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Il en résultait que beaucoup de gens, animés du même zèle, signaient sur le registre de maître la Hurière s'ils savaient écrire, et livraient leurs noms à Croquentin s'ils ne le savaient pas.

La chose était d'autant plus flatteuse pour la Hurière, que le voisinage de Saint-Germain-l'Auxerrois lui faisait une terrible concurrence, mais heureusement les fidèles étaient nombreux à cette époque, et les deux établissements, au lieu de se nuire, s'alimentaient: ceux qui n'avaient pas pu pénétrer dans l'église pour aller déposer leurs noms sur le maître-autel où l'on signait tâchaient de se glisser jusqu'aux tréteaux où la Hurière tenait son double secrétariat, et ceux qui avaient échoué au double secrétariat de la Hurière gardaient l'espérance d'être plus heureux à Saint-Germain-l'Auxerrois.

Quand le registre de la Hurière et celui de Croquentin furent pleins tous deux, le maître de la Belle-Étoile en fit incontinent demander deux autres, afin qu'il n'y eût aucune interruption dans les signatures, et les invitations recommencèrent de plus belle de la part de l'hôtelier et de son chef, fier de ce premier résultat, qui devait faire enfin à maître la Hurière, dans l'esprit de M. de Guise, la haute position à laquelle il aspirait depuis si longtemps.

Tandis que les signataires des nouveaux registres se livraient aux élans d'un zèle qui allait sans cesse s'augmentant, et refluaient, comme nous l'avons dit, d'une rue et même d'un quartier à l'autre, on vit arriver, à travers la foule, un homme de haute taille, lequel, se frayant un passage en distribuant bon nombre de bourrades et de coups de pieds, parvint jusqu'au registre de M. Croquentin.

Arrivé là, il prit la plume des mains d'un honnête bourgeois qui venait d'apposer sa signature ornée d'un parafe tremblotant, et traça son nom en lettres d'un demi-pouce sur une page toute blanche qui se trouva noire du coup, et sabrant un héroïque parafe enjolivé d'éclaboussure et tortillé comme le labyrinthe de Dédale, il passa la plume à un aspirant qui faisait queue derrière lui.

– Chicot! lut le futur signataire. Peste, voici un monsieur qui écrit superbement.

Chicot, car c'était lui, qui, n'ayant pas, comme nous l'avons vu, voulu accompagner Henri, courait la Ligue pour son propre compte. Chicot, après avoir fait acte de présence au registre de M. Croquentin, passa aussitôt à celui de maître la Hurière. Celui-ci avait vu la flamboyante signature, et il avait envié pour lui un si glorieux parafe. Chicot fut donc reçu, non pas à bras ouverts, mais à registre ouvert, et, prenant la plume d'un marchand de laine de la rue de Béthisy, il écrivit une seconde fois son nom avec une griffe cent fois plus magnifique encore que la première; après quoi il demanda à la Hurière s'il n'avait pas un troisième registre.

La Hurière n'entendait pas raillerie: c'était un mauvais hôte hors de son auberge. Il regarda Chicot de travers, Chicot le regarda en face. La Hurière murmura le nom de parpaillot; Chicot mâchonna celui de gargotier. La Hurière lâcha son registre pour porter la main à son épée; Chicot déposa la plume pour être à même de tirer la sienne du fourreau; enfin, selon toute probabilité, la scène allait se terminer par quelques estocades dont l'hôtelier de la Belle-Étoile eût, sans aucun doute, été le mauvais marchand, lorsque Chicot se sentit pincé au coude et se retourna.

Celui qui le pinçait, c'était le roi, déguisé en simple bourgeois, et ayant à ses côtés Quélus et Maugiron, déguisés comme lui, et portant, outre leur rapière, chacun une arquebuse sur l'épaule.

– Eh bien! eh bien! dit le roi, qu'y a-t-il? de bons catholiques qui se disputent entre eux! par la mordieu! c'est d'un mauvais exemple.

