Il venait de déposer sur sa table une lettre que M. de Monsoreau lui avait remise de la part du duc de Guise, lequel lui faisait en même temps recommander de ne pas manquer de se trouver le lendemain au lever du roi.
Le duc d'Anjou n'avait pas besoin d'une pareille recommandation, et s'était bien promis de ne pas se manquer à lui-même à l'heure du triomphe.
Mais sa surprise fut grande quand il vit la porte du couloir secret s'ouvrir, et sa terreur fut au comble lorsqu'il reconnut que c'était sous la main du roi qu'elle s'était ouverte ainsi.
Henri fit signe à ses compagnons de demeurer sur le seuil de la porte, et s'avança vers le lit de François, grave, le sourcil froncé, et sans prononcer une parole.
– Sire, balbutia le duc, l'honneur que me fait Votre Majesté est si imprévu…
– Qu'il vous effraye, n'est-ce pas? dit le roi, je comprends cela; mais non, non, demeurez, mon frère, ne vous levez pas.
– Mais, sire, cependant… permettez, fit le duc tremblant et attirant à lui la lettre du duc de Guise qu'il venait d'achever de lire.
– Vous lisiez? demanda le roi.
– Oui, sire.
– Lecture intéressante, sans doute, puisqu'elle vous tenait éveillé à cette heure avancée de la nuit?
– Oh! sire, répondit le duc avec un sourire glacé, rien de bien important, le petit courrier du soir.
– Oui, fit Henri, je comprends cela, courrier du soir, courrier de Vénus; mais non, je me trompe, on ne cachette point avec des sceaux d'une pareille dimension les billets qu'on fait porter par Iris ou par Mercure.
Le duc cacha tout à fait la lettre.
– Il est discret, ce cher François, dit le roi avec un rire qui ressemblait trop à un grincement de dents pour que son frère n'en fût pas effrayé.
Cependant il fit un effort et essaya de reprendre quelque assurance.
– Votre Majesté veut-elle me dire quelque chose en particulier? demanda le duc à qui un mouvement des quatre gentilshommes demeurés à la porte venaient de révéler qu'ils écoutaient et se réjouissaient du commencement de la scène.
– Ce que j'ai de particulier à vous dire, monsieur, dit le roi en appuyant sur ce mot, qui était celui que le cérémonial de France accorde aux frères des rois, vous trouverez bon que pour aujourd'hui je vous le dise devant témoins. Çà, messieurs, continua-t-il en se retournant vers les quatre jeunes gens, écoutez bien, le roi vous le permet.
Le duc releva la tête.
– Sire, dit-il avec ce regard haineux et plein de venin que l'homme a emprunté au serpent, avant d'insulter un homme de mon rang, vous eussiez dû me refuser l'hospitalité du Louvre; dans l'hôtel d'Anjou, au moins, j'eusse été maître de vous répondre.
– En vérité, dit Henri avec une ironie terrible, vous oubliez donc que partout où vous êtes vous êtes mon sujet, et que mes sujets sont chez moi partout où ils sont; car, Dieu merci, je suis le roi!… le roi du sol!…
– Sire, s'écria François, je suis au Louvre… chez ma mère.
– Et votre mère est chez moi, répondit Henri. Voyons, abrégeons, monsieur: donnez-moi ce papier.
– Lequel?
– Celui que vous lisiez, parbleu! celui qui était tout ouvert sur votre table de nuit et que vous avez caché quand vous m'avez vu.
– Sire, réfléchissez! dit le duc.
– À quoi? demanda le roi.
– À ceci: que vous faites une demande indigne d'un bon gentilhomme, mais, en revanche, digne d'un officier de votre police.
Le roi devint livide.
– Cette lettre, monsieur! dit-il.
– Une lettre de femme, sire, réfléchissez, dit François.
– Il y a des lettres de femmes fort bonnes à voir, fort dangereuses à ne pas être vues, témoin celles qu'écrit notre mère.
– Mon frère! dit François.
– Cette lettre, monsieur! s'écria le roi en frappant du pied, ou je vous la fais arracher par quatre Suisses!
Le duc bondit hors de son lit, en tenant la lettre froissée dans ses mains, et avec l'intention manifeste de gagner la cheminée, afin de la jeter dans le feu.
– Vous feriez cela, dit-il, à votre frère?
Henri devina son intention et se plaça entre lui et la cheminée.
– Non pas à mon frère, dit-il, mais à mon plus mortel ennemi! Non pas à mon frère, mais au duc d'Anjou, qui a couru toute la soirée les rues de Paris à la queue du cheval de M. de Guise! à mon frère, qui essaye de me cacher quelque lettre de l'un ou de l'autre de ses complices, MM. les princes lorrains.
– Pour cette fois, dit le duc, votre police est mal faite.
– Je vous dis que j'ai vu sur le cachet ces trois fameuses merlettes de Lorraine, qui ont la prétention d'avaler les fleurs de lis de France. Donnez donc, mordieu! donnez, ou…
Henri fit un pas vers le duc et lui posa la main sur l'épaule.
François n'eut pas plutôt senti s'appesantir sur lui la main royale, il n'eut pas plutôt d'un regard oblique considéré l'attitude menaçante des quatre mignons, lesquels commençaient à dégainer, que, tombant à genoux, à demi renversé contre son lit, il s'écria:
– À moi! au secours! à l'aide! mon frère veut me tuer.
Ces paroles, empreintes d'un accent de profonde terreur que leur donnait la conviction, firent impression sur le roi et éteignirent sa colère, par cela même qu'elles la supposaient plus grande qu'elle n'était. Il pensa qu'en effet François pouvait craindre un assassinat, et que ce meurtre eût été un fratricide. Alors il lui passa comme un vertige, à l'idée que sa famille, famille maudite comme toutes celles dans lesquelles doit s'éteindre une race, il lui passa un vertige en songeant que, dans sa famille, les frères assassinaient les frères par tradition.
– Non, dit-il, vous vous trompez, mon frère, et le roi ne vous veut aucun mal du genre de celui que vous redoutez; du moins vous avez lutté, avouez-vous vaincu. Vous savez que le roi est le maître, ou si vous l'ignoriez, vous le savez maintenant. Eh bien, dites-le, non seulement tout bas, mais encore tout haut.
– Oh! je le dis, mon frère, je le proclame, s'écria le duc.
– Fort bien. Cette lettre, alors… car le roi vous ordonne de lui rendre cette lettre.
Le duc d'Anjou laissa tomber le papier.
Le roi le ramassa, et, sans le lire, le plia et l'enferma dans son aumônière.
– Est-ce tout, sire? dit le duc avec son regard louche.
– Non, monsieur, dit Henri, il vous faudra encore pour cette rébellion, qui heureusement n'a point eu de fâcheux résultats, il vous faudra, si vous le voulez bien, garder la chambre jusqu'à ce que mes soupçons à votre égard aient été complètement dissipés. Vous êtes ici, l'appartement vous est familier, commode, et n'a pas trop l'air d'une prison; restez-y. Vous aurez bonne compagnie, du moins de l'autre côté de la porte, car, pour cette nuit, ces quatre messieurs vous garderont; demain matin ils seront relevés par un poste de Suisses.