– Madame, dit Bussy, ce n'est point de force… Je ne savais pas que j'y devais voir…
– Voilà une dure parole, monsieur le comte, murmura Diane en secouant la tête et en levant sur Bussy un regard humide. Avez-vous l'intention de me faire comprendre que, si vous eussiez connu le secret de Remy, vous ne l'eussiez point accompagné?
– Oh! madame!
– C'est naturel, c'est juste, monsieur, vous m'avez rendu un service signalé, et je ne vous ai point encore remercié de votre courtoisie. Pardonnez-moi, et agréez toutes mes actions de grâces.
– Madame…
Bussy s'arrêta; il était tellement étourdi, qu'il n'avait à son service ni paroles ni idées.
– Mais j'ai voulu vous prouver, moi, continua Diane en s'animant, que je ne suis pas une femme ingrate ni un cœur sans mémoire. C'est moi qui ai prié M. Remy de me procurer l'honneur de votre entretien; c'est moi qui ai indiqué ce rendez-vous: pardonnez-moi si je vous ai déplu.
Bussy appuya une main sur son cœur.
– Oh! madame, dit-il, vous ne le pensez pas.
Les idées commençaient à revenir à ce pauvre cœur brisé, et il lui semblait que cette douce brise du soir qui lui apportait de si doux parfums et de si tendres paroles lui enlevait en même temps un nuage de dessus les yeux.
– Je sais, continua Diane, qui était la plus forte, parce que depuis longtemps elle était préparée à cette entrevue, je sais combien vous avez eu de mal à faire ma commission. Je connais toute votre délicatesse. Je vous connais et vous apprécie, croyez-le bien. Jugez donc ce que j'ai dû souffrir à l'idée que vous méconnaîtriez les sentiments de mon cœur.
– Madame, dit Bussy, depuis trois jours je suis malade.
– Oui, je le sais, répondit Diane avec une rougeur qui trahissait tout l'intérêt qu'elle prenait à cette maladie, et je souffrais plus que vous, car M. Remy, – il me trompait sans doute, – M. Remy me laissait croire…
– Que votre oubli causait ma souffrance. Oh! c'est vrai.
– Donc, j'ai dû faire ce que je fais, comte, reprit madame de Monsoreau. Je vous vois, je vous remercie de vos soins obligeants, et vous en jure une reconnaissance éternelle… Maintenant croyez que je parle du fond du cœur.
Bussy secoua tristement la tête et ne répondit pas.
– Doutez-vous de mes paroles? reprit Diane.
– Madame, répondit Bussy, les gens qui ont de l'amitié pour quelqu'un témoignent cette amitié comme ils peuvent: vous me saviez au palais le soir de votre présentation à la cour; vous me saviez devant vous, vous deviez sentir mon regard peser sur toute votre personne, et vous n'avez pas seulement levé les yeux sur moi; vous ne m'avez pas fait comprendre, par un mot, par un geste, par un signe, que vous saviez que j'étais là; après cela, j'ai tort, madame; peut-être ne m'avez-vous pas reconnu, vous ne m'aviez vu que deux fois.
Diane répondit par un regard de si triste reproche, que Bussy en fut remué jusqu'au fond des entrailles.
– Pardon, madame, pardon, dit-il; vous n'êtes point une femme comme toutes les autres, et cependant vous agissez comme les femmes vulgaires; ce mariage?
– Ne savez-vous pas comment j'ai été forcée à le conclure?
– Oui, mais il était facile à rompre.
– Impossible, au contraire.
– Mais rien ne vous avertissait donc que, près de vous, veillait un homme dévoué?
Diane baissa les yeux.
– C'était cela surtout qui me faisait peur, dit-elle.
– Et voilà à quelles considérations vous m'avez sacrifié. Oh! songez à ce que m'est la vie depuis que vous appartenez à un autre.
– Monsieur, dit la comtesse avec dignité, une femme ne change point de nom sans qu'il n'en résulte un grand dommage pour son honneur, lorsque deux hommes vivent, qui portent, l'un le nom qu'elle a quitté, l'autre le nom qu'elle a pris.
