– Eh bien, demanda Bussy, après?
– Après, je demandai à un bûcheron quel était ce monsieur au cheval noir qui enlevait les femmes; il me répondit que c'était M. de Monsoreau.
– Eh bien mais, dit Antraguet, cela se fait, ce me semble, d'enlever les femmes, n'est-ce pas, Bussy?
– Oui, dit Bussy, mais on les laisse crier au moins!
– Et la femme, qui était-ce? demanda Antraguet.
– Ah! voilà, on ne l'a jamais su.
– Allons! dit Bussy, décidément c'est un homme remarquable, et il m'intéresse.
– Tant il y a, dit Livarot, qu'il jouit, le cher seigneur, d'une réputation atroce.
– Cite-t-on d'autres faits?
– Non, rien; il n'a même jamais fait ostensiblement grand mal; de plus encore, il est assez bon, à ce qu'on dit, envers ses paysans; ce qui n'empêche pas que dans la contrée qui jusqu'aujourd'hui a eu le bonheur de le posséder on le craigne à l'égal du feu. D'ailleurs, chasseur comme Nemrod, non pas devant Dieu, peut-être, mais devant le diable; jamais le roi n'aura eu un grand veneur pareil. Il vaudra mieux, du reste, pour cet emploi que Saint-Luc, à qui il était destiné d'abord et à qui l'influence de M. le duc d'Anjou l'a soufflé.
– Tu sais qu'il t'appelle toujours, le duc d'Anjou? dit Antraguet.
– Bon, qu'il appelle; et toi, tu sais ce qu'on dit de Saint-Luc?
– Non; est-il encore prisonnier du roi? demanda en riant Livarot.
– Il le faut bien, dit Antraguet, puisqu'il n'est pas ici.
– Pas du tout, mon cher, parti cette nuit à une heure pour visiter les terres de sa femme.
– Exilé?
– Cela m'en a tout l'air.
– Saint-Luc exilé! impossible!
– C'est l'Évangile, mon cher.
– Selon Saint-Luc.
– Non, selon le maréchal de Brissac, qui m'a dit ce matin la chose de sa propre bouche.
– Ah! voilà du nouveau et du curieux, par exemple! cela fera tort au Monsoreau.
– J'y suis, dit Bussy.
– À quoi es-tu?
– Je l'ai trouvé.
– Qu'as-tu trouvé?
– Le service qu'il a rendu à M. d'Anjou.
– Saint-Luc?
– Non, le Monsoreau.
– Vraiment?
– Oui, ou le diable m'emporte; vous allez voir, vous autres; venez avec moi.
Et Bussy, suivi de Livarot, d'Antraguet, mit son cheval au galop pour rattraper M. le duc d'Anjou, qui, las de lui faire des signes, marchait à quelques portées d'arquebuse en avant de lui.
– Ah! monseigneur, s'écria-t-il en rejoignant le prince, quel homme précieux que ce M. Monsoreau!
– Ah! vraiment?
– C'est incroyable!
– Tu lui as donc parlé? fit le prince toujours railleur.
– Certainement, sans compter qu'il a l'esprit fort orné.
– Et lui as-tu demandé ce qu'il avait fait pour moi?
– Certainement, je ne l'abordais qu'à cette fin.
– Et il t'a répondu? demanda le duc, plus gai que jamais.
– À l'instant même, et avec une politesse dont je lui sais un gré infini.
– Et que t'a-t-il dit, voyons, mon brave tranche-montagne? demanda le prince.
– Il m'a courtoisement confessé, monseigneur, qu'il était le pourvoyeur de Votre Altesse.
– Pourvoyeur de gibier?
– Non, de femmes.
– Plaît-il? fit le duc, dont le front se rembrunit à l'instant même; que signifie ce badinage, Bussy?
– Cela signifie, monseigneur, qu'il enlève pour vous les femmes sur son grand cheval noir, et que, comme elles ignorent sans doute l'honneur qu'il leur réserve, il leur met la main sur la bouche pour les empêcher de crier.
Le duc fronça le sourcil, crispa ses poings avec colère, pâlit et mit son cheval à un si furieux galop, que Bussy et les siens demeurèrent en arrière.
– Ah! ah! dit Antraguet, il me semble que la plaisanterie est bonne.
– D'autant meilleure, répondit Livarot, qu'elle ne fait pas, ce me semble, à tout le monde l'effet d'une plaisanterie.
– Diable! fit Bussy, il paraîtrait que je l'ai sanglé ferme, le pauvre duc!
Un instant après, on entendit la voix de M. d'Anjou qui criait:
– Eh! Bussy, où es-tu? viens donc!
– Me voici, monseigneur, dit Bussy en s'approchant.
Il trouva le prince éclatant de rire.
– Tiens! dit-il, monseigneur; il paraît que ce que je vous ai dit est devenu drôle.
– Non, Bussy, je ne ris pas de ce que tu m'as dit.
– Tant pis, je l'aimerais mieux; j'aurais eu le mérite de faire rire un prince qui ne rit pas souvent.
– Je ris, mon pauvre Bussy, de ce que tu plaides le faux pour savoir le vrai.
– Non, le diable m'emporte, monseigneur! je vous ai dit la vérité.
– Bien. Alors, pendant que nous ne sommes que nous deux, voyons, conte-moi ta petite histoire; où donc as-tu pris ce que tu es venu me conter?
– Dans les bois de Méridor, monseigneur! Cette fois encore le duc pâlit, mais il ne dit rien.
– Décidément, murmura Bussy, le duc se trouve mêlé en quelque chose dans l'histoire du ravisseur au cheval noir et de la femme à la haquenée blanche.
Voyons, monseigneur, ajouta tout haut Bussy en riant à son tour de ce que le duc ne riait plus, s'il y a une manière de vous servir qui vous plaise mieux que les autres, enseignez-nous-la, nous en profiterons, dussions-nous faire concurrence à M. de Monsoreau.
– Pardieu oui, Bussy, dit le duc, il y en a une, et je te la vais expliquer.
Le duc tira Bussy à part.
– Écoute, lui dit-il, j'ai rencontré par hasard à l'église une femme charmante: comme quelques traits de son visage, cachés sous un voile, me rappelaient ceux d'une femme que j'avais beaucoup aimée, je l'ai suivie et me suis assuré du lieu où elle demeure. Sa suivante est séduite, et j'ai une clef de la maison.
– Eh bien, jusqu'à présent, monseigneur, il me semble que voilà qui va bien.
– Attends. On la dit sage, quoique libre, jeune et belle.
– Ah! monseigneur, voilà que nous entrons dans le fantastique.
– Écoute, tu es brave, tu m'aimes, à ce que tu prétends?