– Je dors comme cela, moi.
– Oui, mais avec mes yeux je voyais, ce qui n'arrive pas quand on dort réellement.
– Et que voyais-tu?
– Je voyais la lune aux vitres de ma chambre, et je regardais l'améthyste qui est au pommeau de mon épée briller là où vous êtes, Chicot, d'une lumière sombre.
– Et la lampe, qu'était-elle devenue?
– Elle s'était éteinte.
– Rêve, cher fils, pur rêve!
– Pourquoi n'y crois-tu pas, Chicot? N'est-il pas dit que le Seigneur parle aux rois quand il veut opérer quelque grand changement sur la terre?
– Oui, il leur parle, c'est vrai, dit Chicot, mais si bas, qu'ils ne l'entendent jamais.
– Mais qui te rend donc si incrédule?
– C'est que tu aies si bien entendu.
– Eh bien, comprends-tu pourquoi je t'ai fait rester? dit le roi.
– Parbleu! répondit Chicot.
– C'est pour que tu entendes toi-même ce que dira la voix.
– Pour qu'on croie que je dis quelque bouffonnerie si je répète ce que j'ai entendu. Chicot est si nul, si chétif, si fou, que, le dit-il à chacun, personne ne le croira. Pas mal joué, mon fils.
– Pourquoi ne pas croire plutôt, mon ami, dit le roi, que c'est à votre fidélité bien connue que je confie ce secret?
– Ah! ne mens pas, Henri; car, si la voix vient, elle te reprochera ce mensonge, et tu as bien assez de tes autres iniquités. Mais n'importe! j'accepte la commission. Je ne suis pas fâché d'entendre la voix du Seigneur; peut-être dira-t-elle aussi quelque chose pour moi.
– Eh bien, que faut-il faire?
– Il faut te coucher, mon fils.
– Mais si, au contraire…
– Pas de mais.
– Cependant…
– Crois-tu par hasard que tu empêcheras la voix de Dieu de parler parce que tu resteras debout? Un roi ne dépasse les autres hommes que de la hauteur de la couronne, et, quand il est tête nue, crois-moi, Henri, il est de même taille et quelquefois plus petit qu'eux.
– C'est bien, dit le roi, tu restes?
– C'est convenu.
– Eh bien, je vais me coucher.
– Bon!
– Mais tu ne te coucheras pas, toi.
– Je n'aurai garde.
– Seulement, je n'ôte que mon pourpoint.
– Fais à ta guise.
– Je garde mou haut-de-chausses.
– La précaution est bonne.
– Et toi?
– Moi, je reste où je suis.
– Et tu ne dormiras pas?
– Ah! pour cela, je ne puis pas te le promettre; le sommeil est, comme la peur, mon fils, une chose indépendante de la volonté.
– Tu feras ce que tu pourras, au moins?
– Je me pincerai, sois tranquille; d'ailleurs, la voix me réveillera.
– Ne plaisante pas avec la voix, dit Henri, qui avait déjà une jambe dans le lit et qui la retira.
– Allons donc! dit Chicot; faudra-t-il que je te couche?
Le roi poussa un soupir, et, après avoir avec inquiétude sondé du regard tous les coins et tous les recoins de la chambre, il se glissa tout frissonnant dans son lit.
– Là! fit Chicot, à mon tour.
Et il s'étendit dans son fauteuil, arrangeant tout autour de lui et derrière lui les coussins et les oreillers.
– Comment vous trouvez-vous, sire?
– Pas mal, dit le roi, et toi?
– Très bien; bonsoir, Henri.
– Bonsoir, Chicot; mais ne t'endors pas.
– Peste! je n'en ai garde, dit Chicot en bâillant à se démonter la mâchoire.
Et tous deux fermèrent les yeux, le roi pour faire semblant de dormir, Chicot pour dormir réellement.
IX Comment la voix du seigneur se trompa et parla à Chicot, croyant parler au roi.
Le roi et Chicot restèrent pendant l'espace de dix minutes à peu près immobiles et silencieux. Tout à coup le roi se leva comme en sursaut et se mit sur son séant.
Au mouvement et au bruit qui le tiraient de cette douce somnolence qui précède le sommeil, Chicot en fit autant.
Tous deux se regardèrent avec des yeux flamboyants.
– Quoi? demanda Chicot à voix basse.
– Le souffle! dit le roi à voix plus basse encore, le souffle!
Au même instant une des bougies que tenait dans sa main le satyre d'or s'éteignit; puis une seconde, puis une troisième, puis enfin la dernière.
– Oh! oh! dit Chicot, quel souffle!
Chicot n'avait pas prononcé la dernière de ces syllabes, que la lampe s'éteignit à son tour, et que la chambre demeura éclairée seulement par les dernières lueurs du foyer.
– Casse-cou! dit Chicot en se levant tout debout.
– Il va parler, dit le roi en se courbant dans son lit; il va parler.
– Alors, dit Chicot, écoute.
En effet, au même instant on entendit une voix creuse et sifflante par intervalle qui disait dans la ruelle du lit:
– Pécheur endurci, es-tu là?
– Oui, oui, Seigneur; dit Henri, dont les dents claquaient.
– Oh! oh! dit Chicot, voilà une voix bien enrhumée pour venir du ciel! N'importe, c'est effrayant.
– M'entends-tu? demanda la voix.
– Oui, Seigneur, balbutia Henri, et j'écoute, courbé sous votre colère.
– Crois-tu donc m'avoir obéi, continua la voix, en faisant toutes les momeries extérieures que tu as faites aujourd'hui, sans que le fond de ton cœur ait été sérieusement atteint?
– Bien dit! s'écria Chicot, oh! bien touché!
Les mains du roi se choquaient en se joignant. Chicot s'approcha de lui.
– Eh bien, murmura Henri, eh bien, crois-tu maintenant, malheureux?
– Attendez, dit Chicot.
– Que veux-tu?
– Silence donc! Écoute: tire-toi tout doucement de ton lit et laisse-moi m'y mettre à ta place.
– Pourquoi cela?
– Afin que la colère du Seigneur tombe d'abord sur moi.
– Penses-tu qu'il m'épargnera pour cela?
– Essayons toujours.
Et, avec une affectueuse insistance, il poussa tout doucement le roi hors du lit et se mit en son lieu.
– Maintenant, Henri, dit-il, va t'asseoir dans mon fauteuil et laisse-moi faire.
Henri obéit; il commençait à deviner.
– Tu ne réponds pas, reprit la voix, preuve que tu es endurci dans le péché.