Выбрать главу

Bussy savait que le duc était seul avec le grand veneur, et que, si leur conversation avait suivi son cours ordinaire, elle ne devrait être rien moins que joyeuse en ce moment.

Cette placidité le fit frissonner.

Bientôt les voix se rapprochèrent, la portière se souleva. Monsoreau sortit à reculons et en saluant. Le duc le reconduisit jusqu'à la limite de sa chambre, en disant:

– Adieu! notre ami. C'est chose convenue.

– Notre ami, murmura Bussy, sangdieu! que signifie cela?

– Ainsi, monseigneur, dit Monsoreau toujours tourné vers le prince, c'est bien l'avis de Votre Altesse; le meilleur moyen à présent, c'est la publicité.

– Oui, oui, dit le duc, ce sont jeux d'enfants que tous ces mystères.

– Alors, dit le grand veneur, dès ce soir je la présenterai au roi.

– Marchez sans crainte, j'aurai tout préparé.

Le duc se pencha vers le grand veneur et lui dit quelques mots à l'oreille.

– C'est fait, monseigneur, répondit celui-ci.

Monsoreau salua une dernière fois le duc, qui, sans voir Bussy, caché qu'il était par les plis d'une portière à laquelle il se cramponnait pour ne pas tomber, examinait les assistants.

– Messieurs, dit Monsoreau se retournant vers les gentilshommes qui attendaient leur tour d'audience, et qui s'inclinaient déjà devant une faveur à l'éclat de laquelle semblait pâlir celle de Bussy; messieurs, permettez que je vous annonce une nouvelle: monseigneur me permet que je rende public mon mariage avec mademoiselle Diane de Méridor, ma femme depuis plus d'un mois, et que, sous ses auspices, je la présente ce soir à la cour.

Bussy chancela; quoique le coup ne fût déjà plus inattendu, il était si violent, qu'il pensa en être écrasé.

Ce fut alors qu'il avança la tête, et que le duc et lui, tous deux pâles de sentiments bien opposés, échangèrent un regard de mépris de la part de Bussy, de terreur de la part du duc d'Anjou.

Monsoreau traversa le groupe des gentilshommes, au milieu des compliments et des félicitations.

Quant à Bussy, il fit un mouvement pour aller au duc; mais celui-ci vit ce mouvement, et le prévint en laissant retomber la portière; en même temps, derrière la portière, la porte se referma, et l'on entendit le grincement de la clef dans la serrure.

Bussy sentit alors son sang affluer chaud et tumultueux à ses tempes et à son cœur. Sa main, rencontrant la dague pendue à son ceinturon, la tira machinalement à moitié du fourreau; car, chez cet homme, les passions prenaient un premier élan irrésistible; mais l'amour, qui l'avait poussé à cette violence, paralysa toute sa fougue; une douleur amère, profonde, lancinante, étouffa la colère: au lieu de se gonfler, le cœur éclata.

Dans ce paroxysme de deux passions qui luttaient ensemble, l'énergie du jeune homme succomba, comme tombent ensemble, pour s'être choquées au plus fort de leur ascension, deux vagues courroucées qui semblaient vouloir escalader le ciel.

Bussy comprit que, s'il restait là, il allait donner le spectacle de sa douleur insensée; il suivit le corridor, gagna l'escalier secret, descendit par une poterne dans la cour du Louvre, sauta sur son cheval et prit au galop le chemin de la rue Saint-Antoine.

Le baron et Diane attendaient la réponse promise par Bussy; ils virent le jeune homme apparaître, pâle, le visage bouleversé et les yeux sanglants.

– Madame, s'écria Bussy, méprisez-moi, haïssez-moi; je croyais être quelque chose dans ce monde, et je ne suis qu'un atome; je croyais pouvoir quelque chose, et je ne peux pas même m'arracher le cœur. Madame, vous êtes bien la femme de M. de Monsoreau, et sa femme légitime reconnue à cette heure, et qui doit être présentée ce soir. Mais je suis un pauvre fou, un misérable insensé, ou plutôt, ou plutôt, oui, comme vous le disiez, monsieur le baron, c'est M. le duc d'Anjou qui est un lâche et un infâme.

Et, laissant le père et la fille épouvantés, fou de douleur, ivre de rage, Bussy sortit de la chambre, se précipita par les montées, sauta sur son cheval, lui enfonça ses deux éperons dans le ventre, et, sans savoir où il allait, lâchant les rênes, ne s'occupant que d'étreindre son cœur grondant sous sa main crispée, il partit, semant sur son passage le vertige et la terreur.

X Ce qui s'était passé entre monseigneur le duc d'Anjou et le grand veneur.

Il est temps d'expliquer ce changement subit qui s'était opéré dans les façons du duc d'Anjou à l'égard de Bussy.

Le duc, lorsqu'il reçut M. de Monsoreau, après les exhortations de son gentilhomme, était monté sur le ton le plus favorable aux projets de ce dernier. Sa bile, facile à s'irriter, débordait d'un cœur ulcéré par les deux passions dominantes dans ce cœur: l'amour-propre du duc avait reçu sa blessure; la peur d'un éclat, dont menaçait Bussy, au nom de M. de Méridor, fouettait plus douloureusement encore la colère de François.

En effet, deux sentiments de cette nature produisent, en se combinant, d'épouvantables explosions, quand le cœur qui les renferme, pareil à ces bombes saturées de poudre, est assez solidement construit, assez hermétiquement clos pour que la compression double l'éclat.

M. d'Alençon reçut donc le grand veneur avec un de ces visages sévères qui faisaient trembler à la cour les plus intrépides, car on savait les ressources de François en matière de vengeance.

– Votre Altesse m'a mandé? dit Monsoreau fort calme et avec un regard aux tapisseries; car il devinait, cet homme habitué à manier l'âme du prince, tout le feu qui couvait sous ces froideurs apparentes, et l'on eût dit, pour transporter la figure de l'être vivant aux objets inanimés, qu'il demandait compte à l'appartement des projets au maître.

– Ne craignez rien, monsieur, dit le duc qui avait compris; il n'y a personne derrière ces tentures; nous pourrons causer librement et surtout franchement.

Monsoreau s'inclina.

– Car vous êtes un bon serviteur, monsieur le grand veneur de France, et vous avez de l'attachement pour ma personne?

– Je le crois, monseigneur.

– Moi, j'en suis sûr, monsieur, c'est vous qui, en mainte occasion, m'avez instruit des complots ourdis contre moi, vous qui avez aidé mes entreprises, oubliant souvent vos intérêts, exposant votre vie.

– Altesse!…

– Je le sais. Dernièrement encore, il faut que je vous le rappelle, car, en vérité, vous avez tant de délicatesse, que jamais chez vous aucune allusion, même indirecte, ne remet en évidence les services rendus. Dernièrement, pour cette malheureuse aventure…

– Quelle aventure, monseigneur?

– Cet enlèvement de mademoiselle de Méridor; pauvre jeune fille!

– Hélas! murmura Monsoreau de façon que la réponse ne fût pas sérieusement applicable au sens des paroles de François.

– Vous la plaignez, n'est-ce pas? dit ce dernier l'appelant sur un terrain sûr.

– Ne la plaindriez-vous pas, Altesse?

– Moi! oh! vous savez si j'ai regretté ce funeste caprice! Et tenez, il a fallu toute l'amitié que j'ai pour vous, toute l'habitude que j'ai de vos bons services, pour me faire oublier que sans vous je n'eusse pas enlevé la jeune fille.

Monsoreau sentit le coup.