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Effectivement, un mois se passa sans que je visse M. de Monsoreau et sans que j'entendisse parler de lui. Un matin nous reçûmes, mon père et moi, une invitation de nous trouver à une grande fête que M. de Monsoreau devait donner au frère du roi qui venait visiter la province dont il portait le nom. Cette fête avait lieu à l'hôtel de ville d'Angers.

À cette lettre était jointe une invitation personnelle du prince, lequel écrivait à mon père qu'il se rappelait l'avoir vu autrefois à la cour du roi Henri, et qu'il le reverrait avec plaisir.

Mon premier mouvement fut de prier mon père de refuser, et certes j'eusse insisté si l'invitation eût été faite au nom seul de M. de Monsoreau; mais le prince était de moitié dans l'invitation, et mon père craignit par un refus de blesser Son Altesse.

Nous nous rendîmes donc à cette fête. M. de Monsoreau nous reçut comme si rien ne s'était passé entre nous; sa conduite vis-à-vis de moi ne fut ni indifférente ni affectée; il me traita comme toutes les autres dames, et je fus heureuse de n'avoir été, de son côté, l'objet d'aucune distinction, soit en bonne, soit en mauvaise part.

Il n'en fut pas de même du duc d'Anjou. Dès qu'il m'aperçut, son regard se fixa sur moi pour ne plus me quitter. Je me sentais mal à l'aise sous le poids de ce regard, et sans dire à mon père ce qui me faisait désirer de quitter le bal, j'insistai de telle façon, que nous nous retirâmes des premiers.

Trois jours après, M. de Monsoreau se présenta à Méridor; je l'aperçus de loin dans l'avenue du château, et je me retirai dans ma chambre.

J'avais peur que mon père ne me fit appeler; mais il n'en fut rien. Au bout d'une demi-heure, je vis sortir M. de Monsoreau, sans que personne m'eût prévenue de sa visite. Il y eut plus, mon père ne m'en parla point; seulement, je crus remarquer qu'après cette visite du sous-gouverneur il était plus sombre que d'habitude.

Quelques jours s'écoulèrent encore. Je revenais de faire une promenade dans les environs, lorsqu'on me dit en rentrant que M. de Monsoreau était avec mon père. Le baron avait demandé deux ou trois fois de mes nouvelles, et deux autres fois aussi s'était informé avec inquiétude du lieu où je pouvais être allée. Il avait donné ordre qu'on le prévînt de mon retour.

En effet, à peine étais-je rentrée dans ma chambre, que mon père accourut.

– Mon enfant, me dit-il, un motif dont il est inutile que tu connaisses la cause me force à me séparer de toi pendant quelques jours; ne m'interroge pas, seulement songe que ce motif doit être bien urgent puisqu'il me détermine à être une semaine, quinze jours, un mois peut-être sans te voir.

Je frissonnai, quoique je ne pusse deviner à quel danger j'étais exposée. Mais cette double visite de M. de Monsoreau ne me présageait rien de bon.

– Et où dois-je aller, mon père? demandai-je.

– Au château de Lude, chez ma sœur, où tu resteras cachée à tous les yeux. Quant à ton arrivée, on veillera à ce qu'elle ait lieu pendant la nuit.

– Ne m'accompagnez-vous pas?

– Non, je dois rester ici pour détourner les soupçons; les gens de la maison eux-mêmes ignoreront où tu vas.

– Mais qui me conduira donc?

– Deux hommes dont je suis sûr.

– O mon Dieu! mon père!

Le baron m'embrassa.

– Mon enfant, dit-il, il le faut.

Je connaissais tellement l'amour de mon père pour moi, que je n'insistai pas davantage, et ne lui demandai point d'autre explication. Il fut convenu seulement que Gertrude, la fille de ma nourrice, m'accompagnerait.

Mon père me quitta en me disant de me tenir prête.

Le soir, à huit heures, il faisait très sombre et très froid, car on était dans les plus longs jours de l'hiver; le soir, à huit heures, mon père me vint chercher. J'étais prête comme il me l'avait recommandé; nous descendîmes sans bruit, nous traversâmes le jardin; il ouvrit lui-même une petite porte qui donnait sur la forêt, et là nous trouvâmes une litière tout attelée et deux hommes: mon père leur parla longtemps, me recommandant à eux, à ce qu'il me parut; puis je pris ma place dans la litière; Gertrude s'assit près de moi. Le baron m'embrassa une dernière fois, et nous nous mîmes en marche.

J'ignorais quelle sorte de danger me menaçait et me forçait de quitter le château de Méridor. J'interrogeai Gertrude, mais elle était aussi ignorante que moi. Je n'osais adresser la parole à nos conducteurs, que je ne connaissais pas. Nous marchions donc silencieusement et par des chemins détournés, lorsque après deux heures de marche environ, au moment où, malgré mes inquiétudes, le mouvement égal et monotone de la litière commençait à m'endormir, je me sentis réveillée par Gertrude, qui me saisissait le bras, et plus encore par le mouvement de la litière qui s'arrêtait.

– Oh! mademoiselle, dit la pauvre fille, que nous arrive-t-il donc?

Je passai ma tête par les rideaux: nous étions entourés par six cavaliers masqués; nos hommes, qui avaient voulu se défendre, étaient désarmés et maintenus.

J'étais trop épouvantée pour appeler du secours; d'ailleurs, qui serait venu à nos cris?

Celui qui paraissait le chef des hommes masqués s'avança vers la portière:

– Rassurez-vous, mademoiselle, dit-il, il ne vous sera fait aucun mal, mais il faut nous suivre.

– Où cela? demandai-je.

– Dans un lieu où, bien loin d'avoir rien à craindre, vous serez traitée comme une reine.

Cette promesse m'épouvanta plus que n'eût fait une menace.

– Oh! mon père! mon père! murmurai-je.

– Écoutez, mademoiselle, me dit Gertrude, je connais les environs: je vous suis dévouée, je suis forte, nous aurons bien du malheur si nous ne parvenons pas à fuir.

Cette assurance que me donnait une pauvre suivante était loin de me tranquilliser. Cependant c'est une si douce chose que de se sentir soutenue, que je repris un peu de force.

– Faites de nous ce que vous voudrez, messieurs, répondis-je, nous sommes deux pauvres femmes, et nous ne pouvons nous défendre.

Un des hommes descendit, prit la place de notre conducteur et changea la direction de notre litière.

Bussy, comme on le comprend bien, écoutait le récit de Diane avec l'attention la plus profonde. Il y a dans les premières émotions d'un grand amour naissant un sentiment presque religieux pour la personne que l'on commence à aimer. La femme que le cœur vient de choisir est élevée, par ce choix, au-dessus des autres femmes; elle grandit, s'épure, se divinise; chacun de ses gestes est une faveur qu'elle vous accorde, chacune de ses paroles est une grâce qu'elle vous fait; si elle vous regarde, elle vous réjouit; si elle vous sourit, elle vous comble.