– Il y aura à te cacher à distance de la porte que je t'indiquerai, et, si un homme entre, à le suivre, pour t'assurer qui il est.
– Oui; mais si, en entrant, il referme la porte derrière lui?
– Je t'ai dit que j'avais une clef.
– Ah! c'est vrai; il n'y a plus qu'une chose à craindre, c'est que je suive un autre homme, et que la clef n'aille à une autre porte.
– Il n'y a pas à s'y tromper; cette porte est une porte d'allée; au bout de l'allée à gauche, il y a un escalier; tu montes douze marches et tu te trouves dans le corridor.
– Comment savez-vous cela, monseigneur, puisque vous n'avez jamais été dans la maison?
– Ne t'ai-je point dit que j'avais pour moi la suivante? Elle m'a tout expliqué.
– Tudieu! que c'est commode d'être prince, on vous sert votre besogne toute faite. Moi, monseigneur, il m'eût fallu reconnaître la maison moi-même, explorer l'allée, compter les marches, sonder le corridor. Cela m'eût pris un temps énorme, et qui sait encore si j'eusse réussi?
– Ainsi donc tu consens?
– Est-ce que je sais refuser quelque chose à Votre Altesse? Seulement vous viendrez avec moi pour m'indiquer la porte.
– Inutile; en rentrant de la chasse, nous faisons un détour; nous passons par la porte Saint-Antoine, et je te la fais voir.
– À merveille, monseigneur! et que faudra-t-il faire à l'homme, s'il vient?
– Rien autre chose que de le suivre jusqu'à ce que tu aies appris qui il est.
– C'est délicat; si, par exemple, cet homme pousse la discrétion jusqu'à s'arrêter au milieu du chemin et à couper court à mes investigations?
– Je te laisse le soin de pousser l'aventure du côté qu'il te plaira.
– Alors, Votre Altesse m'autorise à faire comme pour moi.
– Tout à fait.
– Ainsi ferai-je, monseigneur.
– Pas un mot à tous nos jeunes seigneurs.
– Foi de gentilhomme!
– Personne avec toi dans cette exploration.
– Seul, je vous le jure.
– Eh bien, c'est convenu, nous revenons par la Bastille. Je te montre la porte… tu viens chez moi… je te donne la clef… et ce soir…
– Je remplace monseigneur; voilà qui est dit.
Bussy et le prince revinrent joindre alors la chasse, que M. de Monsoreau conduisait en homme de génie. Le roi fut charmé de la manière précise dont le chasseur consommé avait fixé toutes les haltes et disposé tous les relais. Après avoir été chassé deux heures, après avoir été tourné dans une enceinte de quatre ou cinq lieues, après avoir été vu vingt fois, l'animal revint se faire prendre juste à son lancer.
M. de Monsoreau reçut les félicitations du roi et du duc d'Anjou.
– Monseigneur, dit-il, je me trouve trop heureux d'avoir pu mériter vos compliments, puisque c'est à vous que je dois la place.
– Mais vous savez, monsieur, dit le duc, que pour continuer à les mériter, il faut que vous partiez ce soir pour Fontainebleau; le roi veut y chasser après demain et les jours suivants, et ce n'est pas trop d'un jour pour prendre connaissance de la forêt.
– Je le sais, Monseigneur, répondit Monsoreau, et mon équipage est déjà préparé. Je partirai cette nuit.
– Ah! voila! monsieur de Monsoreau, dît Bussy; désormais plus de repos pour vous. Vous avez voulu être grand veneur, vous l'êtes; il y a, dans la charge que vous occupez, cinquante bonnes nuits de moins que pour les autres hommes; heureusement encore que vous n'êtes point marié, mon cher monsieur.
Bussy riait en disant cela: le duc laissa errer un regard perçant sur le grand veneur; puis tournant la tête d'un autre côté, il alla faire ses compliments au roi sur l'amélioration qui depuis la veille paraissait s'être fait en sa santé.
Quant à Monsoreau, il avait, à la plaisanterie de Bussy, encore une fols pâli de cette pâleur hideuse qui lui donnait un si sinistre aspect.
XII Comment Bussy retrouva à la fois le portrait et l'original.
La chasse fut terminée vers les quatre heures du soir: et à cinq heures, comme si le roi avait prévu les désirs du duc d'Anjou, toute la cour rentrait à Paris par le faubourg Saint-Antoine.
M. de Monsoreau, sous le prétexte de partir à l'instant même, avait pris congé des princes, et se dirigeait avec ses équipages vers Fromenteau.
En passant devant la Bastille, le roi fit remarquer à ses amis la fière et sombre apparence de la forteresse: c'était un moyen de leur rappeler ce qui les attendait, si par hasard, après avoir été ses amis, ils devenaient ses ennemis,
Beaucoup comprirent et redoublèrent de déférence envers Sa Majesté.
Pendant ce temps, le duc d'Anjou disait tout bas à Bussy, qui marchait à ses côtés:
– Regarde bien, Bussy, regarde bien à droite, cette maison de bois qui abrite sous son pignon une petite statue de la Vierge; suis de l'œil la même ligne et compte, la maison à la Vierge comprise, quatre autres maisons.
– Bien, dit Bussy.
– C'est la cinquième, dit le duc, celle qui est juste en face de la rue Sainte-Catherine.
– Je la vois. Monseigneur; tenez, voici, au bruit de nos trompettes qui annoncent la roi, toutes les maisons qui se garnissent de curieux.
– Excepté celle que je t'indique, cependant, dit le duc, dont les fenêtres demeurent fermées,
– Mais dont un coin du rideau s'entr'ouvre, dit Bussy avec un effroyable battement de cœur.
– Sans que toutefois on puisse rien apercevoir. Oh! la dame est bien gardée, on se garde bien. En tout cas, voici la maison: à l'hôtel, je t'en donnerai la clef.
Bussy darda son regard par cette étroite ouverture: mais quoique ses yeux restassent constamment fixés sur elle, il ne vit rien.
En revenant à l'hôtel d'Anjou, le duc donna effectivement à Bussy la clef de la maison désignée, en lui recommandant de nouveau de faire bonne garde; Bussy promit tout ce que voulut le duc, et repassa par l'hôtel.
– Eh bien? dit-il à Remy.
– Je vous ferai la même question, monseigneur.
– Tu n'as rien trouvé?
– La maison est aussi inabordable le jour que la nuit. Je flotte entre cinq ou six maisons qui se touchent.
– Alors, dit Bussy, je crois que j'ai été plus heureux que toi, mon cher le Haudouin.
– Comment cela, monseigneur? vous avez donc cherché de votre côté?
– Non. Je suis passé dans la rue seulement.