– Toujours est-il que vous avez gardé le nom de Monsoreau par préférence.
– Le croyez-vous? balbutia Diane. Tant mieux!
Et ses yeux se remplirent de larmes.
Bussy, qui la vit laisser retomber sa tête sur sa poitrine, marcha avec agitation devant elle.
– Enfin, dit Bussy, me voilà redevenu ce que j'étais, madame, c'est-à-dire un étranger pour vous.
– Hélas! fit Diane.
– Votre silence le dit assez.
– Je ne puis parler que par mon silence.
– Votre silence, madame, est la suite de votre accueil du Louvre. Au Louvre, vous ne me voyiez pas; ici vous ne me parlez pas.
– Au Louvre, j'étais en présence de M. de Monsoreau. M. de Monsoreau me regardait, et il est jaloux.
– Jaloux! Eh! que lui faut-il donc, mon Dieu! quel bonheur peut-il envier, quand tout le monde envie son bonheur?
– Je vous dis qu'il est jaloux, monsieur; depuis quelques jours il a vu rôder quelqu'un autour de notre nouvelle demeure.
– Vous avez donc quitté la petite maison de la rue Saint-Antoine?
– Comment! s'écria Diane emportée par un mouvement irréfléchi, cet homme, ce n'était donc pas vous?
– Madame, depuis que votre mariage a été annoncé publiquement, depuis que vous avez été présentée, depuis cette soirée du Louvre, enfin, où vous n'avez pas daigné me regarder, je suis couché; la fièvre me dévore, je me meurs; vous voyez que votre mari ne saurait être jaloux de moi, du moins, puisque ce n'est pas moi qu'il a pu voir autour de votre maison.
– Eh bien, monsieur le comte, s'il est vrai, comme vous me l'avez dit, que vous eussiez quelque désir de me revoir, remerciez cet homme inconnu; car, connaissant M. de Monsoreau comme je le connais, cet homme m'a fait trembler pour vous, et j'ai voulu vous voir pour vous dire: «Ne vous exposez pas ainsi, monsieur le comte, ne me rendez pas plus malheureuse que je ne le suis.»
– Rassurez-vous, madame; je vous le répète, ce n'était pas moi.
– Maintenant, laissez-moi achever tout ce que j'avais à vous dire. Dans la crainte de cet homme, que nous ne connaissons pas, mais que M. de Monsoreau connaît peut-être, dans la crainte de cet homme, il exige que je quitte Paris; de sorte que, ajouta Diane en tendant la main à Bussy, de sorte que, monsieur le comte, vous pouvez regarder cet entretien comme le dernier… Demain je pars pour Méridor.
– Vous partez, madame! s'écria Bussy.
– Il n'est que ce moyen de rassurer M. de Monsoreau, dit Diane; il n'est que ce moyen de retrouver ma tranquillité. D'ailleurs, de mon côté, je déteste Paris; je déteste le monde, la cour, le Louvre. Je suis heureuse de m'isoler avec mes souvenirs de jeune fille; il me semble qu'en repassant par le sentier de mes jeunes années, un peu de mon bonheur d'autrefois retombera sur ma tête comme une douce rosée. Mon père m'accompagne. Je vais retrouver là-bas M. et madame de Saint-Luc, qui regrettent de ne pas m'avoir près d'eux. Adieu, monsieur de Bussy.
Bussy cacha son visage entre ses deux mains.
– Allons, murmura-t-il, tout est fini pour moi.
– Que dites-vous là? s'écria Diane en se levant.
– Je dis, madame, que cet homme qui vous exile, que cet homme qui m'enlève le seul espoir qui me restait, c'est-à-dire celui de respirer le même air que vous, de vous entrevoir derrière une jalousie, de toucher votre robe en passant, d'adorer enfin un être vivant et non pas une ombre, je dis, je dis que cet homme est mon ennemi mortel, et que, dussé-je y périr, je détruirai cet homme de mes mains.