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Au coin de la rue de la Ferronnerie, les deux hommes s'arrêtèrent de nouveau pour jeter un dernier regard autour d'eux.

Pendant ce temps, Chicot avait continué de gagner du terrain et était arrivé, lui, au milieu de la rue.

Au milieu de la rue, et en face d'une maison qui semblait prête à tomber en ruines, tant elle était vieille, stationnait une litière attelée de deux chevaux massifs. Chicot jeta un coup d'œil autour de lui, vit le conducteur endormi sur le devant, une femme paraissant inquiète et collant son visage à la jalousie; une illumination lui vint que la litière attendait les deux hommes; il tourna derrière elle, et, protégé par son ombre combinée avec celle de la maison, il se glissa sous un large banc de pierre, lequel servait d'étalage aux marchands de légumes qui, deux fois par semaine, faisaient, à cette époque, un marché rue de la Ferronnerie.

À peine y était-il blotti, qu'il vit apparaître les deux hommes à la tête des chevaux, où de nouveau ils s'arrêtèrent inquiets; un d'eux alors réveilla le cocher, et, comme il avait le sommeil dur, celui-là laissa échapper un cap dé diou des mieux accentués, tandis que l'autre, plus impatient encore, lui piquait le derrière avec la pointe de son poignard.

– Oh! oh! dit Chicot, je ne m'étais donc pas trompé: c'étaient des compatriotes; cela ne m'étonne plus qu'ils aient si bien étrillé Gorenflot parce qu'il disait du mal des Gascons.

La jeune femme, reconnaissant à son tour les deux hommes pour ceux qu'elle attendait, se pencha rapidement hors de la portière de la lourde machine. Chicot alors l'aperçut plus distinctement: elle pouvait avoir de vingt à vingt-deux ans; elle était fort belle et fort pâle; et, s'il eût fait jour, à la moite vapeur qui humectait ses cheveux d'un blond doré et ses yeux cerclés de noir, à ses mains d'un blanc mat, à l'attitude languissante de tout son corps, on eût pu reconnaître qu'elle était en proie à un état de maladie dont ses fréquentes défaillances et l'arrondissement de sa taille eussent bien vite donné le secret.

Mais de tout cela Chicot ne vit que trois choses: c'est qu'elle était jeune, pâle et blonde.

Les deux hommes s'approchèrent de la litière, et se trouvèrent naturellement placés entre elle et le banc sous lequel Chicot s'était tapi.

Le plus grand des deux prit à deux mains la main blanche que la dame lui tendait par l'ouverture de la litière, et, posant le pied sur le marchepied et les deux bras sur la portière:

– Eh bien! ma mie, demanda-t-il à la dame, mon petit cœur, mon mignon, comment allons-nous?

La dame répondit en secouant la tête avec un triste sourire et en montrant son flacon de sels.

– Encore des faiblesses, ventre-saint-gris! Que je vous en voudrais d'être malade ainsi, mon cher amour, si je n'avais pas votre douce maladie à me reprocher!

– Et pourquoi diable aussi emmenez-vous madame à Paris? dit l'autre homme assez rudement: c'est une malédiction, par ma foi, qu'il faut que vous ayez toujours ainsi quelque jupe cousue à votre pourpoint.

– Eh! cher Agrippa, dit celui des deux hommes qui avait parlé le premier, et qui paraissait le mari ou l'amant de la dame, c'est une si grande douleur que de se séparer de ce qu'on aime!

Et il échangea avec la dame un regard plein d'amoureuse langueur.

– Cordioux! vous me damnez, sur mon âme, quand je vous entends parler, reprit l'aigre compagnon; êtes-vous donc venu à Paris pour faire l'amour, beau vert-galant? Il me semble cependant que le Béarn est assez grand pour vos promenades sentimentales, sans pousser ces promenades jusqu'à la Babylone où vous avez failli vingt fois nous faire éreinter ce soir. Retournez là-bas, si vous voulez mugueter aux rideaux des litières; mais ici, mordioux! ne faites d'autres intrigues que des intrigues politiques, mon maître.

