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– Mon protégé?

– Oui, le baron de Méridor.

– Ah! dit Bussy en changeant de couleur.

– Et, cependant, il ne faudrait pas le négliger, quoiqu'il me néglige. Le baron est influent dans la province.

– Vous croyez?

– J'en suis sûr. C'était lui le correspondant de la Ligue à Angers; il avait été choisi par M. de Guise, et, en général, MM. de Guise choisissent bien leurs hommes: il faut qu'il vienne, Bussy.

– Mais, s'il ne vient pas, cependant, monseigneur?

– S'il ne vient pas à moi, je ferai les avances, et c'est moi qui irai à lui.

– À Méridor?

– Pourquoi pas?

Bussy ne put retenir l'éclair jaloux et dévorant qui jaillit de ses yeux.

– Au fait, dit-il, pourquoi pas? vous êtes prince, tout vous est permis.

– Ah çà! tu crois donc qu'il m'en veut toujours?

– Je ne sais. Comment le saurais-je, moi?

– Tu ne l'as pas vu?

– Non.

– Agissant près des grands de la province, tu aurais cependant pu avoir affaire à lui.

– Je n'y eusse pas manqué, s'il n'avait pas eu lui-même affaire à moi.

– Eh bien?

– Eh bien! dit Bussy, je n'ai pas été assez heureux dans les promesses que je lui avais faites, pour avoir grande hâte de me présenter devant lui.

– N'a-t-il pas ce qu'il désirait?

– Comment cela?

– Il voulait que sa fille épousât le comte, et le comte l'a épousée.

– Bien, monseigneur, n'en parlons plus, dit Bussy; et il tourna le dos au prince.

En ce moment, de nouveaux gentilshommes entrèrent; le duc alla à eux, Bussy resta seul.

Les paroles du prince lui avaient fort donné à penser.

Quelles pouvaient être les idées réelles du prince à l'égard du baron de Méridor?

Étaient-elles telles que le prince les avait exprimées? Ne voyait-il dans le vieux seigneur qu'un moyen de renforcer sa cause de l'appui d'un homme estimé et puissant?

Ou bien ses projets politiques n'étaient-ils qu'un moyen de se rapprocher de Diane?

Bussy examina la position du prince telle qu'elle était: il le vit brouillé avec son frère, exilé du Louvre, chef d'une insurrection en province. Il jeta dans la balance les intérêts matériels du prince et ses fantaisies amoureuses. Ce dernier intérêt était bien léger, comparé aux autres. Bussy était disposé à pardonner au duc tous ses autres torts, s'il voulait bien ne pas avoir celui-là.

Il passa toute la nuit à banqueter avec Son Altesse royale et les gentilshommes angevins, et à faire la révérence aux dames angevines; puis, comme on avait fait venir les violons, à leur apprendre les danses les plus nouvelles.

Il va sans dire qu'il fit l'admiration des femmes et le désespoir des maris, et, comme quelques-uns de ces derniers le regardaient autrement qu'il ne plaisait à Bussy d'être regardé, il retroussa huit ou dix fois sa moustache, et demanda à trois ou quatre de ces messieurs s'ils ne lui accorderaient pas la faveur d'une promenade au clair de la lune, dans le boulingrin.

Mais sa réputation l'avait précédé à Angers, et Bussy en fut quitte pour ses avances.

À la porte du palais ducal, Bussy trouva une figure franche, loyale et rieuse, qu'il croyait à quatre-vingts lieues de lui.

– Ah! dit-il avec un vif sentiment de joie, c'est toi, Remy!

– Eh! mon Dieu oui, monseigneur.

– J'allais t'écrire de venir me rejoindre.

– En vérité?

– Parole d'honneur!

– En ce cas, cela tombe à merveille: je craignais que vous ne me grondassiez.

– Et de quoi?

– De ce que j'étais venu sans permission. Mais, ma foi! j'ai entendu dire que monseigneur le duc d'Anjou s'était évadé du Louvre, et qu'il était parti pour sa province. Je me suis rappelé que vous étiez dans les environs d'Angers, j'ai pensé qu'il y aurait guerre civile et force estocades données et rendues, bon nombre de trous faits à la peau de mon prochain; et, attendu que j'aime mon prochain comme moi-même et même plus que moi-même, je suis accouru.

– Tu as bien fait, Remy; d'honneur, tu me manquais.

– Comment va Gertrude, monseigneur?

Le gentilhomme sourit.

– Je te promets de m'en informer à Diane, la première fois que je la verrai, dit-il.

– Et moi, en revanche, soyez tranquille, la première fois que je la verrai, dit-il, de mon côté, je lui demanderai des nouvelles de madame de Monsoreau.

– Tu es un charmant compagnon, et comment m'as-tu trouvé?

– Parbleu, belle difficulté! j'ai demandé où était l'hôtel ducal, et je vous ai attendu à la porte, après avoir été conduire mon cheval dans les écuries du prince, où, Dieu me pardonne, j'ai reconnu le vôtre.

– Oui, le prince avait tué le sien, je lui ai prêté Roland, et, comme il n'en avait pas d'autre, il l'a gardé.

– Je vous reconnais bien là, c'est vous qui êtes prince, et le prince qui est le serviteur.

– Ne te presse pas de me mettre si haut, Remy, tu vas voir comment monseigneur est logé.

Et, en disant cela, il introduisit le Haudoin dans sa petite maison du rempart.

– Ma foi! dit Bussy, tu vois le palais; loge-toi où tu voudras et comme tu pourras.

– Cela ne sera point difficile, et il ne me faut pas grand'place, comme vous savez; d'ailleurs, je dormirai debout, s'il le faut. Je suis assez fatigué pour cela.

Les deux amis, car Bussy traitait le Haudoin plutôt en ami qu'en serviteur, se séparèrent, et Bussy, le cœur doublement content de se retrouver entre Diane et Remy, dormit tout d'une traite.

Il est vrai que, pour dormir à son aise, le duc, de son côté, avait fait prier qu'on ne tirât plus le canon, et que les mousquetades cessassent; quant aux cloches, elles s'étaient endormies toutes seules, grâce aux ampoules des sonneurs.

Bussy se leva de bonne heure, et courut au château en ordonnant qu'on prévint Remy de l'y venir rejoindre: il tenait à guetter les premiers bâillements du réveil de Son Altesse, afin de surprendre, s'il était possible, sa pensée dans la grimace, ordinairement très significative, du dormeur qu'on éveille.

Le duc se réveilla, mais on eût dit que, comme son frère Henri, il mettait un masque pour dormir. Bussy en fut pour ses frais de matinalité.

Il tenait tout prêt un catalogue de choses toutes plus importantes les unes que les autres.

D'abord une promenade extra-muros pour reconnaître les fortifications de la place.

Une revue des habitants et de leurs armes.

Visite à l'arsenal et commande de munitions de toutes espèces.

Examen minutieux des tailles de la province, à l'effet de procurer aux bons et fidèles vassaux du prince un petit supplément d'impôt destiné à l'ornement intérieur des coffres.

Enfin, correspondance.

Mais Bussy savait d'avance qu'il ne devait pas énormément compter sur ce dernier article; le duc d'Anjou écrivait peu; dès cette époque, il pratiquait le proverbe: Les écrits restent.

Ainsi muni contre les mauvaises pensées qui pouvaient venir au duc, le comte vit ses yeux s'ouvrir, mais, comme nous l'avons dit, sans pouvoir rien lire dans ces yeux.