme; comte, un noble cœur comme le vôtre ne peut rester l'ami d'un ravisseur et d'un assassin.

Le vieillard, un peu réconforté par ces paroles, attendait la réponse de Bussy pour fixer son opinion sur le gentilhomme; les paroles sympathiques de Saint-Luc le consolaient. Dans les grandes crises morales, les faiblesses physiques sont grandes, et ce n'est point un des moindres adoucissements à la douleur de l'enfant mordu par un chien favori que de voir battre ce chien qui l'a mordu.

Mais Bussy, au lieu de répondre à l'apostrophe de Saint-Luc, fit un pas vers M. de Méridor.

– Monsieur le baron, dit-il, voulez-vous m'accorder l'honneur d'un entretien particulier?

– Écoutez M. de Bussy, cher seigneur! dit Jeanne, vous verrez qu'il est bon et qu'il sait rendre service.

– Parlez, monsieur, dit le baron en tremblant, car il pressentait quelque chose d'étrange dans le regard du jeune homme.

Bussy se tourna vers Saint-Luc et sa femme, et leur adressant un regard plein de noblesse et d'amitié:

– Vous permettez, dit-il.

Les deux jeunes gens sortirent de la salle, appuyés l'un sur l'autre et doublement heureux de leur bonheur près de cette immense infortune.

Alors, quand la porte se fut refermée derrière eux, Bussy s'approcha du baron et le salua profondément.

– Monsieur le baron, dit Bussy, vous venez, en ma présence, d'accuser un prince que je sers, et vous l'avez accusé avec une violence qui me force à vous demander une explication.

Le vieillard fit un mouvement.

– Oh! ne vous méprenez point au sens tout respectueux de mes paroles; c'est avec la plus profonde sympathie que je vous parle, c'est avec le plus vif désir d'adoucir votre chagrin que je vous dis: Monsieur le baron, faites-moi, dans ses détails, le récit de la catastrophe douloureuse que vous racontiez tout à l'heure à M. de Saint-Luc et à sa femme. Voyons, tout s'est-il bien accompli comme vous le croyez, et tout est-il bien perdu?

– Monsieur, dit le vieillard, j'ai eu un moment d'espoir. Un noble et loyal gentilhomme, M. de Monsoreau, a aimé ma pauvre fille et s'est intéressé à elle.

– M. de Monsoreau! eh bien, demanda Bussy, voyons, quelle a été sa conduite dans tout ceci?

– Ah! sa conduite fut loyale et digne, car Diane avait refusé sa main. Cependant ce fut lui qui le premier m'avertit des infâmes projets du duc. Ce fut lui qui m'indiqua le moyen de les faire échouer; il ne demandait qu'une chose pour sauver ma fille, et cela encore prouvait toute la noblesse et toute la droiture de son âme; il demandait, s'il parvenait à l'arracher des mains du duc, que je la lui donnasse en mariage, afin que, hélas! ma fille n'en sera pas moins perdue, lui, jeune, actif et entreprenant, pût la défendre contre un puissant prince, ce que son pauvre père ne pouvait entreprendre. Je donnai mon consentement avec joie; mais, hélas! ce fut inutile: il arriva trop tard, et ne trouva ma pauvre Diane sauvée du déshonneur que par la mort.