Выбрать главу

– Prochain! l'entends-tu? s'écria Henri III.

– Ventre de biche! je le crois bien que j'entends! dit Chicot.

– Ainsi… dit le duc de Guise.

– Ainsi, répéta le duc d'Anjou, j'accepterai, c'est votre avis, n'est-ce pas?

– Comment donc! dit le prince lorrain, je vous en supplie d'accepter, monseigneur.

– Et vous, ce soir?

– Oh! soyez tranquille, depuis ce matin mes hommes sont en campagne, et ce soir Paris sera curieux.

– Que fait-on donc ce soir à Paris? demanda Henri.

– Comment! tu ne devines pas?

– Non.

– Oh! que tu es niais, mon fils! Ce soir on signe la Ligue, publiquement, s'entend, car il y a longtemps qu'on la signe et qu'on la ressigne en cachette; on n'attendait que ton aveu; tu l'as donné ce matin, et l'on signe ce soir, ventre de biche! Tu le vois, Henri, tes accidents, car tu en as deux, toi…- Tes accidents ne perdent pas de temps.

– C'est bien, dit le duc d'Anjou: à ce soir, duc.

– Oui, à ce soir, dit Henri.

– Comment, reprit Chicot, tu t'exposeras à courir les rues de la capitale ce soir, Henri?

– Sans doute.

– Tu as tort, Henri.

– Pourquoi cela?

– Gare les accidents!

– Je serai bien accompagné, sois tranquille; d'ailleurs, viens avec moi.

– Allons donc, tu me prends pour un huguenot, mon fils, non pas. Je suis bon catholique, moi, et je veux signer la Ligue, et cela plutôt dix fois qu'une, plutôt cent fois que dix.

Les voix du duc d'Anjou et du duc de Guise s'éteignirent.

– Encore un mot, dit le roi en arrêtant Chicot, qui tendait à s'éloigner: – Que penses-tu de tout ceci?

– Je pense que chacun des rois vos prédécesseurs ignorait son accident: Henri II n'avait pas prévu l'œil; François II n'avait pas prévu l'oreille; Antoine de Bourbon n'avait pas prévu l'épaule; Jeanne d'Albret n'avait pas prévu le nez; Charles IX n'avait pas prévu la bouche. Vous avez donc un grand avantage sur eux, maître Henri, car, ventre de biche! vous connaissez votre frère, n'est-ce pas, sire?

– Oui, dit Henri, et par la mordieu! avant peu on s'en apercevra.

XV La soirée de la Ligue.

Paris, tel que nous le connaissons, n'a plus dans ses fêtes qu'un bruit plus ou moins grand, qu'une foule plus ou moins considérable; mais c'est toujours le même bruit; c'est toujours la même foule; le Paris d'autrefois avait plus que cela. Le coup d'œil était beau, à travers ces rues étroites, au pied de ces maisons à balcons, à poutrelles et à pignons, dont chacune avait son caractère, de voir les myriades de gens pressés qui se ruaient vers un même point, occupés en chemin de se regarder, de s'admirer, de se huer les uns les autres, à cause de l'étrangeté de celui-ci ou de celui-là. C'est qu'autrefois habits, armes, langage, geste, voix, allure, tout faisait un détail curieux, et ces mille détails assemblés sur un seul point composaient un tout des plus intéressants.

Or voilà ce qu'était Paris, à huit heures du soir, le jour où M. de Guise, après sa visite au roi et sa conversation avec M. le duc d'Anjou, imagina de faire signer la Ligue aux bourgeois de la bonne ville, capitale du royaume.

Une foule de bourgeois vêtus de leurs plus beaux habits, comme pour une fête, ou couverts de leurs plus belles armes, comme pour une revue ou un combat, se dirigeaient vers les églises: la contenance de tous ces hommes mus par un même sentiment, et marchant vers un même but, était à la fois joyeuse et menaçante, surtout lorsqu'ils passaient devant un poste de Suisses ou de chevau-légers. Cette contenance, et notamment les cris, les huées et les bravades qui l'accompagnaient, eussent donné de l'inquiétude à M. de Morvilliers, si ce magistrat n'eût connu ses bons Parisiens, gens railleurs et agaçants, mais incapables de faire du mal les premiers, à moins qu'un méchant ami ne les y pousse, ou qu'un ennemi imprudent ne les provoque.

