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Bussy était arrivé à ce qu'aucune de ces reconnaissances n'eût été poussée jusqu'au château qu'habitait Diane.

C'est que Bussy se réservait ce trésor-là pour lui seul, pillant, à sa manière, ce petit coin de la province, qui, après s'être défendu de façon convenable, s'était enfin livré à discrétion.

Or, tandis que M. d'Anjou reconnaissait et que Bussy pillait, M. de Monsoreau, monté sur son cheval de chasse, arrivait aux portes d'Anjou.

Il pouvait être quatre heures du soir; pour arriver à quatre heures, M. de Monsoreau avait fait dix-huit lieues dans la journée. Aussi, ses éperons étaient rouges; et son cheval, blanc d'écume, était à moitié mort.

Le temps était passé de faire aux portes de la ville des difficultés à ceux qui arrivaient: on était si fier, si dédaigneux maintenant à Angers, qu'on eût laissé passer sans conteste un bataillon de Suisses, ces Suisses eussent-ils été commandés par le brave Crillon lui-même.

M. de Monsoreau, qui n'était pas Crillon, entra tout droit en disant:

– Au palais de monseigneur le duc d'Anjou.

Il n'écouta point la réponse des gardes, qui hurlaient une réponse derrière lui. Son cheval ne semblait tenir sur ses jambes que par un miracle d'équilibre dû à la vitesse même avec laquelle il marchait: il allait, le pauvre animal, sans avoir plus aucune conscience de sa vie, et il y avait à parier qu'il tomberait quand il s'arrêterait.

Il s'arrêta au palais; mais M. de Monsoreau était excellent écuyer, le cheval était de race: le cheval et le cavalier restèrent debout.

– Monsieur le duc! cria le grand veneur.

– Monseigneur est allé faire une reconnaissance, répondit la sentinelle.

– Où cela? demanda M. de Monsoreau.

– Par-là, dit le factionnaire en étendant la main vers un des quatre points cardinaux.

– Diable! fit Monsoreau, ce que j'avais à dire au duc était cependant bien pressé; comment faire?

– Mettre t'abord fotre chifal à l'égurie, répliqua la sentinelle, qui était un reître d'Alsace; gar si fous ne l'abbuyez pas contre un mur il dombera.

– Le conseil est bon, quoique donné en mauvais français, dit Monsoreau. Où sont les écuries, mon brave homme?

– Là-pas!

En ce moment un homme s'approcha du gentilhomme et déclina ses qualités.

C'était le majordome.

M. de Monsoreau répondit à son tour par l'énumération de ses nom, prénoms et qualités.

Le majordome salua respectueusement; le nom du grand veneur était dès longtemps connu dans la province.

– Monsieur, dit-il, veuillez entrer et prendre quelque repos. Il y a dix minutes à peine que monseigneur est sorti; Son Altesse ne rentrera pas avant huit heures du soir.

– Huit heures du soir! reprit Monsoreau en rongeant sa moustache, ce serait perdre trop de temps. Je suis porteur d'une grande nouvelle qui ne peut être sue trop tôt par Son Altesse. N'avez-vous pas un cheval et un guide à me donner?

– Un cheval! il y en a dix, monsieur, dit le majordome. Quant à un guide, c'est différent, car monseigneur n'a pas dit où il allait, et vous en saurez, en interrogeant, autant que qui que ce soit, sous ce rapport; d'ailleurs, je ne voudrais pas dégarnir le château. C'est une des grandes recommandations de Son Altesse.

– Ah! ah! fit le grand veneur, on n'est donc pas en sûreté ici?

– Oh! monsieur, on est toujours en sûreté au milieu d'hommes tels que MM. Bussy, Livarot, Ribérac, Antraguet, sans compter notre invincible prince, monseigneur le duc d'Anjou; mais vous comprenez…

– Oui, je comprends que lorsqu'ils n'y sont pas, il y a moins de sûreté.

– C'est cela même, monsieur.

– Alors je prendrai un cheval frais dans l'écurie, et je tâcherai de joindre Son Altesse en m'informant.

– Il y a tout à parier, monsieur, que, de cette façon, vous rejoindrez monseigneur.

– On n'est point parti au galop?

– Au pas, monsieur, au pas.

– Très bien! c'est chose conclue; montrez-moi le cheval que je puis prendre.

– Entrez dans l'écurie, monsieur, et choisissez vous-même: tous sont à monseigneur.

– Très bien.

Monsoreau entra.

Dix ou douze chevaux, des plus beaux et des plus frais, prenaient un ample repas dans les crèches bourrées du grain et du fourrage le plus savoureux de l'Anjou.

– Voilà, dit le majordome, choisissez. Monsoreau promena sur la rangée de quadrupèdes un regard de connaisseur.

– Je prends ce cheval bai-brun, dit-il, faites-le-moi seller.

– Roland.

– Il s'appelle Roland?

– Oui, c'est le cheval de prédilection de Son Altesse. Il le monte tous les jours; il lui a été donné par M. de Bussy, et vous ne le trouveriez certes pas à l'écurie si Son Altesse n'essayait pas de nouveaux chevaux qui lui sont arrivés de Tours.

– Allons, il paraît que je n'ai pas le coup d'œil mauvais.

Un palefrenier s'approcha.

– Sellez Roland, dit le majordome.

Quant au cheval du comte, il était entré de lui-même dans l'écurie et s'était étendu sur la litière, sans attendre même qu'on lui ôtât son harnais.

Roland fut sellé en quelques secondes. M. de Monsoreau se mit légèrement en selle, et s'informa une seconde fois de quel côté la cavalcade s'était dirigée.

– Elle est sortie par cette porte, et elle a suivi cette rue, dit le majordome en indiquant au grand veneur le même point que lui avait déjà indiqué la sentinelle.

– Ma foi, dit Monsoreau en lâchant le bride, en voyant que de lui-même le cheval prenait ce chemin, on dirait, ma parole, que Roland suit la piste.

– Oh! n'en soyez pas inquiet, dit le majordome, j'ai entendu dire à M. de Bussy et à son médecin, M. Remy, que c'était l'animal le plus intelligent qui existât; dès qu'il sentira ses compagnons, il les rejoindra. Voyez les belles jambes, elles feraient envie à un cerf.

Monsoreau se pencha de côté.

– Magnifiques, dit-il.

En effet, le cheval partit sans attendre qu'on l'excitât, et sortit fort délibérément de la ville; il fit même un détour, avant d'arriver à la porte, pour abréger la route, qui se bifurquait circulairement à gauche, directement à droite.

Tout en donnant cette preuve d'intelligence, le cheval secouait la tête comme pour échapper au frein qu'il sentait peser sur ses lèvres; il semblait dire au cavalier que toute influence dominatrice lui était inutile, et, à mesure qu'il approchait de la porte de la ville, il accélérait sa marche.

– En vérité, murmura Monsoreau, je vois qu'on ne m'en avait pas trop dit; ainsi, puisque tu sais si bien ton chemin, va, Roland, va.

Et il abandonna les rênes sur le cou de Roland.

Le cheval, arrivé au boulevard extérieur, hésita un moment pour savoir s'il tournerait à droite ou à gauche,

Il tourna à gauche.

Un paysan passait en ce moment.

– Avez-vous vu une troupe de cavaliers, l'ami? demanda Monsoreau.

– Oui, monsieur, répondit le rustique, je l'ai rencontrée là-bas, en avant.

C'était justement dans la direction qu'avait prise Roland, que le paysan venait de rencontrer cette troupe.