– J'ai mes jours.
– Pour être brave?
– Non, pour vous aimer.
– Bien. Es-tu dans un de ces jours-là?
– Pour rendre service à Votre Altesse, je m'y mettrai. Voyons.
– Eh bien, il s'agirait de faire pour moi ce qu'on ne fait d'ordinaire que pour soi-même.
– Ah! ah! dit Bussy, est-ce qu'il s'agirait, monseigneur, de faire la cour à votre maîtresse, pour que Votre Altesse s'assure qu'elle est réellement aussi sage que belle? Cela me va.
– Non; mais il s'agit de savoir si quelque autre ne la lui fait pas.
– Ah! voyons, cela s'embrouille, monseigneur, expliquons-nous.
– Il s'agirait de t'embusquer et de me dire quel est l'homme qui vient chez elle.
– Il y a donc un homme?
– J'en ai peur.
– Un amant, un mari?
– Un jaloux, tout au moins.
– Tant mieux, monseigneur.
– Comment, tant mieux?
– Cela double vos chances.
– Merci. En attendant, je voudrais savoir quel est cet homme.
– Et vous me chargez de m'en assurer.
– Oui, et si tu consens à me rendre ce service…
– Vous me ferez grand veneur à mon tour, quand la place sera vacante?
– Ma foi, Bussy, j'en prendrais d'autant mieux l'obligation, que jamais je n'ai rien fait pour toi.
– Tiens! monseigneur s'en aperçoit?
– Il y a longtemps déjà que je me le dis.
– Tout bas, comme les princes se disent ces choses-là.
– Eh bien?
– Quoi, monseigneur?
– Consens-tu?
– À épier la dame?
– Oui.
– Monseigneur, la commission, je l'avoue, me flatte médiocrement, et j'en aimerais mieux une autre.
– Tu t'offrais à me rendre service, Bussy, et voilà déjà que tu recules!
– Dame! vous m'offrez un métier d'espion, monseigneur.
– Eh non, métier d'ami; d'ailleurs, ne crois pas que je te donne une sinécure; il faudra peut-être tirer l'épée.
Bussy secoua la tête.
– Monseigneur, dit-il, il y a des choses qu'on ne fait bien que soi-même; aussi faut-il les faire soi-même, fût-on prince.
– Alors tu me refuses?
– Ma foi oui, monseigneur.
Le duc fronça le sourcil.
– Je suivrai donc ton conseil, dit-il; j'irai moi-même, et, si je suis tué ou blessé dans cette circonstance, je dirai que j'avais prié mon ami Bussy de se charger de ce coup d'épée à donner ou à recevoir, et que, pour la première fois de sa vie, il a été prudent.
– Monseigneur, répondit Bussy, vous m'avez dit l'autre soir: «Bussy, j'ai en haine tous ces mignons de la chambre du roi, qui en toute occasion nous raillent et nous insultent; tu devrais bien aller aux noces de Saint-Luc soulever une occasion de querelle et nous en défaire.» Monseigneur, j'y suis allé; ils étaient cinq; j'étais seul; je les ai défiés; ils m'ont tendu une embuscade, m'ont attaqué tous ensemble m'ont tué mon cheval, et cependant j'en ai blessé deux et j'ai assommé le troisième. Aujourd'hui vous me demandez de faire du tort à une femme. Pardon, monseigneur, cela sort des services qu'un prince peut exiger d'un galant homme, et je refuse.
– Soit, dit le duc, je ferai ma faction tout seul, ou avec Aurilly, comme je l'ai déjà faite.
– Pardon, dit Bussy, qui sentit comme un voile se soulever dans son esprit.
– Quoi?
– Est-ce que vous étiez en train de monter votre faction, monseigneur, lorsque l'autre jour vous avez vu les mignons qui me guettaient?
– Justement.
– Votre belle inconnue, demanda Bussy, demeure donc du côté de la Bastille?
– Elle demeure en face de Sainte-Catherine.
– Vraiment?
– C'est un quartier où l'on est égorgé parfaitement, tu dois en savoir quelque chose.
– Est-ce que Votre Altesse a guetté encore, depuis ce soir-là?
– Hier.
– Et monseigneur a vu?
– Un homme qui furetait dans tous les coins de la place, sans doute pour voir si personne ne l'épiait, et qui, selon toute probabilité, m'ayant aperçu, s'est tenu obstinément devant cette porte.
– Et cet homme était seul, monseigneur? demanda Bussy.
– Oui, pendant une demi-heure à peu près,
– Et après cette demi-heure?
– Un autre homme est venu le rejoindre, tenant une lanterne à la main.
– Ah! ah! fit Bussy.
– Alors l'homme au manteau… continua le prince.
– Le premier avait un manteau? interrompit Bussy.
– Oui. Alors l'homme au manteau et l'homme à la lanterne se sont mis à causer ensemble, et, comme ils ne paraissaient pas disposés à quitter leur poste de la nuit, je leur ai laissé la place et je suis revenu.
– Dégoûté de cette double épreuve?
– Ma foi oui, je l'avoue… De sorte qu'avant de me fourrer dans cette maison, qui pourrait bien être quelque égorgeoir…
– Vous ne seriez pas fâché qu'on y égorgeât un de vos amis.
– Ou plutôt que cet ami, n'étant pas prince, n'ayant pas les ennemis que j'ai, et d'ailleurs habitué à ces sortes d'aventures, étudiât la réalité du péril que je puis courir, et m'en vînt rendre compte.
– À votre place, monseigneur, dit Bussy, j'abandonnerais cette femme.
– Non pas.
– Pourquoi?
– Elle est trop belle.
– Vous dites vous-même qu'à peine vous l'avez vue.
– Je l'ai vue assez pour avoir remarqué d'admirables cheveux blonds.
– Ah!
– Des yeux magnifiques.
– Ah! ah!
– Un teint comme je n'en ai jamais vu, une taille merveilleuse.
– Ah! ah! ah!
– Tu comprends qu'on ne renonce pas facilement à une pareille femme.
– Oui, monseigneur, je comprends; aussi la situation me touche.
Le duc regarda Bussy de côté.
– Parole d'honneur, dit Bussy.
– Tu railles.
– Non, et la preuve, c'est que, si monseigneur veut me donner ses instructions et m'indiquer le logis, je veillerai ce soir.
– Tu reviens donc sur ta décision?
– Eh! monseigneur, il n'y a que notre saint-père Grégoire XIII qui ne soit pas faillible; seulement dites-moi ce qu'il y aura à faire.