– Mon gentilhomme, dit Chicot sans faire semblant de reconnaître Henri, prenez-vous-en à qui de droit; voilà un maraud qui braille après les passants pour qu'on signe sur son registre, et, quand on a signé, il braille plus haut encore.

L'attention de la Hurière fut détournée par de nouveaux amateurs, et une bousculade sépara de l'établissement du fanatique hôtelier Chicot, le roi et les mignons, qui se trouvèrent dominer l'assemblée, montés qu'ils étaient sur le seuil d'une porte.

– Quel feu! dit Henri, et qu'il fait bon ce soir pour la religion dans les rues de ma bonne ville!

– Oui, sire; mais il fait mauvais pour les hérétiques, et Votre Majesté sait qu'on la tient pour telle. Regardez à gauche encore, là, bien, que voyez-vous?

– Ah! ah! la large face de M. de Mayenne et le museau pointu du cardinal!

– Chut, sire; on joue à coup sûr quand on sait où sont nos ennemis et que nos ennemis ne savent point où nous sommes.

– Crois-tu donc que j'aie quelque chose à craindre?

– Eh, bon Dieu! dans une foule comme celle-ci, on ne peut répondre de rien. On a un couteau tout ouvert dans sa poche, ce couteau entre ingénument dans le ventre du voisin, sans savoir ce qu'il fait, par ignorance; le voisin pousse un juron et rend l'âme. Tournons d'un autre côté, sire.

– Ai-je été vu?

– Je ne crois pas; mais vous le serez indubitablement si vous restez plus longtemps ici.

– Vive la messe! vive la messe! cria un flot de peuple qui venait des halles et s'engouffrait, comme une marée qui monte, dans la rue de l'Arbre-Sec.

– Vive M. de Guise! vive le cardinal! vive M. de Mayenne! répondit la foule stationnant à la porte de la Hurière, laquelle venait de reconnaître les deux princes lorrains.

– Oh! oh! quels sont ces cris? dit Henri III en fronçant le sourcil.

– Ce sont des cris qui prouvent que chacun est bien à sa place et devrait y rester: M. de Guise dans les rues et vous au Louvre; allez au Louvre, sire, allez au Louvre.

– Viens-tu avec nous?

– Moi? oh! non pas! tu n'as pas besoin de moi, mon fils, tu as tes gardes du corps ordinaires. En avant, Quélus! en avant, Maugiron! Moi, je veux voir le spectacle jusqu'au bout. Je le trouve curieux, sinon amusant.

– Où vas-tu?

– Je vais mettre mon nom sur les autres registres. Je veux que demain il y ait mille autographes de moi qui courent les rues de Paris. Nous voilà sur le quai, bonsoir, mon fils; tire à droite, je tirerai à gauche; chacun son chemin; je cours à Saint-Merry entendre un fameux prédicateur.

– Oh! oh! qu'est-ce encore que ce bruit? dit tout à coup le roi, et pourquoi court-on ainsi du côté du pont Neuf?

Chicot se haussa sur la pointe des pieds, mais il ne put rien voir qu'une masse de peuple criant, hurlant, se bousculant, et qui paraissait porter quelqu'un ou quelque chose en triomphe.

Tout à coup les ondes du populaire s'ouvrirent au moment où le quai, en s'élargissant en face de la rue des Lavandières, permit à la foule de se répandre à droite et à gauche, et, comme le monstre apporté par le flot jusqu'aux pieds d'Hippolyte, un homme, qui semblait être le personnage principal de cette scène burlesque, fut poussé par ces vagues humaines jusqu'aux pieds du roi.

Cet homme était un moine monté sur un âne; le moine parlait et gesticulait.

L'âne brayait.

– Ventre de biche! dit Chicot, sitôt qu'il eut distingué l'homme et l'animal qui venaient d'entrer en scène l'un portant l'autre: je te parlais d'un fameux prédicateur qui prêchait à Saint-Merry; il n'est plus nécessaire d'aller si loin; écoute un peu celui-là.

– Un prédicateur à âne? dit Quélus.

– Pourquoi pas? mon fils.