Chicot, à ce mot de maître, eût bien voulu lever la tête; mais il ne pouvait guère, sans être vu, risquer un pareil mouvement.

– Laissez-le gronder, ma mie, et ne vous inquiétez point de ce qu'il dit. Je crois qu'il tomberait malade comme vous, et qu'il aurait, comme vous, des vapeurs et des défaillances s'il ne grondait plus.

– Mais au moins, ventre-saint-gris, comme vous dites, s'écria le marronneur, montez dans la litière, si vous voulez dire des tendresses à madame, et vous risquerez moins d'être reconnu qu'en vous tenant ainsi dans la rue.

– Tu as raison, Agrippa, dit le Gascon amoureux. Et vous voyez, ma mie, qu'il n'est pas de si mauvais conseil qu'il en a l'air. Là, faites-moi place, mon mignon, si vous permettez toutefois que, ne pouvant me tenir à vos genoux, je m'asseye à vos côtés.

– Non seulement je le permets, sire, répondit la jeune dame, mais je le désire ardemment,

– Sire, murmura Chicot, qui, emporté par un mouvement irréfléchi, voulait lever la tête et se la heurta douloureusement au banc de grès; sire! que dit-elle donc là?

Mais, pendant ce temps, l'amant heureux profitait de la permission donnée, et l'on entendait le plancher du chariot grincer sous un nouveau poids.

Puis le bruit d'un long et tendre baiser succéda au grincement.

– Mordioux! s'écria le compagnon demeuré en dehors de la litière, l'homme est en vérité un bien stupide animal.

– Je veux être pendu si j'y comprends quelque chose, murmura Chicot; mais attendons: tout vient à point pour qui sait attendre.

– Oh! que je suis heureux! continua, sans s'inquiéter le moins du monde des impatiences de son ami, auxquelles d'ailleurs il semblait depuis longtemps habitué, celui qu'on appelait sire; ventre-saint-gris, aujourd'hui est un beau jour. Voici mes bons Parisiens, qui m'exècrent de toute leur âme et qui me tueraient sans miséricorde s'ils savaient où me venir prendre pour cela; voici mes Parisiens qui travaillent de leur mieux à m'aplanir le chemin du trône, et j'ai dans mes bras la femme que j'aime. Où sommes-nous, d'Aubigné? je veux, quand je serai roi, faire élever, à cet endroit même, une statue au génie du Béarnais.

– Du Béarn…

Chicot s'arrêta; il venait de se faire une deuxième bosse juxtaposée à la première.

– Nous sommes dans la rue de la Ferronnerie, sire, et il n'y flaire pas bon, dit d'Aubigné, qui, toujours de mauvaise humeur, s'en prenait aux choses quand il était las de s'en prendre aux hommes.

– Il me semble, continua Henri, car nos lecteurs ont sans doute reconnu déjà le roi de Navarre; il me semble que j'embrasse clairement toute ma vie, que je me vois roi, que je me sens sur le trône, fort et puissant, mais peut-être moins aimé que je ne le suis à cette heure, et que mon regard plonge dans l'avenir jusqu'à l'heure de ma mort. Oh! mes amours, répétez-moi encore que vous m'aimez, car, à votre voix, mon cœur se fond.

Et le Béarnais, dans un sentiment de mélancolie qui parfois l'envahissait, laissa, avec un profond soupir, tomber sa tête sur l'épaule de sa maîtresse.

– Oh! mon Dieu! dit la jeune femme effrayée, vous trouvez-vous mal, sire?

– Bon! il ne manquerait plus que cela, dit d'Aubigné, beau soldat, beau général, beau roi qui s'évanouit.

– Non, ma mie, rassurez-vous, dit Henri, si je m'évanouissais près de vous, ce serait de bonheur.

– En vérité, sire, dit d'Aubigné, je ne sais pas pourquoi vous signez Henri de Navarre, vous devriez signer Ronsard ou Clément Marot. Cordioux! comment donc faites-vous si mauvais ménage avec madame Margot, étant tous deux si tendres à la poésie?