Ce qui ajoutait encore au bruit que faisait cette foule, et surtout à la variété du coup d'œil qu'elle présentait, c'est que beaucoup de femmes, dédaignant de garder la maison pendant un si grand jour, avaient, de gré ou de force, suivi leurs maris; quelques-unes avaient fait mieux encore: elles avaient amené la kyrielle de leurs enfants; et c'était une chose curieuse à voir que ces marmots attelés aux monstrueux mousquets, aux sabres gigantesques ou aux terribles hallebardes de leurs pères. En effet, dans tous les temps, dans toutes les époques, dans tous les siècles, le gamin de Paris aima toujours à traîner une arme quand il ne pouvait pas encore la porter, ou à l'admirer chez autrui quand il ne peut pas la traîner lui-même.

De temps en temps un groupe, plus animé que les autres, faisait voir le jour aux vieilles épées en les tirant du fourreau: c'était surtout lorsqu'on passait devant quelque logis flairant son huguenot que cette démonstration hostile avait lieu. Alors les enfants criaient à tue-tête: «À la Saint-Barthélemy!… my! my!» tandis que les pères criaient: «Aux fagots les parpaillots! aux fagots! aux fagots!»

Ces cris attiraient d'abord aux croisées quelque figure pâle de vieille servante ou de noir ministre, et causaient ensuite un bruit de verrous à la porte de la rue. Alors le bourgeois, heureux et fier d'avoir, comme le lièvre de la Fontaine, fait peur à plus poltron que soi, continuait son chemin triomphal et colportait en d'autres lieux sa bruyante et inoffensive menace.

Mais c'était rue de l'Arbre-Sec surtout que le rassemblement était le plus considérable. La rue était littéralement interceptée, et la foule se portait, pressée et tumultueuse, vers un falot brillant, suspendu au-dessous d'une enseigne, que bon nombre de nos lecteurs reconnaîtront quand nous leur dirons que cette enseigne représentait un poulet au naturel tournant sur fond d'azur, avec cette légende: À la Belle-Étoile.

Au seuil de ce logis, un homme remarquable par son bonnet de coton carré, selon la mode de l'époque, lequel recouvrait une tête parfaitement chauve, pérorait et argumentait. D'une main ce personnage brandissait une épée nue, et de l'autre il agitait un registre aux feuilles à demi couvertes déjà de signatures, en criant:

– Venez, venez, braves catholiques; entrez à l'hôtellerie de la Belle-Étoile, où vous trouverez bon vin et bon visage; venez, le moment est propice; cette nuit, les bons seront séparés des méchants; demain matin, l'on connaîtra le bon grain et l'on connaîtra l'ivraie; venez, messieurs: vous qui savez écrire, venez et écrivez; vous qui ne savez pas écrire, venez encore et confiez vos noms et vos prénoms, soit à moi maître la Hurière, soit à mon aide M. Croquentin.

En effet, M. Croquentin, jeune drôle du Périgord, vêtu de blanc comme Éliacin, et le corps entouré d'une corde dans laquelle un couteau et une écritoire se disputaient l'espace compris entre la dernière et l'avant-dernière côte, M. Croquentin, disons-nous, écrivait d'avance les noms de ses voisins, et en tête celui de son respectable patron, maître la Hurière.

– Messieurs, c'est pour la messe! criait à tue-tête l'aubergiste de la Belle-Étoile; messieurs, c'est pour la sainte religion!

– Vive la sainte religion, messieurs! vive la messe! Ah!…

Et il étranglait d'émotion et de lassitude, car cet enthousiasme durait depuis quatre heures de l'après-midi.